Ils aiment tester de nouveaux produits, ils aiment zapper et ont soif de nouveautés, de changements. Très peu d’anciennes équipes municipales ont été reconduites. Et lorsqu’elles l’ont été, elles ont réussi à l’arraché, dans la contestation, et trainent des recours devant les tribunaux administratifs. C’est le cas à Dembéni où Soihibou Hamada l’emporte de 7 petites voix, à Chirongui où Roukia Lahadji ne devance son adversaire que de 43 voix et encore à Ouangani où Ali Ahmed Combo alias « Maradona » a semé son poursuivant de quelques dizaines de voix. A Pamandzi, l’équipe sortante s’en sort un peu mieux et à Koungou, le tout jeune maire, Assani Saïndou Bamcolo, poussé en avant en janvier 2012 pour sortir de l’impasse la commune, a réussi son pari. Mais dans les deux cas il s’agissait de triangulaires (une fausse quadrangulaire dans le cas de Koungou, puisqu’un des quatre candidats avait refusé d’imprimer ses bulletins et soutenait officieusement une de ses adversaires).
Le changement de têtes s’explique en partie par la jeunesse de la population, parmi les électeurs de 2014, nombreux sont ceux qui n’avaient pas voté en 2008 car ils étaient trop jeunes pour le faire. Or les jeunes, dans toutes les sociétés, et Mayotte n’y déroge pas, ont moins de conscience politique que les plus âgés. Ils votent moins et quand ils le font, ce sont pour des considérations triviales, le look du candidat, le choix familial, une certaine crédulité face aux promesses électorales, la joie d’avoir pu partager un voulé arrosé au frais de la princesse.
Les choix électoraux se sont aussi réalisés en fonction de considérations plus terre à terre. Beaucoup de Mahorais ont voté pour soutenir un membre de leur famille en pensant que cela lui donnait une chance d’obtenir de la reconnaissance sociale, une indemnité d’élu, de peser dans les décisions foncières, attribution de permis de construire, régularisation de terrain. D’autres ont vu la possibilité de gravir la tête des syndicats intercommunaux en devenant délégué pour accéder à une vice-présidence et toucher, là encore, des indemnités. Les élections à la tête du syndicat d’investissement le vendredi 2 mai prochain (date annoncée pour l’instant) donneront un premier aperçu de ces séquelles des municipales.
Les choix électoraux se sont beaucoup portés sur la personnalité des candidats, leurs traits de caractère plus que leur formation, leur parcours, leurs compétences, leurs réalisations. Ainsi, certains maires sortants, unanimement reconnus par les partenaires institutionnels, les entrepreneurs, comme de bons gestionnaires ont été déboulonnés à la grande surprise de ce petit monde de décideurs. C’est le cas de Fahardine Ahamada à Bandraboua, d’Ibrahim Boinahéry à Tsingoni.
De responsabilité, de mise en place de la fiscalité locale, de gestion saine des finances communales, de projets d’investissements structurants pour le territoire, il n’en a pas été beaucoup question lors de ce vote. Ce qui ressort des élections et des programmes électoraux, c’est l’absence de vision politique à moyen et long terme, le vide sidérale de la force de proposition. La donne politique a ainsi beaucoup changé. Le Mouvement pour le développement de Mayotte a perdu encore du terrain et seuls deux maires portant cette étiquette historique se sont fait élire (à Bandrélé et Mtzamboro). Changer le mot « Département » en « Développement » ne fait pas un projet politique. Il faudrait d’abord définir ce qu’est le développement pour vouloir y concourir. Le Parti socialiste a connu le même sort face à son impossibilité à se structurer, à se développer, en raison de son organisation interne, complètement inerte. Un seul candidat avec cette étiquette est passé, Ahmed Darouèche à Acoua et la tâche qui lui incombe rappelle pour beaucoup le cinquième des 12 travaux d’Hercule lorsqu’on lui confia la mission de nettoyer les Ecurie d’Augias. Surtout que la tempête Hellen n’a rien arrangé.Seule l’UMP est arrivée à tirer son épingle du jeu, malgré les nombreuses dissidences en décrochant six mairies. Cela est dû à une réflexion sur le choix des candidats, à une stratégie de conquête électorale plus qu’à une offre politique et à un véritable projet de société.
Les trois formations politiques (UMP, PS, MDM) sont traversées par des dissensions en interne, des querelles de personnes qui paraissent insurmontables. On a ainsi vu durant les élections des personnalités appeler à voter contre leurs « amis politiques ». De fait les partis n’ont jamais été aussi faibles et la classe politique mahoraise aussi divisée, morcelée. Et ce, au moment même où l’Europe commence à exiger des projets d’ensemble, des programmes d’investissement pluriannuel, des dossiers précis et détaillés, défendus par tous les élus mains dans la main. Sans prise de conscience rapide des enjeux, le réveil sera douloureux…
Adrien Theilleux
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