Privés d’audience solennelle de rentrée pour cause sanitaire, le président du tribunal, Laurent Ben Kemoun, et le procureur de la République, Yann Le Bris, ont tenu une conférence de presse, jeudi matin. S’ils mettent en avant une hausse significative du nombre d’affaires traitées et de condamnations, ils se défendent de faire “du triomphalisme”.
De quelle façon évolue l’activité du tribunal ?
Les chiffres présentés ce jeudi montrent une hausse de beaucoup d’indicateurs. ”Notre premier constat est que l’activité pénale suit l’évolution de la délinquance sur l’île”, explique le procureur de la République, Yann Le Bris. ”Nous avons eu 50% de saisies en plus entre 2020 et 2021.” La croissance est même significative pour les affaires criminelles avec 25% de saisies en plus. Parmi les procédures, on peut noter que celle de la comparution immédiate est de plus en plus utilisée. Déclenchée si le mis en cause reconnaît sa culpabilité, elle permet un jugement quelques heures seulement après la garde à vue. 646 procédures de ce type ont été réalisées en 2021, contre 231 l’année précédente. S’il dit “qu’il ne faut pas rougir de notre activité judiciaire”, le représentant du ministère public se défend de faire “du triomphalisme”.
Il y a eu plus de saisies certes, mais concernant les suites ?
Elles sont aussi en augmentation fait remarquer le procureur. Les poursuites ont été plus souvent engagées en 2021, puisque le taux de réponse pénale est passé de 68.42% à 81.19%. En outre, le nombre de condamnations est en hausse de 26.80%, toujours entre 2020 et 2021. Les peines d’emprisonnement ferme suivent avec une augmentation de 35% (396 en 2020 contre 536 l’année dernière). “Un tiers des peines prononcées sont des peines de prison”, relève le procureur. Et elles sont plus lourdes aussi, avec une moyenne de 7.6 mois en 2019 passée à 12.8 mois en 2021.
Comment l’activité carcérale arrive à suivre ?
Yann Le Bris est ferme sur cette question. Les condamnations ne sont pas décidées en fonction de la surpopulation carcérale, même si le taux d’occupation de Majicavo atteint 160% aujourd’hui. “Ce n’est pas ce qu’attend la population”, rappelle le procureur. Outre le transfert de prisonniers en métropole et à La Réunion, le recours au bracelet à domicile est de plus en plus fréquent. Une deuxième prison pourrait voir le jour selon Laurent Ben Kemoun, le président du tribunal, tout comme l’extension de Majicavo. “Un terrain est déjà identifié”, précise-t-il.
La justice va-t-elle plus vite ?
Les délais sont stables, la cour d’assises restant un point noir pour le tribunal de Mamoudzou. Une cinquantaine d’affaires attendent toujours d’être jugées. En réponse, les sessions d’assises sont de plus en plus nombreuses. Il y en a eu neuf en 2021 par exemple, contre sept l’année précédente et trois en 2019. Mais selon Laurent Ben Kemoun, les procès d’assises pourraient se tenir tous les jours de l’année tant les dossiers s’accumulent. Côté bonne nouvelle, le procureur est enthousiaste quant au développement de la médecine légale sur Mayotte “à moyen terme” avec deux millions d’euros injectés dans l’hôpital.
Malgré tout ce travail judiciaire, pourquoi le sentiment d’insécurité est-il toujours aussi présent à Mayotte ?
Le procureur l’admet, “la réponse pénale n’arrête pas la délinquance. Nous le voyons, le nombre d’affaires criminelles est de plus en important”. Confirmant “une réalité statistiques”, il promet “que nous essayons de la traiter”. Face à cette injustice, le sentiment des Mahorais peut parfois être de vouloir se faire justice soi-même. Le meurtre de Kaweni, la semaine dernière, qui trouve son origine dans un vol de vélo en est un exemple. Yann Le Bris rappelle qu’il ne faut pas “se mettre en danger soi-même. Combien de ces justiciers deviennent des victimes ?”
Un tribunal en manque de greffiers
Après avoir remercié l’ensemble des personnes travaillant au tribunal de Mamoudzou, son président Laurent Ben Kemoun le reconnaît, il n’y a pas assez de monde. “Nous sommes 16 magistrats sur 17”, fait-il remarquer. “Mais nous devrions connaître une importante baisse avec le départ d’un tiers d’entre eux cette année.” Il compte donc sur les mutations et les magistrats sortis d’école pour compenser. Plus inquiétant, il estime qu’il faudrait “une dizaine de greffiers” pour assurer le bon fonctionnement du tribunal. Alors que ces derniers sont chargés d’envoyer les convocations et la rédaction des compte-rendus d’audience, il arrive que des audiences ne puissent être organisées faute de greffier disponible. Au parquet, où un poste est vacant depuis l’an dernier, ils sont six aujourd’hui. Un départ est déjà acté pour la fin du mois d’avril. Ce sous-effectif a pesé particulièrement sur le tribunal lors de la vague de Covid-19 en janvier 2021. “Une trentaine de personnes sur une centaine l’ont attrapé”, indique le président. Mais même avec un nombre important d’arrêts de travail, il se félicite “d’avoir fait fonctionner le tribunal sans supprimer d’audience. Ce n’est pas le cas dans toutes les juridictions”.