Face aux embouteillages chroniques, bon nombre d’usagers préfèrent rouler en deux roues, scooters ou grosses cylindrées. Mais ces derniers sont une proie de choix pour les voleurs qui, très bien organisés, ont monté un trafic juteux entre Mayotte et les Comores. Le réseau se dissimule dans les mangroves de l’île où les deux roues sont ensuite envoyés par kwassa vers l’archipel voisin. Une source policière nous en a dévoilé le mécanisme.
Quel usager ne s’est jamais fait voler au moins un scooter à Mayotte ? S’ils sont pratiques pour slalomer entre les voitures dans les files d’embouteillages, les deux roues sont la proie préférée des voleurs, car plus simples à dérober que les voitures. « Ici, les voleurs n’ont pas la technicité nécessaire pour voler les voitures », nous explique un policier. « Même s’il ne faut pas généraliser, car cela peut arriver quand même de temps en temps », précise-t-il. Plus le deux roue est petit , plus le risque est grand… Plus simples à voler, ils sont également plus faciles à dissimuler au sein des mangroves où un véritable trafic en bonne et due forme a été repéré par les policiers, en particulier dans les mangroves d’Hajangua, de Bandrélé où, pire, de Nyambani qualifiée de « véritable zone de non droit » par notre source policière.
Un trafic très bien organisé par des voleurs professionnels
Si ce trafic fait l’objet d’une surveillance policière, le sujet est extrêmement tabou et il est impossible d’obtenir des informations par voie officielle. Toutefois, une source policière, excédée par la politique de « laisser-faire » menée à Mayotte, a accepté de nous livrer des informations sous couvert d’anonymat. « Nos deux roues volés sont transportés pour certains vers la mangrove d’Hajangua en voiture ou en camion. Il y a une entrée depuis la route principale qui y mène », nous explique cette même source. Là-bas, les policiers ont repéré un bâtiment abandonné, souvent grand ouvert. « Je vous laisse imaginer à quoi il peut servir », poursuit le policier qui nous précise en outre que tout autour, c’est la brousse où n’importe qui peut se cacher où cacher des véhicules. « C’est un véritable labyrinthe avec de multiples chemins fréquentés », affirme ce professionnel de terrain qui, en suivant l’un de ces chemins, a repéré des conteneurs. « Il y a plus d’un an, l’un de mes amis a retrouvé sa moto volée devant ce conteneur. Il n’existe plus aujourd’hui, mais il y en a d’autres », indique-t-il.
Un peu plus loin, dans la mangrove d’Hajangua, se trouve une rampe faite avec des restes de bouée qui permet l’accostage et le chargement des kwassas, direction Anjouan. « Au vu de leur organisation, ces voleurs ne sont pas des amateurs. Ce sont des professionnels équipés et prêts à tout pour remplir leur commande ! », s’agace notre source. S’ils emploient bien souvent des mineurs désœuvrés pour accomplir « la première étape », c’est-à-dire le vol du deux roues auprès des usagers, la suite des opérations est néanmoins le fait de professionnels, dont les commanditaires sont basés aux Comores. Abusant des lois françaises sur la protection des mineurs, ils paient ces enfants parfois affamés ou en tout cas livrés à leur sort en sachant que de toute façon même en cas d’interpellation, il est rare qu’ils terminent en prison. Pas au terme d’une seule interpellation en tout cas.
Mayotte : une zone de non-droit ?
Le trafic de deux roues au sein des mangroves de l’île n’est que l’une des facettes du banditisme qui règne à Mayotte. Dans les forêts de l’île, plusieurs « repères » de délinquants sont connus des policiers et même parfois de la population, sans que rien ne soit fait pour régler le problème une bonne fois pour toute. Un éducateur s’occupant de jeunes délinquants nous a parlé notamment d’un célèbre repaire situé dans la brousse autour de Combani. Surnommé « le château », il est le refuge d’un bon nombre de jeunes voyous qui y amènent leur butin et son existence est presque de notoriété publique dans le centre de l’île. Pourquoi ne fait-il pas alors l’objet d’une intervention des forces policières ? « Des opérations sont organisées parfois, mais les délinquants connaissent bien mieux le terrain que nous et il nous est très difficile de les interpeler », nous confie un policier. Une réponse qui paraît un peu légère pour justifier de continuer à laisser la délinquance gangréner l’île, provoquant régulièrement l’exaspération des habitants. Si les policiers « classiques » n’ont peut-être pas les compétences requises pour éradiquer ces bandes organisées, les forces spéciales pourraient sans doute s’en charger sans problème.
À moins que l’État ne nous cache quelque-chose et qu’il n’ait un intérêt quelconque à laisser la délinquance s’installer ainsi sur l’île aux parfums… La question est : pourquoi ? N’étant pas dans les « petits papiers » du ministère des Affaires étrangères, nous n’avons pas de réponse à apporter à cette question, mais il est néanmoins clair que la gestion de Mayotte par la France est pour le moins étrange et que beaucoup d’éléments du problème sont dissimulés à la population. Mais nous sommes peut-être par trop complotistes…