En vigueur depuis le 15 septembre, l’obligation vaccinale pour les personnels exerçant à l’hôpital ou en maison de retraite en a poussé quelques-uns vers la sortie. De quoi mettre sous tension des effectifs déjà insuffisants dans le 101ème département.
23. C’est le nombre de soignants, tous services et toutes professions confondues, qui ont été “mis en congés” au centre hospitalier de Mayotte depuis l’entrée en vigueur de l’obligation vaccinale le mercredi 15 septembre, selon un décompte effectué vendredi dernier par l’établissement. “Attention, ce n’est pas une suspension, qui est l’antichambre de la sanction. Là, ces gens utilisent leurs congés pour réfléchir, et d’ailleurs beaucoup reviennent à la raison et se font vacciner”, insiste Christophe Blanchard, le directeur par intérim du CHM. Si, à la veille de la date fatidique, certains professionnels de santé espéraient voir le 101ème département, déjà confronté en temps normal à un désert médical, bénéficier d’une certaine souplesse quant à l’application de la loi, ils auront vite déchanté. “Je suis en arrêt maladie depuis mercredi car on nous a dit qu’on ne pouvait pas aller travailler”, lâche, dépitée, une soignante qui souhaite garder l’anonymat.
Malgré de nombreux appels du pied, Christophe Blanchard explique avoir eu les mains liées : “En aucun cas, je ne peux cautionner de dérogation, même s’il y a des sous-effectifs. Je suis pénalement exposé, je ne peux pas laisser contaminer des collègues ou encore laisser la possibilité d’un cluster à l’hôpital.” Il faut dire qu’en vertu de la loi du 5 août 2021, relative à la gestion de la crise, l’employeur qui méconnaîtrait l’obligation de contrôler le respect de l’obligation vaccinale s’expose en effet à une amende de 1.000 euros (pour les personnes morales), et, en cas de récidives verbalisées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, à un an d’emprisonnement et 9.000 euros d’amende. De quoi dissuader même les plus laxistes des patrons !
Les soignants qui n’ont pas fait remonter leur certificat de vaccination à leur cadre ou à la médecine du travail au 15 septembre ont donc été mis en congé forcé “en attendant que leur situation sanitaire se régularise”. En l’absence de jours de congés et si la situation n’est pas régularisée, des sanctions sur le salaire sont à prévoir.
Un poids de plus pour les effectifs restants
Le risque ? Perturber des services déjà sous-tension en temps normal. Selon l’établissement, les impacts restent pour l’instant limités à la refonte des plannings. “À ma connaissance, huit médecins ne veulent pas se soumettre à l’obligation vaccinale, et déjà trois ne peuvent plus travailler. Alors qu’on est déjà en manque de médecins ! C’est assez grave ce qui se passe”, dénonce une autre soignante. D’après nos informations, les suspensions ont déjà conduit à l’arrêt de certaines formations et la fermeture d’une ligne de SMUR, pendant trois jours à la fin du mois de septembre. Pire, du côté du caisson hyperbare, qui permet entre autres de traiter les accidents de plongée ou de faciliter la cicatrisation de plaies liées au diabète, la réduction des effectifs va mettre une charge de plus sur les médecins restants. Et risque d’empêcher l’admission de nouveaux patients dans la filière, qui seront si besoin évasanés à La Réunion.
L’heure de la reconversion ?
Bien sûr, ces soignants non vaccinés restent aujourd’hui minoritaires : 23 sur quelque 2.000 personnels de l’hôpital. Mais pour certains, c’est la goutte de trop. “Je suis en train de regarder pour une reconversion, si on ne veut pas de nous au CHM. Je peux faire de l’agriculture”, avance une infirmière. “Même si on lève l’obligation vaccinale à Mayotte dans deux semaines, je ne reviens pas travailler. Déjà, si c’est pour mettre le passe sanitaire, c’est non”, persiste et signe un médecin, lui aussi anonyme, soulagé de ne plus avoir à “faire le grand écart”. “J’en suis à un point où je n’ai plus envie de travailler dans ce système de santé français, je ne me reconnais plus dans ses valeurs. J’ai une éthique de travail, et il y a des choses sur lesquelles je ne peux pas transiger”, ajoute-t-il. Même son de cloche pour une autre soignante, qui déplore la fin du “secret médical, de la liberté d’exercer, du consentement éclairé”.
Le secret médical, l’épine dans le pied des employeurs
Pour ces professionnels de santé désabusés, la rupture du secret médical a en effet tracé une ligne rouge. Il faut dire qu’un tableur, dont les données ont heureusement été effacées depuis, circulait en juillet pour noter les noms, prénoms et statut vaccinal des personnels… De quoi mettre tout ce beau monde sur les dents, encore aujourd’hui. “Maintenant, ils ont créé un code spécifique ‘‘congés pour absence de vaccination’’ sur les plannings, au mépris total du secret médical, ça me rend dingue !”, s’insurge l’un. “Dans la dernière note d’information, ils nous ont mis une adresse mail, soit disant de la médecine du travail, mais quand on tape l’adresse, on se rend compte qu’il y a cinq adresses dont une personne de la DRH !”, dénonce l’autre, aux aguets. “Cette adresse renvoie aux trois infirmières et au médecin, en aucun cas un administratif comme moi ne doit avoir accès aux données médicales”, répond le directeur du CHM, qui assure aller vérifier de ce pas la liste en question. Quant au code sur les plannings, “il s’agit du congé d’office que l’employeur renseigne dans le logiciel”, d’habitude utilisé pour des situations exceptionnelles de fatigue ou de danger pour soi ou son service.
Il faut noter ici que la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a prévu une dérogation au secret médical, en créant la cinquième obligation vaccinale des professionnels exerçant à l’hôpital et en maison de retraite, au même titre que l’hépatite B, la diphtérie, le tétanos, et la poliomyélite. S’il revient d’habitude à la médecine du travail de contrôler les certificats de vaccination, le nouveau texte législatif a élargi cette compétence directement à l’employeur, à condition de respecter “une forme ne permettant d’identifier que la nature de celui-ci et l’information selon laquelle le schéma vaccinal de la personne est complet« . Soit par exemple le QR code de l’application “TousAntiCovid Vérif”, pour ne citer qu’elle.