Des vents violents et des pluies incessantes se sont succédé toute la semaine dernière, avant de s’intensifier ce week-end lors du passage à 300 kilomètres des côtes mahoraises de la première tempête tropicale de la saison. Retour sur cet épisode avec Laurent Floch, le directeur territorial de Météo France.
Flash Infos : La saison des pluies s’est considérablement intensifiée au cours depuis une dizaine de jours. Comment analysez-vous la situation ?
Laurent Floch : La semaine dernière, nous étions sur un kashkazi des plus classiques : une rencontre entre des vents de mousson qui proviennent du nord-ouest et des vents d’alizés issues du sud de Madagascar qui remontent le long du canal du Mozambique. Nous appelons cela un thalweg de mousson ! Pour bien comprendre, il faut savoir que la nature a horreur du vide… En d’autres termes, quand elle est pleine, elle monte. Cela crée une élévation de l’atmosphère dans sa globalité et provoque un refroidissement et des précipitations. Ce sont des systèmes bien analysés et documentés qui permettent la recherche des retenus d’eau entre décembre et avril.
Au cours des deux ou trois prochaines semaines, nous risquons de connaître une alternance entre des périodes très humides et d’autres plus sèches. Dans ces conditions, nous nous attendons à subir des temps plutôt instables avec des orages, des passages d’averses très marqués et des cumuls de précipitations importants.
FI : Comment avez-vous procédé pour la surveillance de ce qui vendredi n’était même pas considéré comme une dépression tropicale ?
L.F. : Nous avons commencé à suivre un système qui était en train de naître au nord-est de Madagascar et qui portait le numéro 1. Sur le site meteofrance.yt, nous avons actualisé sa trajectoire moyenne estimée par nos ingénieurs spécialistes toutes les six heures. Nous faisions alors « tourner » les runs pour regarder ce que le modèle numérique nous renvoyait afin de réaliser un seuillage.
En fonction de l’évolution, nous avons trois paramètres de vigilance à notre disposition : « vents forts » ; « fortes pluies/orages » ; « vagues-submersion ». C’est la tempête Xinthia en métropole qui a donné naissance à cette dernière vigilance, qui vient d’être mise en place sur Mayotte et qui a remplacé la forte houle. Les bulletins sont transmis directement au service interministériel de défense et de protection civile et nous avons été en lien permanent avec la préfecture.
FI : Finalement, nous avons vécu la première tempête tropicale (vents moyens sur dix minutes excédant les 33 nœuds, soit 60km/h) de la saison, qui a été nommée Ana. Comment l’avez-vous gérée et que pouvez-vous nous dire sur ce système ?
L.F. : Nous ne sommes pas passés volontairement en pré-alerte, qui est habituellement déclenché 72 heures avant l’impact. Nous avons choisi de le traiter avec l’orsec vigilance, ce que nous faisons régulièrement. Pour la simple et bonne raison qu’il n’était pas utile d’affoler la population ! Le centre de la trajectoire a été plutôt bien anticipé par le modèle numérique européen appelé IFS (système de prévision intégré), qui nous a donné de bonnes indications tout au long du week-end.
Cette tempête tropicale a eu une trajectoire ouest tout au long de l’épisode, qui a causé des précipitations très importantes avec des rafales de vent de plus de 100km/h, et a atteint les côtés mozambicaines lundi midi. Ce mardi matin, le vent d’afflux a créé une surcote, une accumulation d’eau de mer qui ne peut s’évacuer du fait du vent, dans la baie de Beira, à l’embouchure du Zambèze, à proximité du sud du Malawi (à un peu plus de 300 kilomètres à l’ouest-nord-ouest de Quelimane).
FI : Plus spécifiquement au 101ème département, quel bilan tirez-vous du passage de ce système à 300 kilomètres des côtes mahoraises ?
L.F. : En 72 heures, nous avons recueilli 70 millimètres de pluie sur les stations Météo France. Ce n’est un chiffre énormissime, cela reste une valeur que nous pouvons régulièrement constater au cours d’une saison des pluies. Nous avons également recensé des rafales de vent de l’ordre de 84km/h du côté de Pamandzi, ce qui reste inférieur à 90km/h, synonyme de vigilance orange.
La difficulté lorsque nous avons affaire à une trajectoire rectiligne, c’est que les vents tournent ! Ce qui a généré une petite mer du vent, d’une hauteur de 1 mètre 50 dans le lagon. D’où le placement de la côte ouest de Mayotte en vigilance jaune « vagues-submersion » le 23 janvier à 17h14.
Il y a également eu la publication d’une vigilance orange « fortes pluies » le 23 janvier à 8h46 car nous avons craint de plus importantes précipitations. Mais nous sommes rapidement revenus en vigilance jaune. C’était le paroxysme de ce système : même s’il s’éloignait à une vitesse de 15 nœuds, il prenait de la vigueur donc nous avons vécu des petites rafales et des averses toute la journée de dimanche jusqu’à lundi soir. Mais il n’y a pas eu d’inquiétude particulière !
Depuis ce mardi matin, nous sommes sur une nouvelle période d’accalmie, en attendant les prochains épisodes : les vents se cherchent encore avant de prendre une direction académique, c’est-à-dire une orientation nord-ouest, dans les jours à venir.