{xtypo_dropcap}L{/xtypo_dropcap}e débat est constructif quand ceux qui le mènent acceptent d'examiner la problématique dans toute sa complexité, sans se retrancher derrière raccourcis et caricatures faciles, et regardent les faits dans leur globalité, non expurgés des éléments qui dérangent.

Trop souvent, il m'a été donné de constater à travers des enquêtes récentes ouvertes à Mayotte que la relation de faits était grossièrement tronquée. Tout élément ne venant pas au soutien d'une thèse prédéterminée – celle de violences policières gratuites naturellement – est délibérément passé sous silence.

Lorsque le procureur de la République entend dire de sources convergentes que gendarmes et policiers se livreraient à des violences dans l'exercice de leurs fonctions, il ne peut considérer a priori qu'il s'agit d'accusations sans fondement… pas plus que de vérités prouvées. Il se doit au contraire d'ouvrir des enquêtes pour établir la réalité des faits.

Le positionnement du parquet de Mamoudzou sur le sujet est simple : pas question de couvrir des violences policières, pas question non plus de laisser injustement accuser policiers et gendarmes lorsqu'ils ont correctement fait leur travail au service de leurs concitoyens, dans un contexte d'intervention de plus en plus difficile.

Depuis le début de l'année 2010, huit enquêtes ont été ouvertes soit sous forme préliminaire, soit en saisissant le juge d'instruction pour rechercher la vérité dans des situations où l'action des forces de police et de gendarmerie est critiquée.

C'est dans ces conditions que j'ai confié, comme le juge d'instruction, certaines des enquêtes impliquant la police à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN). Une délégation de l'IGPN est venue à Mayotte pendant deux semaines au mois de juin pour mener à bien cette mission.

La présente tribune n'est pas le lieu pour livrer des conclusions, de toute façon prématurées, dans telle ou telle enquête. Mais on peut d'ores et déjà observer qu'une constante entre toutes se dégage : les faits sont toujours plus complexes que la description simplifiée et avantageuse qui en est donnée par ceux qui s'en plaignent. Tous ont tu lors de la dénonciation la part de leur propre comportement qui a conduit à l'interpellation. Même si certains en ont convenu par la suite en procédure. Chacun se donne le beau rôle : celui de victime d'une incompréhensible injustice.

La tribune libre intitulée "Au nom de Dieu matraque, du Père menottes…Vive la coloniale" parue dans l'édition n°480 du 18 juin 2010 du journal Mayotte Hebdo offre une illustration saisissante de ce phénomène. Au prix de nombreuses omissions, inexactitudes et interprétations qui mises bout à bout confèrent à la scène une tonalité inquiétante… mais fondée sur une relation des faits largement erronée, elle constitue une charge virulente et péremptoire contre la Bac (brigade anti-criminalité).

La procédure d'enquête est secrète. La loi (article 11 du code de procédure pénale) autorise toutefois le procureur de la République à rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure "afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes".

Les omissions graves de la tribune libre sus-visée me conduisent à faire application de ces dispositions légales.

L'auteur omet de relater l'épisode de l'agression subie par Attoumani Ramzane avant l'arrivée de la police sur les lieux. Cette agression ne s'est pas limitée à un seul coup de poing échangé avec un jeune comme il est écrit. Les témoignages recueillis mais aussi les propres déclarations d'Attoumani Ramzane aux enquêteurs établissent que ce dernier a été ceinturé par l'un de ses agresseurs pendant que plusieurs autres le frappaient à coups de poings au visage, au ventre et sur le haut du corps, avant de le laisser tomber au sol. Selon M. Ramzane, une quinzaine d'individus l'ont ainsi frappé.

Les blessures médicalement constatées sur M. Ramzane étant décrites en détail dans la tribune, il était évidemment très important de préciser que celui-ci avait été frappé par tout un groupe, avant l'arrivée de la police et avait pu subir à cette occasion des lésions telles que celles constatées.

L'auteur du pamphlet balaie sans plus de forme d'un simple revers de main l'hypothèse selon laquelle M. Ramzane aurait ramassé au sol le shombo que son beau-frère arrivé sur les lieux pour en découdre avait fini par jeter sur intervention des policiers. Or Attoumani Ramzane a déclaré lui-même avoir tenu contre lui le shombo. Il conteste seulement avoir voulu s'en servir contre les policiers, ce que plusieurs d'entre eux affirment.

C'est ce geste, vu par les policiers et esquivé par l'un d'eux, qui a entraîné l'interpellation immédiate de M. Ramzane, lequel au comble de l'énervement se débattait vigoureusement et n'a pu être maîtrisé et menotté par les policiers qu'avec grande difficulté.

L'enquête confiée à l'IGPN n'est pas terminée. Des contradictions demeurent entre les versions des protagonistes, que la justice s'emploie à lever pour apporter, une fois les investigations terminées, les réponses appropriées, sans concessions ni idées préconçues.

Policiers et gendarmes travaillent au service de la population. Ils exercent un métier difficile pour assurer à tous sécurité et tranquillité. La loi leur donne le pouvoir d'user de la force strictement nécessaire à l'accomplissement de leurs missions. Si des abus sont commis ils seront sanctionnés comme cela s'est déjà produit par le passé. Les plaintes sont prises en compte, le nombre d'enquêtes en cours le démontre. Les plaintes abusives trouveront elles aussi réponse.

Les pamphlets contre les forces de l'ordre, charges sans nuances lorsqu'elles se fondent sur des éléments partiels, tronqués, délibérément orientés, alimentent un ressentiment diffus de la population envers les policiers et gendarmes qui au quotidien sont confrontés à des conditions d'intervention de plus en plus dures, parfois hostiles. Chacun, surtout lorsqu'il dispose d'une tribune, se doit de faire montre de retenue et de discernement, non pour taire ce qui serait inacceptable et qui doit être dit, mais pour ne pas entretenir volontairement des tensions qui se surajoutent à une situation déjà fort complexe.

 

Mamoudzou, le 24 juin 2010

Philippe Faisandier

procureur de la République près le tribunal de première instance de Mamoudzou