Guito narayanin : « la délinquance en col blanc est tolérée à Mayotte »

Le patron d’IBS Guito Narayanin a réalisé une intervention remarquée ce jeudi sur le plateau de Kalaoidala au sujet de la crise de l’eau à Mayotte. Face à ce qu’il qualifie de « système mafieux » l’entrepreneur envisage désormais une action en justice groupée pour que « la vérité sorte« . Retour sur un débat mouvementé riche en propositions.

Flash infos : Afin de comprendre votre présence sur le plateau de Kalaoidala, expliquez-nous en quoi IBS est un acteur pertinent pour s’exprimer sur le sujet de la crise de l’eau à Mayotte ?

Guito Narayanin : A l’origine, je suis venu en tant que chef d’entreprise pour plaider la cause des entrepreneurs. Je fais travailler une cinquantaine de sous-traitants. Quand je vois leur misère sur les chantiers qui n’ont pas d’eau… c’est une catastrophe ! On leur demande de respecter les gestes barrières alors qu’ils n’ont pas d’eau. Or, alimenter un chantier en eau nécessite beaucoup de moyens. Je suis donc intervenu en tant qu’entrepreneur pour exprimer des solutions d’économies et rappeler la nécessité d’équiper les salariés afin de leur permettre de travailler correctement.

F.I. : Comment affrontez-vous ce problème sur vos chantiers ?

G.N. : Nous avons 4 véhicules de transport d’eau qui tournent à fond. Nous avons également un toit de 3500 m2 qui nous permet de stocker de l’eau et de remplir une partie des camions. C’est une installation réalisée sous notre propre initiative. Je pense que l’État devrait imposer dans les permis de construire un système de récupération d’eau avec une pompe de relevage pour les sites de plus de 200m2. Cela doit être financé par des fonds publics. Des enveloppes européennes sont d’ailleurs prévues pour ça dans le cadre des économies d’énergie ou du recyclage.

F.I. : Quelle est la part de responsabilité des différents acteurs en présence dans le dossier de crise de l’eau à Mayotte (SMAE, SMEAM, SOGEA) ?

G.N. : Je considère qu’il y a une responsabilité partagée entre l’Etat, le SMEAM et la SMAE. D’un point de vue légal, ce n’est pas normal qu’il y ait dans le conseil d’administration du SMEAM un avocat de SOGEA et de la SMAE en la personne de Yanis Souhaïli. Celui-ci est l’avocat du groupe Vinci. On devrait surveiller que les gens ne soient pas juge et partie. J’assume ces propos et je suis prêt à les défendre s’il m’attaque en diffamation. Cet homme défend ses clients avant l’intérêt de la population alors même qu’on attend de lui un travail d’intérêt public. C’est une confusion de genre inacceptable.
J’ai écrit une lettre au maire de SADA avant sa nomination pour dire « Vous envoyez le bras armé de Vinci et cela va générer un conflit d’intérêt ». Désormais, Yanis Souhaïli dédouane la SMAE alors que celle-ci touche plus de 8 millions d’euros pour une usine qui ne fonctionne pas. De 2017 à maintenant, cette usine n’a jamais produit plus de 2000m3 d’eau par jour, or le cahier des charges imposait 5000m3, dont 3000m3 pour Petite Terre et 2000m3 pour renvoyer sur Grande Terre. Aujourd’hui c’est toujours la Grande Terre qui envoie sur Petite Terre. C’est un scandale. La délinquance en col blanc est tolérée à Mayotte. Ce système mafieux ne peut plus perdurer. L’état doit faire son boulot.

F.I. : Qui est responsable de l’échec des deux principaux projets annoncés par l’État en 2017 : L’usine de dessalement et la 3ème retenue collinaire ?

G.N. : Si on regarde objectivement, le SMEAM est dévolu à cette organisation. Il y a eu certains problèmes avec les communes qui siègent là-dedans. Il faut rappeler l’importance du contrôle de légalité. Certaines choses inacceptables ont été acceptées. Il fallait remettre de l’ordre. Je suis le plus vieil élu des chambres de commerces de France. Je peux vous garantir qu’au sein de la chambre de commerce, le contrôle des comptes est rigoureux. Or ici, le contrôle de légalité n’a pas été performant.

F.I. Selon vous, où sont passés les millions d’euros déboursés par l’État en 2017 ?

G.N. : Il faut demander au PNF. Ils ont les outils et les moyens pour analyser ça. Moi je ne suis pas policier, je suis casseur de cailloux. Ils doivent trouver le corrupteur. Le PNF est payé par nos impôts pour ça. Ils ont accès à des dossiers que moi j’ai pas.

F.I. Vous évoquez à plusieurs reprises un système « mafieux« . Comment justifiez-vous un tel qualificatif ?

G.N. : Si on lance un appel d’offre et qu’on trouve quelqu’un capable de réaliser les travaux attendus pour 5 millions d’euros, il faut se demander où sont passés les 3,5 millions restants. Car je suis intimement convaincu que cette usine ne vaut pas ce prix. Il y a également une obligation de résultat. Quand on voit qu’il y a des produits toxiques dans l’eau, et que les gens sont taxés, où est l’obligation de résultat ? Si on me demande de livrer des cailloux, je livre des cailloux. Je dois respecter ce cahier des charges.

F.I. C’est une faute professionnelle ou un manque de rigueur… pas un système mafieux.

G.N. : C’est un système mafieux car ce manque de rigueur est toléré. Des plaintes devraient être déposées par toutes les institutions. Il y a un abus de confiance et de pouvoir ainsi qu’un défaut de respect du cahier des charges. Mon problème c’est que je n’ai accès à celui-ci. Mais ça m’étonnerait qu’un cahier des charges indique : « Faites de votre mieux. Si vous arrivez à nous sortir un peu d’eau c’est bien« . C’est en ce sens que je parle de responsabilité partagée.

F.I : Vous avez invité la population à une action en justice groupée financée par vos fonds propres. Au-delà de l’effet d’annonce, avez vous un calendrier d’action concret à proposer dans cet objectif ?

G.N. : J’ai en effet pris les devant. Nous avons déjà travaillé sur une bonne partie du dossier. Personnellement, je n’ai pas qualité à agir, mais les associations de défense de la population peuvent le faire. Je suis prêt à les financer sur mes deniers personnels. Quel qu’en soit le coût, je suis prêt à rassembler les meilleurs avocats de France sur ce dossier. Nous allons prendre les mêmes avocats qui ont gagné devant la Cise (Compagnie des eaux de la Réunion NDLR) qui a été condamnée à payer des bouteilles d’eau aux usagers. J’ai été contacté par plusieurs personnes depuis l’émission. Trois associations sont prêtes à se constituer. Il faut rappeler qu’il s’agit de bénévoles. Je peux comprendre qu’ils n’ont pas les moyens de mener ces actions. Raison pour laquelle je suis prêt à financer un procès une bonne fois pour toute pour que la vérité sorte.

F.I. : Soutenez-vous la proposition de Ousséni Balahachi de pratiquer la désobéissance civile en ne payant plus de factures ?

G.N. : Il y a un gros problème là-dedans. Théoriquement, la loi interdit de couper l’eau. A titre d’exemple, je connais quelqu’un qui a arrêté de payer ses factures. Une semaine après, il n’y avait qu’un filet d’eau de son robinet. Lorsqu’il a demandé une explication, on lui a répondu : « Vous n’avez pas payé vos factures donc voici le résultat« . Ils ont donc trouvé l’astuce : Ils ne ferment pas l’eau, mais réduisent le volume. C’est particulièrement malhonnête.

F.I. : Vous ne soutenez donc pas cette initiative…

G.N. : Non ! Je suis favorable. Cependant, s’ils continuent d’étrangler le débit, nous allons nous diriger vers une réaction comparable à la Guadeloupe. Ça va être la réponse de la rue.

F.I. : Quel est votre regard sur l’attitude de l’ARS qui peine à engager des mesures contraignantes alors que nous sommes dans une pandémie ?

G.N. : L’ARS ne remplit pas sa mission. Elle devrait avoir une action de régulation. Elle doit avoir une analyse générale et dire « vous ne pouvez pas donner de l’eau pourrie aux gens« . La manganèse est nocive pour la santé. C’est un véritable poison que l’on donne aux gens !
Au-delà des enjeux liés à la surpopulation, la crise de l’eau est aujourd’hui le résultat d’une défaillance des acteurs politiques et institutionnels. Comment expliquez-vous que l’on continue pourtant à pointer du doigt le consommateur sur le gaspillage ou l’utilisation des rampes d’eau dans les bidonvilles par exemple ?
Je suis militaire de formation. Je peux vous dire qu’il est plus facile de tirer sur une ambulance que sur un char d’assaut. Tirer sur des pauvres, des misérables qui n’ont pas de moyens de se défendre, c’est ce qu’il y a de plus facile. Le char d’assaut c’est la SMAE et le groupe Vinci qui pèse 43 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Le petit Mahorais qui vole une mangue par contre, il dormira en prison. C’est vraiment tirer sur l’ambulance que d’accuser la population de surconsommer. Des mères de famille salissent les rivières pour laver leurs vêtements. Mais comment peuvent-elles faire si elles n’ont pas d’eau courante ? On se mord la queue. Le bas de la population paie toujours l’addition pendant que le haut boit des cocktails et fait des sorties en bateau. C’est une population qui n’est que de passage ici. Ils ne vivent pas à Mayotte. Moi, je m’y investis depuis 40 ans.

F.I. : N’y-a-t-il pas une attitude néocoloniale de la part des grands acteurs économiques qui continuent de réaliser des profits sur le dos d’une population précaire et plus vulnérable que dans l’hexagone ?

G.N. : Oui. Cette situation coloniale n’a plus sa place. L’autorité perd son autorité en se comportant ainsi. A Mayotte les gens n’ont plus de moyens. En tant qu’entrepreneur, je sais qu’une révolution est dangereuse. Alors ne poussez pas les gens là-dedans.

F.I. Comment expliquez-vous la capacité des Mahorais à accepter l’inacceptable ?

G.N. : C’est une culture. Le Mahorais n’est pas un violent. Quand je vois la gentillesse des Mahorais, je ne comprends pas comment cette population peut accepter autant de conneries. Ils ont une passivité légendaire. Ils ont mal partout, mais continuent de supporter la douleur. Si vous demandez « Comment ça va ? » à un Mahorais ou un Comorien, il répond toujours « Ça va, alhamdouli’Allah » même si son ventre est vide et que son enfant est à l’hôpital. Vous posez la même question à un blanc ou un Réunionnais, il évoquera 10 000 problèmes. C’est culturel.

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