Animal emblématique de l’île aux parfums, le maki est malheureusement dangereusement menacé de disparition. Selon Laurent Tarnaud, primatologue associé au Museum d’Histoire Naturelle de Paris, sa population aurait chuté de 43% entre 1974 et 2020. En cause : la déforestation croissante de l’île qui réduit son habitat naturel comme peau de chagrin.
« Tant que le couvert forestier n’aura pas été stabilisé à Mayotte, les populations de makis continueront à chuter », affirme Laurent Tarnaud. Ce chercheur en primatologie au Museum d’Histoire Naturelle de Paris a consacré sa thèse de doctorat au maki de Mayotte, de son nom scientifique Eulemur fulvus. Longtemps considéré comme un lémurien spécifique (il était appelé autrefois Lemur fulvus mayottensis), il a maintenant été prouvé que l’espèce présente à Mayotte était la même que celle que l’on trouve au nord-ouest de Madagascar. Les quelques petites différences en termes de tailles et de pelage ne sont que des variations phénotypiques non suffisamment significatives pour en faire une espèce à part entière. Outre Madagascar, on trouve des makis dans toutes les autres îles de l’archipel des Comores, à l’exception de Grande-Comores. Selon les historiens, ils y auraient été importés par l’Homme depuis l’île Rouge pour servir de nourriture.
Le maki de Mayotte est une espèce protégée depuis de nombreuses années et un animal que l’on croise si fréquemment en zone habitable que l’on peine à croire qu’il puisse être en danger. Cette proximité avec l’Homme trahit au contraire toute l’étendue du problème : animal arboricole, le maki vit normalement au sein des forêts et c’est la destruction de son habitat qui explique qu’on le retrouve désormais dans les zones habitées. Si sa présence n’est pas particulièrement problématique dans les villages, elle l’est davantage au sein des cultures car les makis se servent allègrement en fruits cultivés, provoquant la grogne des agriculteurs. Ces derniers parlent d’ailleurs de « taxe makis ». En 2019, une conférence avait même été organisée au conseil départemental pour évoquer le problème en présence de Laurent Tarnaud qui terminait tout juste à l’époque son recensement des populations de makis sur l’île. Une indemnisation des agriculteurs par la direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DAAF) avait été évoquée, mais n’a toujours pas été mise en place à ce jour.
Seul un tiers des makis vivent aujourd’hui en forêts préservées
Le premier recensement des makis de Mayotte a été réalisé en 1974 par Ian Tattersall, un primatologue américain. Il avait alors compté environ 50.000 individus. Entre 2016 et 2019, Laurent Tarnaud, en collaboration avec une équipe de la direction de l’environnement, du développement durable et de l’énergie (DEDDE) du conseil départemental, encadrée par Mahamoud Ahmed Omar, a mené un recensement en zones agricoles en complément de celui réalisé en 2016 en zones forestières. Par projection intégrant le taux annuel de déforestation, la population de lémuriens bruns à Mayotte en 2020 est évaluée entre 25.000 et 33.000 individus. La chute de population estimée se situe donc autour de moins 43%. Par ailleurs, seul un tiers des makis vivent en forêts préservées, les deux autres tiers restent en zones agricoles autour des cultures.
Selon le spécialiste, le marqueur le plus significatif de la réduction de leur habitat se perçoit dans la réduction du nombre d’individus par groupes. « En 1974, les groupes étaient constitués de neuf individus en moyenne. Aujourd’hui, ce nombre s’est réduit à six afin d’éviter la compétition alimentaire entre les individus », indique-t-il. Une étude sur la réduction des forêts démontre en parallèle que le couvert forestier s’est réduit de moins 37% entre 1999 et 2008. Et il a naturellement encore bien chuté depuis, expliquant la présence de plus en plus nombreuse des makis en zones agricoles.
Si aucune action particulière n’est entreprise sur l’île pour protéger ces animaux (outre le fait que les tuer ou les blesser soit interdit par la loi), l’État lutte en revanche contre la déforestation qui a beaucoup de conséquences sur l’écologie du territoire. « Les forêts sont fondamentales car elles contribuent notamment à la préservation des ressources en eau en l’attirant et la filtrant et évitent l’envasement du lagon et l’érosion des sols », explique le chercheur. Une grande victoire a été gagnée dans ce domaine avec la création par un décret du 3 mai 2021 de la réserve naturelle nationale des forêts de Mayotte, qui « couvrira 2.801 hectares de forêt relevant du régime forestier, répartis sur six massifs difficiles d’accès, soit 7.5% du territoire terrestre de Mayotte et 51% des forêts domaniales et départementales », peut-on lire sur le site étatique biodiversité.gouv.fr. L’arrêt de la déforestation sur le territoire de cette réserve (surveillée par des gardes de l’ONF) permettra, entre autres conséquences positives, une meilleure protection de l’habitat des makis.
La guerre avec les agriculteurs
La « taxe makis » sur les arbres fruitiers pose évidemment de nombreux problèmes avec les agriculteurs. Une étude commandée en 2015 par la Chambre de l’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte a calculé que cette dernière s’élèverait à entre 7 et 29% des récoltes par an (selon les fruits, les types de parcelles et les saisons considérées). Si les makis s’attaquent à tous les types de fruits, les plus impactés sont les goyaves du fait de leur production plus faible que celle des litchis, des fruits de la passion ou des papayes, très prisés également du lémurien brun. Certains agriculteurs ont même décidé de stopper la culture de certains fruits à cause de ce problème, car ils produisaient à perte. Si la majorité d’entre eux respectent cet animal protégé par la loi, la grogne est cependant réelle et le conseil départemental avait organisé plusieurs réunions à ce sujet dans l’hémicycle il y a quelques années dans le but de trouver une solution avant que la colère des cultivateurs ne les amène à perpétrer des actes de violence contre les lémuriens.
Plusieurs solutions avaient alors été envisagées comme le fait d’entourer les arbres de filets ou encore faire pousser des lianes fruitières autour des parcelles afin que les makis s’en nourrissent en lieu et place des récoltes. Nous n’avons pas pu joindre la Capam pour savoir si ces solutions ont été mises en place, mais selon Laurent Tarnaud, il semblerait que ce ne soit pas le cas. « En revanche, certains cultivateurs ont testé des solutions comme déboiser l’espace situé entre les rivières arborées et les récoltes pour y faire pousser de l’herbe car les makis n’aiment pas aller au sol », précise-t-il. En tout cas, comme dans beaucoup de domaines à Mayotte, si des réunions ont été menées et des solutions évoquées, les paroles ne se sont malheureusement pas traduites en actions concrètes et le problème a été relégué aux oubliettes ! Espérons que cette inertie dans le domaine ne pousse pas un jour les agriculteurs à entamer une véritable « guerre » contre cette espèce protégée qui ne pose problème que dans la mesure où l’Homme a détruit son habitat naturel.
La légende du maki
À Mayotte, le maki est un animal traditionnellement très respecté. Une légende raconte en effet qu’il s’agirait d’un homme transformé en animal par la colère de Dieu. Les versions de cette légende diffèrent, mais dans chacune d’elle, une femme n’a pas respecté la sacralité de la nourriture. Tantôt, elle aurait utilisé de l’eau de riz pour laver son bébé et tantôt, elle aurait frappé son fils avec une cuillère en bois destinée à servir la nourriture. Dans tous les cas, Dieu s’est mis en colère et a transformé, soit la femme, soit l’enfant selon les versions, en maki pour la punir de ne pas avoir respecté la nourriture.