Au niveau national, l’obligation de se faire vacciner contre le Covid-19 entre en vigueur ce mercredi 15 septembre. Alors que 88% des personnels ont reçu au moins une dose en France, à Mayotte comme ailleurs, des doutes subsistent dans les rangs de certains professionnels.
C’est le jour J. À partir de ce mercredi 15 septembre, les soignants doivent se plier à l’obligation vaccinale, sauf contre-indication médicale. Plus précisément, comme le dispose la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise, les personnels des secteurs sanitaire et médico-social peuvent continuer à exercer leurs activités professionnelles s’ils justifient de l’administration d’au moins une dose pour les vaccins à double-injection, sous réserve d’un test négatif toutes les 72h jusqu’à disposer d’un schéma vaccinal complet, dont la date butoire a été fixée au 15 octobre. D’après le dernier bulletin de Santé Publique France, 88% des personnels soignants salariés en établissements de santé faisaient partie de ce premier cas de figure, en date du 7 septembre.
Problème : à Mayotte, la part des soignants non-vaccinés pourrait bien être un peu plus élevée. “Au CHM, il y a encore quelques réticences, je pense qu’on doit avoir peut-être 30% qui ne sont pas vaccinés”, chiffre à la louche Abdoul-Wassion Arkaddine, représentant syndical Force Ouvrière au centre hospitalier. Contacté, l’hôpital n’a pas de données à communiquer à l’heure où nous écrivons ces lignes. “Ce sont des informations médicales auxquelles nous n’avons pas accès, néanmoins toute personne vaccinée doit faire remonter son certificat au niveau de la médecine du travail, nous en saurons plus à ce moment-là”, nous explique-t-on.
Passe sanitaire ou salaire ?
Selon la loi, les professionnels qui ne pourront pas présenter de preuve vaccinale seront suspendus, sans salaire. “La suspension dure tant que l’agent ne remplit pas les conditions nécessaires à l’exercice de son activité”, précise le ministère des Solidarités et de la Santé. Mais, pédagogie oblige, la règle semble avoir été légèrement adoucie pour les soignants de l’île aux parfums. Ainsi, dès ce mercredi, seront en réalité contrôlés les passes sanitaires, avec les trois options habituelles : soit la vaccination, soit un test antigénique ou PCR de moins de 72h, soit un certificat de rétablissement. Sans l’une de ces trois conditions, le salarié pourra se voir proposer de prendre des congés, ou bien, s’il n’en dispose plus, une suspension de salaire risquera de s’appliquer.
Un dispositif qui fait déjà grincer quelques dents, malgré le laps de temps accordé. “Dès le départ, nous tenions à ce que le vaccin ne soit pas imposé aux personnels à Mayotte, c’est pourquoi nous avons proposé à la direction lors d’une réunion du CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), un protocole de mise en œuvre du passe sanitaire”, retrace Mouayad Madjidi, le délégué syndical SUD Santé Sociaux au CHM. “Or, ce protocole prévoyait un temps de pédagogie et d’organisation, à savoir deux semaines pour essayer la méthodologie à mettre en place, chose que nous n’avons pas pu faire aujourd’hui”, regrette le syndicaliste. Son organisation avait également demandé le recrutement d’aide-soignants supplémentaires pour contrôler les passes à l’entrée et ne pas “puiser sur des effectifs insuffisants”. Enfin, un suivi des personnes vaccinées devait être assuré par la médecine du travail. “Ceux qui se sont fait vacciner sont ceux qui voulaient voyager. Mais il y a une majorité pour qui ce n’est pas le cas : et ils ne veulent pas recevoir le vaccin, car ils ne connaissent pas leur état de santé.”
“J’ai trouvé que c’était du chantage”
Or, dans les couloirs, le bouche-à-oreille va bon train pour rapporter les histoires des collègues ayant développé des effets secondaires après l’injection. “J’ai des témoignages qui font état d’effets récurrents et invalidants pour aller travailler, il y en a qui ont des problèmes musculaires et se fatiguent très vite… Et on ne peut pas les relater car il ne faut surtout pas dire que c’est lié au vaccin !”, s’inquiète ainsi une soignante, qui préfère garder l’anonymat.
Elle n’a pas encore reçu sa première dose. Mais plutôt par conviction que par crainte de symptômes indésirables, insiste-t-elle. “J’étais partie pour me faire vacciner. Mais le jour où le président a déclaré que c’était obligatoire, j’ai trouvé que c’était du chantage. Quand on était positif au Covid, on nous obligeait à aller travailler, parfois avec un seul masque pour toute la journée et maintenant qu’on a des vaccins en grande quantité, c’est obligatoire ?”, s’agace-t-elle. Ce mercredi, pour rejoindre son poste, l’infirmière ira faire un test antigénique. Même si elle sait que la porte se refermera inexorablement. “Personnellement, je suis prête à rester cinq mois sans salaire s’il le faut. Mais si je me retrouve toute seule, je vais devoir jeter les armes. Sans qu’on sache après vers qui se tourner en cas de souci. C’est dommage d’en arriver là”, soupire-t-elle.
“On est très divisés sur le vaccin. Mais si ça peut sauver la vie d’une personne ?”
Il n’a pas pu souffler sur ses cinquante bougies. Frappé par le Covid-19 en début d’année, à la veille de son anniversaire, Abdoul-Wassion Arkaddine tente aujourd’hui de sensibiliser les personnes autour de lui à la vaccination. “Je suis passé à un stade très très complexe dans mon existence, et je me rappellerai de mes cinquante ans pendant plusieurs années”, souffle ce régulateur au bloc opératoire qui a été hospitalisé pendant dix jours en février. “À côté de moi, il y avait ce monsieur qui était allongé sur le ventre, de la même manière que moi. Le temps qu’on m’amène au scanner et de revenir, il était décédé. Cette image m’a choqué”, se remémore-il, encore glacé par ce souvenir. Toujours marqué par les séquelles de cette infection, le soignant n’a pas attendu le 15 septembre pour se faire vacciner. “J’y suis allé dès que j’ai pu, de mon propre chef. Et avant cela, j’ai conseillé à mes parents qui sont âgés de le faire : je leur ai dit ‘‘moi là où je suis passé, c’était pas évident à mon âge, alors imaginez, vous !’’. Maintenant dès que j’ai la possibilité autour de moi, je conseille aux gens, j’ai même accompagné quelqu’un qui avait la phobie, pour qu’elle accepte”, déroule Abdoul-Wassion Arkaddine. Alors que l’obligation vaccinale doit entrer en vigueur pour les soignants, le syndicaliste déplore le climat de doute qui règne encore dans les services. La faute, selon lui, des réseaux sociaux, des vidéos qui circulent et “de toutes ces histoires que les gens ont pris pour argent comptant”. “Les scientifiques expliquent en se basant sur les chiffres, sur des études. Mais le citoyen lambda lui, quand il va expliquer que untel habitait là et qu’il est décédé après son injection, les gens ont plus peur”, analyse-t-il. Signe que ces clivages persistent bel et bien, le débat s’est invité jusque dans les réunions du CHSCT. “Dans les commissions, on est très divisés sur le vaccin. Moi je dis à mes camarades, si vous ne voulez pas vous faire vacciner, ne faites pas de la propagande dans les médias, c’est criminel ! Si ça peut sauver la vie d’une personne ? Même si une personne vaccinée attrape la maladie: si ce n’est pas la forme la plus virulente, c’est tant mieux”, conclut-il.