En visite à Mayotte pendant deux jours, les 9 et 10 novembre, à l’occasion de l’assemblée générale du comité départemental des experts-comptables, Lionel Canesi, le président de l’ordre national de la profession, a profité de son séjour pour rencontrer différents acteurs économiques et politiques afin de dresser un constat de la situation locale. Entretien.
Flash Infos : Vous êtes le président de l’ordre national des experts-comptables depuis le 15 décembre 2020. Une organisation pas forcément très connue sur l’île aux parfums. Concrètement, en quoi consiste-t-elle ?
Lionel Canesi : Les experts-comptables ont aujourd’hui un rôle essentiel qui est d’accompagner les entreprises, à la fois pour trouver les aides et les préparer à la relance dans le but de sauver les TPE. C’est capital, c’est ce qui nous anime tous depuis le premier confinement, qui a mis en valeur notre métier qui était parfois méconnu.
Je profite de l’assemblée générale du comité départemental des experts-comptables de Mayotte, dont le président est Djoumoi Ramia, pour rencontrer des interlocuteurs du monde économique et politique et pour venir porter la parole des experts-comptables sur cette sortie de crise. C’est un message qui est important à nos yeux.
Quand j’ai débuté ma mandature, j’ai commencé par faire 50 propositions de relance de l’économie, que j’ai portées dans les différents ministères, dont une quinzaine ont été reprises par le gouvernement, comme certains fonds de solidarité, le coût fixe, les procédures de sauvegarde simplifiées…
FI : Certaines de ces propositions étaient-elles spécifiques aux Outre-mer ?
L. C. : Très peu, seulement une ou deux… Originaire de Corse, je connais ces problèmes d’insularité, mais aussi ces particularités et ces complexités. Donc nous avons décidé de rédiger un livre spécifique de propositions ultramarines qui est porté par Abdoullah Lala, le président du comité Outre-mer. D’ici une dizaine de jours, je rencontrerai Sébastien Lecornu, le ministre des Outre-mer, pour lui présenter ces mesures.
FI : Dans quel état d’esprit vous trouvez-vous avant cet entretien ?
L. C. : Si nous n’essayons pas, nous n’y arriverons pas ! Il faut que les mesures viennent du terrain : ce n’est pas depuis Paris que nous allons trouver des solutions pour les territoires ultramarins. Nous allons les défendre et expliquer leur intérêt pour les entreprises. Après il ne faut pas se cacher derrière la facilité comme les réductions, les avantages fiscaux, etc. Au vu du contexte actuel et de l’endettement du pays, je ne suis pas sûr que ce soit la bonne stratégie à adopter.
FI : Selon vous, quelle position devrait défendre le 101ème département ?
L. C. : Mayotte a plein d’atouts, mais ce n’est pas en attribuant encore et encore des subventions et des réductions fiscales que l’économie et la mobilité vont se développer. Comment voulez-vous tirer le territoire vers le haut avec de tels bouchons ? Je me mets à la place des artisans qui doivent se déplacer pour se rendre sur un chantier, c’est invivable… Il faut aussi mettre le paquet sur l’éducation en faisant en sorte que les élèves aient des débouchés économiques.
FI : Justement, en parlant d’éducation, vous avez au cours de votre séjour rencontré le recteur, Gilles Halbout, ainsi que des étudiants en Petite-Terre. Un moyen de mettre en lumière la voie de la comptabilité et de la gestion.
L. C. : C’est une profession qui ne connaît pas la crise en termes de chômage et qui a des besoins de recrutement non pourvus. Rien qu’à Mayotte, il y a 150 postes vacants… Et 10.000 au niveau national ! En clair, les étudiants sont sûrs et certains de trouver un boulot à la fin de leurs études. C’est aussi une formation qui mène à beaucoup de choses : si nous préférons lancer notre entreprise plutôt que de travailler dans la branche, c’est toujours mieux d’avoir des notions de comptabilité et de gestion. Sans omettre l’ascenseur social. Il y a très peu d’experts-comptables qui sont fils d’experts-comptables.
Pour revenir au recteur, je l’ai trouvé très à l’écoute des besoins des entreprises. Il a envie de mettre en place les formations en fonction des demandes pour faire rayonner le territoire. De notre côté, nous lui avons fait part de notre volonté de proposer un bac+3 car une grande partie de notre métier se digitalise et doit monter en compétences. Banco, la licence débute à partir de la rentrée prochaine !
FI : Parmi vos autres rendez-vous, il y a eu celles avec le président du conseil départemental et le secrétariat général des affaires régionales pour échanger sur le plan de relance et la situation économique. Qu’en est-il ressorti ?
L. C. : Par rapport aux aides à la crise, je défends leur territorialisation, leur sectorisation et leur temporalité. Nous ne pouvons pas traiter de la même manière un restaurant à Marseille et à Mayotte. La courbe de l’épidémie n’est pas la même !
Après, il y a le plan de relance et d’investissement qui arrive. Il faut en profiter pour que les territoires portent des idées et des projets structurants. Il y a des secteurs d’activités porteurs à pousser, comme ceux de la biodiversité, du transport, de la construction, du numérique… Il faut que les acteurs du territoire s’unissent ! La période actuelle demande de la solidarité. C’est le moment de récupérer des fonds : il reste 50 milliards d’euros sur la table.
FI : Vous avez également rencontré le président de la CPME (confédération des petites et moyennes entreprises) pour évoquer les difficultés et le quotidien des petites entreprises. Une étape incontournable pour pouvoir assimiler les subtilités locales.
L. C. : Quand je rencontre Bruno Le Maire ou Alain Griset, c’est important de porter les revendications des différents territoires. Une TPE reste une TPE, mais chacune a ses complexités locales. C’est nécessaire de comprendre pour pouvoir aider. Je l’ai fait pour La Réunion, la Martinique et la Guadeloupe, au tour de Mayotte !
Comme je le disais précédemment, il faut flécher la fiscalité et les réductions d’impôts vers les secteurs incitatifs. De cette manière, nous pouvons influencer les dirigeants à se tourner vers ceux qui sont l’avenir de l’île, plutôt que d’aider des entreprises qui font des bénéfices. Or bien souvent, pour se donner bonne conscience, il suffit de saupoudrer…
FI : Le prix annuel de suivi des cabinets d’experts-comptables s’élève en moyenne 1.500 euros en métropole contre 2.900 euros à Mayotte pour une entreprise individuelle. Comment l’expliquez-vous ?
L. C. : Pour le national, cela ne veut strictement rien dire ! Une entreprise individuelle peut y avoir une facture client par mois, comme mille… Il faut juste savoir qu’il n’y a ni de numerus clausus chez les experts-comptables ni de tarifs fixés. Nous sommes en totale concurrence, donc il n’y a aucune raison que les montants appliqués soient plus élevés d’un territoire à l’autre.
La moyenne nationale d’un dossier est à peu près de 2.400 euros. Je vous mets au défi de rencontrer tous les cabinets de Mayotte : vous verrez qu’ils ne sont pas plus chers qu’en métropole. Les experts-comptables sont les seuls autorisés à tenir des comptabilités. Les autres, ceux que l’on appelle les comptables « marrons », sont dans l’illégalité. Ce n’est pas du corporatisme : comme ils n’ont pas les compétences, ces derniers font prendre des risques aux entreprises ! Après, nous pouvons toujours trouver qu’un expert-comptable est onéreux, mais sa plus-value est bien plus importante que le coût en face.