Alors que la journée internationale de la langue maternelle s’est tenue le 21 février, le shimaoré semble être en relative désuétude chez la jeunesse de l’île. Entre manque de rigueur des parents et absence d’enseignement dans le premier degré, les jeunes mahorais doivent faire preuve de volonté pour exercer les langues régionales de leurs ancêtres, héritages irréfutables de la culture et de l’identité de l’île.
« Je parle shimaoré, mais pas bien, je bafouille », avoue Saandati, 24 ans, des regrets dans la voix. Ce constat, loin d’être un cas particulier, culpabilise de nombreux jeunes de la société mahoraise. Si les nouvelles générations sont les héritières de langues plus orales qu’écrites, telles que le shimaoré et le kibushi, les quelques stigmatisations vécues lors de bégaiements sont bien réelles, symboles d’un manque d’apprentissage sérieux des idiomes. « Un jeune était avec des amis, qui l’ont charrié parce qu’il n’a pas su compter », raconte Spelo Rastami, président de l’association Shimé, pour « Shimaoré méthodique ». Un témoignage qui, selon lui, en rejoint beaucoup d’autres : « Les gens viennent très souvent pour pallier un certain nombre de manques. Ils se rendent compte qu’ils font beaucoup d’erreurs, et qu’ils ne sont pas totalement capables de ne parler qu’en leur langue. »
Spelo Rastami constate donc un « shimaoré dégradé » chez les jeunes, qu’il impute aux parents, « premiers responsables » de cette baisse de qualité linguistique. « Ils ne pourvoient pas à leurs enfants du vocabulaire ou une correction lorsqu’ils font des erreurs », continue-t-il. « Ils sont laissés à l’abandon et portés par le flot, en quelque sorte. » Des mots forts, qui restent cependant une hyperbole du quotidien des foyers mahorais, ayant peu à peu délégué l’éducation des enfants à l’école. Nassem, heureux papa d’un garçon d’un an, avoue ne pas s’adresser à son fils en shimaoré. « Mais j’aimerais qu’il le parle », rétorque-t-il. « Ce n’est pas volontaire, c’est juste que les parents sont entourés de gens qui parlent français, c’est instinctif. » Mlaili Condro, enseignant et docteur en sciences du langage, confirme : « Il y a moins d’attention portée par les familles sur la transmission. »
Éducation Nationale, contexte régional
Le manque de pratique des langues régionales au sein du foyer, que ce soit à Mayotte, en Bretagne ou en Alsace, semble effectivement logique. Cependant, pour compenser ces lacunes de transmission de la langue, l’Éducation nationale devrait rentrer en piste. Malheureusement, dans le 101ème département français, le compte n’y est pas, ou du moins pas encore. « À l’école, on nous interdisait de parler shimaoré, même pendant la récréation ! », fulmine une jeune Mahoraise. Le même constat se faisait, il y a quelques décennies, dans des départements tels que la Corse, où les jeunes insulaires étaient priés de laisser de côté leur langue, malgré la force et l’enracinement de la culture régionale sur l’île de Beauté.
Mais, d’une île à l’autre, « La langue de la République est le français », précise l’article 2 de la Constitution. « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France », répond l’article 75-1. À Mayotte, ce patrimoine peinait néanmoins à exister, tant la priorité était donnée à la maîtrise du français chez les jeunes Mahorais. Jusqu’au 21 mai dernier, date de la promulgation d’une loi visant à la promotion des langues régionales. En juin 2021, le rectorat de Mayotte signait, avec le conseil départemental, le centre universitaire de formation et de recherche et l’association Shimé, une convention pour l’apprentissage du shimaoré et du kibushi dans le premier degré. Quasiment un an plus tard, Spelo Rastami ne constate que des évolutions « très timides » : « Il n’y a pas de grandes avancées. La balle est dans le camp du département, et du rectorat. »
Promouvoir l’idiome du village
Parole à la défense donc. Gilles Halbout, recteur de Mayotte, détaille les mesures qui ont été prises par l’État et le département quant à cet apprentissage. « Dans le cadre du master MEEF, enseigné au CUFR, les enseignants sont formés pour avoir des notions de shimaoré et de kibushi, et s’acculturer », affirme-t-il. « Cela permet d’avoir un accueil bienveillant en langue maternelle. Un enseignant familiarisé peut aussi faire des ponts entre les deux langues pour que les élèves fassent des progrès en français. » Si cette formation a de multiples avantages, elle est également complétée par un enseignement des langues régionales dès le premier degré et l’école maternelle. « À certains moments de la journée, on travaille le plurilinguisme, afin que l’enfant ait cette pratique même s’il ne parle pas la langue régionale à la maison », continue Gilles Halbout. Enfin, le conseil départemental et l’association Shimé ont aussi planché sur une structuration de la langue, en formalisant sa graphie, « histoire que le shimaoré ne soit pas juste un patois, un créole », conclut le recteur.
Pour Mlaili Condro, cette convention et ses applications dans les établissements scolaires mahorais est « un motif d’espoir ». « Jusqu’à récemment, on a vu une certaine réticence de l’Éducation nationale quant aux langues régionales », explicite-t-il. « Mais depuis quelque temps, on observe un changement de position sur les langues mahoraises, désormais bienvenues à l’école. On vise le plurilinguisme, et des individus qui sont capables d’appréhender le réel, le monde, à travers plusieurs langues. » Le docteur en sciences du langage félicite également « ces jeunes artistes mahorais », qui écrivent « toutes ces chansons en shimaoré » (voir encadré). « Il n’y a plus rien qui ne nous empêche d’aller de l’avant », abonde encore Spelo Rastami. Maintenant que les bases sont posées, en effet, tout est possible. Ce lundi 21 février, à l’occasion de la journée internationale de la langue maternelle, le rectorat s’est rendu au conseil départemental afin d’évoquer le bilan de cette convention. Mais pas seulement, comme nous le glisse un Gilles Halbout ambitieux. « On va aussi tracer des perspectives pour voir où on en est dans la formalisation, parce que je pense que tout le monde a envie d’aller plus loin dans cet apprentissage des langues régionales », affirme-t-il. « Pour qu’un jour, on ait le shimaoré comme option au bac ! »
Retrouvez l’intégralité du dossier consacré à la jeunesse mahoraise dans le Mayotte Hebdo n°987.
Les langues régionales officielles en France
La France comptabilise pas moins de 17 langues régionales officielles : le basque, le breton, le catalan, le corse, le créole, le gallo, l’occitan-langue d’oc, les langues régionales d’Alsace, les langues régionales des pays mosellans, le francoprovençal, le flamand occidental, le picard, le tahitien, les langues mélanésiennes (drehu, nengone, paicî, ajië), le wallisien, le futunien, le kibushi et le shimaoré.
Les artistes chantent en shimaoré
Nombreuses et nombreux sont les jeunes artistes de l’île à écrire leurs textes en shimaoré. C’est le cas de Terrell Elymoor, fameux rappeur et chanteur mahorais. « C’est important, parce que j’ai l’impression qu’un nouveau créole se crée, et ce serait dommage de perdre notre langue », déclare-t-il.