Si les mentalités progressent d’elles-mêmes au sujet de la natalité, il est un secteur sur lequel les institutions mahoraises peuvent agir : la contraception. Son accès et sa conception, encore trop archaïques sur le territoire, sont améliorés par l’ARS (Agence régionale de santé) et les associations, qui ciblent les nouvelles générations de l’île.
Les chiffres de l’enquête de l’INED et de l’INSEE, compilés en novembre 2020, sont troublants : 44% des personnes mahoraises âgées de 18 à 44 ans n’utilisent aucun moyen de contraception lorsqu’elles font l’amour. N’en déplaise à la technique du « retrait« , fortement citée par les interrogés. Pour Fatiha Djabour, directrice adjointe de la Santé publique à l’ARS de Mayotte, ce manque de recours à la contraception tient en trois points. « Il y a déjà le problème de l’accès, affirme-t-elle. On a des taux de natalité si importants qu’ils occupent toutes les professions de santé. Les structures de soins ont donc moins de moyens et de temps pour le sujet de la contraception. Le deuxième enjeu concerne toute la précarité que l’on a sur le territoire, et notamment la question de disposer ou pas d’une couverture sociale. »
Une charge qui est aussi masculine
Le troisième facteur, sociétal, tient en une défiance à propos des moyens de contraception. « Nous avons des spécificités qui sont propres à notre territoire, donc on n’est clairement pas sur le même contexte que dans l’Hexagone« , continue Fatiha Djabour, explicitée par Mlaili Condro, docteur en sciences du langage. « Je pense que, pour beaucoup d’hommes, la capote est une sorte d’obstacle à l’épanouissement sexuel, analyse-t-il. Pour beaucoup d’entre eux, la contraception est l’une des charges que la femme a à porter dans un couple, ça relève de sa responsabilité. L’homme se donne toute liberté de jouir, d’avoir ce rapport non-protégé et de le vivre dans la chaleur du corps humain. » Rééquilibrer ce rapport homme-femme à la contraception est donc l’un des objectifs de l’ARS, qui multiplie les campagnes de sensibilisation.
« Nous sommes bien conscients que travailler sur une campagne de communication ne suffit pas, déclare la directrice adjointe de la Santé publique de l’agence. Nous souhaitons vraiment provoquer une réflexion. » Ainsi, l’ARS a profité de la journée mondiale de la contraception, le 26 septembre dernier, pour mettre en place une campagne d’affichage et plusieurs initiatives, avec notamment « un café intergénérationnel du Repema [Réseau périnatal de Mayotte, NDLR], des consultations menées par des sages-femmes de PMI dans le camion Repemobile dans différents villages avec prescription de contraceptifs et distribution de préservatifs « . Ces derniers sont justement au cœur de la stratégie de l’ARS, afin de remobiliser les hommes mahorais sur la contraception : « Nous avons un objectif bien précis, puisque nous visons une distribution de 300 000 préservatifs, majoritairement externes« .
Un billet d’avion pour un selfie avec un préservatif
Et l’agence régionale de santé n’est pas la seule à décapoter les tabous. C’est aussi l’objectif de l’AEJM, l’association des étudiants et des jeunes de Mayotte, qui lance depuis plusieurs années son concours « Selfise ton préservatif« . Du 30 novembre 2021 au 6 février 2022, les jeunes de 15 à 25 ans sont ainsi appelés à publier un selfie avec un préservatif, ainsi qu’un message de prévention. « L’objectif est de sensibiliser le maximum de jeunes sur l’utilisation du préservatif, explique Roukia Arfachadi, coordinatrice santé de l’AEJM. C’est plus facile de le mettre en avant avec leurs phrases que d’utiliser des formules toutes faites. » Le 14 février, les auteurs des meilleurs selfies seront conviés par l’association, qui leur remettra « de nombreux lots« , dont un aller-retour Dzaoudzi-Paris et un smartphone.
Au quotidien, l’AEJM intervient aussi dans les établissements scolaires sur les questions de prévention en matière de santé sexuelle et de contraception. « C’est ouvert, les jeunes peuvent poser leurs questions, continue Roukia Arfachadi. On a aussi un camion devant l’établissement, qui sert à la même chose. On va vers eux, on leur amène des préservatifs, et on a une mallette de contraception avec tous les moyens existants. » Les actions de sensibilisation se multiplient donc auprès des jeunes, qui étaient encore 31% à ne pas utiliser de contraception en 2016. Mais les choses changent. « Lors de nos événements, on a des jeunes qui viennent nous demander des préservatifs, parce qu’ils ont envie de se protéger, ne veulent pas avoir d’enfants, ni attraper des maladies« , affirme la coordinatrice santé de l’AEJM, rejointe par l’ARS.
« Les jeunes ont des aspirations autres, souhaitent avoir moins d’enfants que leurs aînés, confirme Fatiha Djabour. On ne fait pas les mêmes choix selon le niveau d’étude et les moyens dont on dispose. Les hommes viennent par exemple au camion de la Repemobile pour demander des informations. On a quand même distribué plus de 2800 préservatif, 67 plaquettes de pilules, 10 implants ont été posés… Les gens adhèrent. » L’objectif, que ce soit pour l’Etat ou les associations, est donc de vulgariser l’utilisation du préservatif et des autres moyens de contraception, en levant les tabous. Reste désormais aux jeunes mahoraises et mahorais d’assumer leur sexualité et d’avoir conscience des risques : en 2016, 70% des femmes ayant déjà eu un enfant utilisaient un moyen de contraception. Parmi celles qui n’avaient pas (encore) d’enfant, elles n’étaient que 14%.
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