Les rats, ce fléau de l’îlot Mbouzi

À tas de blé, le rat s’y met. Multipliée lors de l’introduction de makis sur Mbouzi dans les années 1990, la population de rats y atteint jusqu’à 6.000 individus en saison humide. Pour éviter que les rongeurs ne dévastent la végétation et la faune ambiantes, une mission de dératisation est menée par l’équipe de la réserve, bien épaulée par les TAAF, les Terres australes et antarctiques françaises.

Écartant toiles d’araignée et branches trop souples de son passage, Paul Defilion avance vers les caméras qu’il a placé sur les crêtes de Mbouzi. Il y a quelques mois, le jeune homme a été missionné par les Naturalistes de Mayotte et les Terres australes et antarctiques françaises pour y mettre en place le projet RECIM, ou « Restauration écologique de l’îlot Mbouzi ». L’objectif ? Débarrasser la réserve naturelle nationale des milliers de rats qui y pullulent. « C’est une espèce terrible qui s’attaque à tout, y compris aux espèces à protéger », affirme Paul, dépassant un tronc d’arbre ayant perdu son écorce, remplacée par des traces de crocs. Arrivée sur l’un des lieux où ont été disposées des caméras, l’équipe de la réserve constate le nombre de vidéos captées, mais aussi que les appâts disposés devant les appareils ont tous été mangés par les rats, comme le sont de nombreux œufs d’oiseaux sur l’îlot.

Comment tuer un rat ?

« Ma première mission a été de connaître leur nombre », explique Paul Defilion. Pour estimer leur population, le chef de projet met en place un protocole CMR – capture marquage recapture – à l’aide de bagues numérotées sur les oreilles des rats, tous les jours et pendant plusieurs jours. « À la fin, le nombre de recaptures sera plus grand que celui des nouvelles captures », continue-t-il. Le scientifique a donc estimé la population de rats sur Mbouzi à environ 1.500 individus en saison sèche, pour environ 5.700 en saison humide, soit 70 rats par hectare. « Les rats s’adaptent à leur ressource en nourriture et leur population fluctue », précise-t-il. « Autour de la léproserie, leur nombre a explosé à cause de la nourriture apportée pour les makis. »

Reste désormais le gros de l’opération : l’éradication de l’espèce sur l’îlot Mbouzi. « Le rat se reproduit très vite », affirme Paul Defilion. « S’il reste une seule femelle, avec ses petits, ils se reproduisent avec consanguinité et c’est reparti. En deux mois, la population est reconstituée. Il faut donc mener des actions pour l’endiguer. La réserve naturelle, c’est un statut juridique, les rats s’en foutent. » Avant son arrivée, seules de petites et régulières opérations de capture, notamment aux pieds de vanille de humblot, étaient menées sur l’îlot. Mais « le piégeage mécanique fonctionne très mal, seulement sur une île très petite, et demande un travail indéfini dans le temps », selon le chercheur. « Il faut faire un one shot, réduire la population à zéro et faire ce qu’il faut pour ne pas qu’ils reviennent. »

Brodifacoum ex machina

Pour cela, il privilégie un épandage de biocide chimique, le brodifacoum, en faisant des lignes régulières et espacées sur la totalité de l’îlot. « Mais, tu vois le relief ici », rétorque-t-il. « L’épandage à la main n’est pas possible à Mbouzi, avec ses falaises. On ne va pas trancher des lignes à la machette dans la végétation. Je suis là pour protéger la biodiversité, il faut que je garde ça en tête. » Paul Defilion préfère donc un épandage aérien, « plus rapide, plus précis ». Mais il n’est pas seul à décider de cela. Assis sur la terrasse de la léproserie, le jeune homme évoque le conseil scientifique du patrimoine naturel (CSPN), qu’il doit convaincre à propos du produit qu’il compte utiliser pour éradiquer les rats.

Ainsi se déroule son plaidoyer : « Le brodifacoum est un anti-vitamine K, qui empêche la coagulation du sang chez les mammifères. Or, les rats sont hémophiles, donc ils mourront d’hémorragies internes dans leur trou, sans laisser de cadavres au sol. Le brodifacoum disparaît très rapidement de l’environnement, n’est pas ou peu soluble dans l’eau, donc il ne rentre pas dans les plantes, donc pas dans la chaîne alimentaire, ni ne rentre dans les sols avec l’eau. Les crabes n’y sont pas sensibles, ni les reptiles, ni les insectes. » Les oiseaux, qui peuvent y être sensibles, ne semblent pas être intéressés par les appâts, selon les captures vidéo des dix caméras placées actuellement sur l’îlot.

Le plus grand problème, concernant ce biocide chimique, est son utilisation interdite en mangrove. « Les appâts peuvent tomber dans l’eau, être mangés par les poissons, et provoquer une possible faible bioaccumulation dans la chaîne alimentaire marine », reconnaît Paul Defilion. « J’aurai de la mortalité, je vais tuer des choses, si je fais comme ça », continue-t-il. « Je dois m’assurer que ce ne sont pas des espèces protégées, ou que je ne vais pas en mettre en danger. La chouette effraie, par exemple, aura du mal à survivre, mais il y en a des milliers sur Grande-Terre, ce n’est pas une espèce en danger ni endémique. » Concrètement, deux épandages aériens seront opérés en l’espace de 15 jours, en gardant une réserve d’urgence si des rats restent en vie. Puis, un dispositif de détection devra ensuite être mis en place pour empêcher le retour des rongeurs sur l’îlot. « C’est là où le bât blesse pour Mbouzi », conclut Paul Defilion. « Il suffit d’un pêcheur, qui a un vieux filet dans sa pirogue, avec un rat sous ce filet, pour le réintroduire sur Mbouzi. » Le rendez-vous est désormais pris à la saison sèche 2023, créneau prévu pour l’éradication.

 

466.728 euros pour éradiquer les rongeurs

C’est le montant alloué au projet RECIM contre les rats. Ce budget a trois sources de financement : un contrat plan État-région, une petite part de la dotation annuelle de la réserve, et une aide européenne prenant la forme de prêt de matériel et de conseil.

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