L’apparition sur le marché de kofia « made in china » en ce mois de ramadan a relancé le débat sur la place de ce bonnet traditionnel qui a toujours fait partie du patrimoine de l’archipel. Si certains rejettent la faute aux autorités les appelant à labéliser le plus vite possible ce produit, dont la confection fait vivre des familles entières, d’autres pointent plutôt du doigt les commerçants qui les commandent et les services douaniers qui laissent ces kofias contrefaits rentrer dans le pays.
Tout a commencé par une publication faite sur le réseau social Facebook. Il y a une semaine, un internaute a posté une photo d’un kofia qui à première vue n’a rien d’anormal. C’est en lisant la légende qui a accompagné l’image que l’on se rend compte qu’il s’agit en fait d’un bonnet contrefait : » les chinois améliorent leur technique d’imitation de notre kofia national. Il serait peut-être temps de créer un label autour de ce patrimoine « , a écrit l’auteur du post. il n’en fallu pas plus pour que l’opinion s’empare du sujet. Depuis, il ne se passe pas un jour sans qu’un débat ne s’invite sur la toile opposant les défenseurs de ce patrimoine national et ceux qui se réjouissent qu’un kofia moins onéreux puisse être accessible sur le marché. C’est d’ailleurs auprès de cette classe sociale que le kofia chinois trouve écho. Considéré comme un produit de luxe coûteux par certains, le kofia traditionnel comorien a vu son prix s’envoler au cours de ces dix dernières années. Seuls les hommes nouvellement mariés ont droit à des kofia, offerts par l’épouse. Sinon pour s’en acheter un actuellement, il faut avoir au moins 200 euros et cela dépend aussi de la qualité. Profitant de cette situation, des commerçants n’hésitent pas à en faire des commandes surtout en cette période de ramadan. Il suffit de se rendre dans les marchés de Moroni ces derniers jours pour constater cela. Les acheteurs rencontrés sur place ( la plupart sont des jeunes ) reconnaissent l’importance de préserver ce patrimoine mais arguent-ils dépenser 200 euros pour un kofia est une « aberration » tenant compte de leurs train de vie .
Onéreux
Anfane Mourdi, est de ceux-là et il a avancé ses raisons. » Que voulez-vous que je fasse. Avec 15 euros, je peux m’acheter ce kofia. Ils sont beaux et moins chers. J’en profite. On connaît le salaire de base aux Comores. 200 euros c’est beaucoup d’argent pour un comorien. Comment une personne qui gagne 150 euros va-t-elle se procurer un kofia traditionnel « , s’est justifié ce jeune juriste assistant dans un cabinet de notaires.
Si nous sommes arrivés jusque-là, c’est aussi parce que les autorités ont failli. » Il n’ y a jamais eu vraiment de politique culturelle dans le pays et beaucoup de gens y compris au ministère réduisent la culture aux musiques et danses traditionnelles« , déplore, Abdremane Wadjih, docteur en anthropologie. Ce défenseur du patrimoine culturel national estime que ce manque de politique sectorielle ne date pas d’aujourd’hui hélas. « Depuis des années, le patrimoine culturel matériel et immatériel est en déliquescence sans que cela n’alerte les autorités compétentes. L’illustration la plus parfaite est la disparition des boutres« , complètera cet enseignant avant de conclure que le kofia chinois constitue une menace pour le kofia traditionnel dont l’aura avait dépassé les frontières. » C’est tout un travail qui est prend un coup. Inonder le marché avec ces bonnets contrefaits ne nous rend pas service. Moi je ne gagne l’argent qu’en confectionnant des kofias. Je me prend en charge grâce à ce travail. J’espère que les autorités vont réagir« , lance, Mariama Ismael, la trentaine.
Labélisation, responsabilités partagées
Mistoihi Abdillahi lui tance un peu les artisans qui proposent des kofias non accessibles par plus de la moitié de la population. » Pour quelqu’un u qui gagne 100 euros, il cherchera un raccourci car il n’a pas les moyens de débourser 300 euros pour un kofia« , résume ce docteur en sociologie qui invite tout le monde à protéger malgré tout notre patrimoine. A la question de savoir comment stopper l’hémorragie. Certains proposent d’entamer le processus de labélisation en inscrivant le kofia à l’Unesco comme l’ont fait de nombreux pays pour préserver leurs patrimoines. Car s’il le pays avait réagi depuis 2010 , on en serait pas arrivés jusque-là pense Hissane Guy. Il y a douze ans, cette entrepreneure avait plaidé pour la labélisation du Kofia. Malheureusement son cri d’alarme n’a jamais été entendu. Les conséquences se font donc ressentir aujourd’hui. » Comme Oman protège son Kandu, l’Éthiopie son képi traditionnel, le pays aurait pu en faire autant avec le kofia, à condition que l’État et la chambre de commerce s’impliquent« , croit savoir, Faridy Norbert , professeur d’histoire géographie, au lycée Said Mohamed Cheikh. A l’en croire, le kofia a été importé de Zanzibar ( anciennement appelé Ungudja ) comme certains vêtements qui font désormais partie de notre patrimoine. » Selon certains manuscrits et les tradition orales, il y a des habits traditionnels et des vêtements arrivés aux Comores après l’avènement de l’islam. Notre tradition vestimentaire est influencée donc par la culture islamique de la région, des pays du Golf persique et de l’Afrique de l’Est. Pour le kofia il a juste été amélioré avec une méthodologie propre des Comores » a relevé, Faridy Norbert. S’agissant de situer les responsabilités par rapport à ces kofias « made in china », le professeur d’Histoire géographie citera d’une part les autorités, incapables selon lui de protéger la propriété intellectuelle et d’autre part les commerçants, qui veulent faire fortune rapidement en ayant recours à la reproduction industrielle car il n’y a pas que le kofia qui a été reproduit. Nous avons essayé d’avoir la réaction de la direction nationale de la culture sans succès. Le ministère ne s’est pas exprimé non plus jusqu’à présent.