11/06/2010 – Magazine : Sentier des Badamiers

 

 

{xtypo_dropcap}M{/xtypo_dropcap}ayotte Hebdo : Votre visite dans l'île a-t-elle été motivée uniquement par le conflit autour du sentier des Badamiers ?

Bernard Gérard : Non bien évidemment, mais c'était le motif principal. Je viens à Mayotte régulièrement depuis 1986. A l'époque j'étais venu 15 jours avant Chirac pour piloter une mission sur le lagon, qu'il n'a d'ailleurs jamais mentionnée lors de sa visite ! J'ai appris des tas de choses pendant toute cette mission et depuis 1992 que le Conservatoire du littoral est compétent sur Mayotte, j'y suis revenu régulièrement. Jusqu'en 2004, j'y avais également la casquette de délégué Outremer, j'ai donc piloté toutes les opérations lancées sur Mayotte, ensuite on a monté une équipe locale.

Quand je me suis rendu compte qu'il y avait un conflit sur le sujet des Badamiers, que c'était en train de déraper, j'ai décidé de venir. Notre employé en poste ici, Pierrick Lizot, ne pouvait pas gérer ça tout seul. Je suis donc arrivé dimanche avec cet objectif, mais j'en profite pour parler d'autres sujets, j'ai vu le préfet, certains élus, les aires marines protégées, etc. Je n'ai pas passé quatre jours entiers à traiter le problème de la vasière des Badamiers. L'important était de relancer la concertation et que chacun fasse des compromis.

 

MH : Qu'ont donné les discussions sur le sentier des Badamiers ?

B.G. : Je ne suis pas d'accord sur tout avec les associations, mais je reconnais qu'on n'a pas assez discuté avec elles, c'est évident. Le problème, c'est que pour l'instant on n'a qu'une personne sur place, Pierrick, qui est volontaire civil à l'aide technique (VCAT). Il est très compétent mais il est jeune, il débute, il est loin de la direction, donc il ne peut pas tout faire. On n'a probablement pas mesuré l'importance du dossier, il faudra discuter plus avec les associations.

On nous reproche que certains des éléments techniques sont trop lourds, c'est vrai. Les bornes hauts parleurs, par exemple, MM. Charpentier et Charlier ont raison, c'est trop lourd, on va simplifier. Il y a aussi un élément à rajouter, c'est que nous venons d'acheter une maison juste à côté qui est occupée actuellement par Oulanga na nyamba. Quand on a lancé ce projet en 2007, si on avait su qu'on aurait cette maison, on n'aurait pas fait le sentier de la même façon, car aujourd'hui on va le reprendre pour lier les deux éléments. Au départ, le sentier devait fonctionner tout seul, alors que là on va avoir un centre de gestion, on va pouvoir accueillir le public, etc. Seulement, cette maison n'existait pas en 2007, on l'a achetée au mois d'octobre. C'est vrai qu'au moment de l'achat, on aurait pu penser à modifier le projet du sentier en fonction de ça. On n'a pas assez été réactifs, je plaide coupable là-dessus, c'est moi qui supervise, j'aurai du y penser.

Il y a une autre chose sur laquelle les associations ont raison et à laquelle on va remédier maintenant. Le sentier tel qu'il est coupe la vasière en deux à marée basse. Il pourrait y avoir des tortues, on ne sait jamais, et elles risqueraient de rester coincées du mauvais côté, donc on va rétablir des communications, à trois endroits différents, on va créer des passages pour que la communication soir permanente. Ensuite, les aménagements intérieurs : les bornes et tout ce qui est matériel sophistiqué. Le matériel arrive, mais on ne va pas le poser, et au mois de juillet, avec les associations, on verra ce qu'on pose et ce qu'on ne pose pas et on va réfléchir à utiliser ces aménagements dans la maison plutôt que sur le sentier. Par exemple, au départ à l'entrée du sentier, on avait prévu de mettre une jumelle. Maintenant il est certain qu'on va la mettre dans la maison, d'autant que ça évitera d'éventuelles dégradations, même si le matériel acheté est censé résister aux conditions extérieures.

Autre chose en cours : on a lancé un appel d'offres pour sélectionner un bureau d'études qui réfléchira à l'aménagement de la maison, ce qu'on va en faire. Pour le moment, Oulanga a autorisation d'occupation temporaire de la maison, mais si on veut accueillir du public, surtout des enfants, il faudra une mise aux normes. On va travailler sur un programme, avec les associations, mais aussi avec les élus. Oulanga a eu peur que nous ayons déjà défini notre programme, ce n'est pas le cas, déjà il faut un diagnostic, une étude sur les aménagements, les coûts, etc… et un aménagement en lien avec le circuit, qu'on fera évoluer au fur et a mesure.

Dernière chose importante, nous lançons dans les jours qui viennent un appel d'offres pour faire un suivi écologique de ce milieu là avec des indicateurs à définir. Nous engagerons un bureau d'études, cette décision est concertée avec les associations. Ceci permettra de faire un point tous les ans selon des indicateurs précis. Si on s'aperçoit que le circuit pose un problème dans le milieu, nous sommes prêts à le supprimer.

 

MH : Et les points sur lesquels vous n'êtes pas d'accord ?

B.G. : Ce sont deux autres choses qui nous sont reprochées. D'abord, le fait que le sentier soit submersible à marée haute et donc inaccessible. Pour moi c'est une bonne chose, pourquoi faut-il s'abstraire de la nature ? C'est aussi un élément pédagogique : la mer bouge. Alors évidemment, avant de venir, il faut étudier les marées. Le fait qu'il y ait la maison à côté simplifie les choses, elle est accessible à tout moment et on peut voir ce qui se passe à marée haute depuis la maison. D'ailleurs, ce qu'on a fait en est d'autant plus discret et intégré au paysage. Après il y a eu des choses mal faites, on nous reproche d'avoir arraché cinq palétuviers pour le faire, c'est vrai. Même si ça ne va pas faire de mal à la mangrove, psychologiquement, que ce soit le Conservatoire du littoral qui arrache les palétuviers, c'est un mauvais exemple.

L'autre élément reproché est l'utilisation du béton au lieu du bois. D'abord, le bois vient bien de quelque part. Ensuite, arrêtons de penser que seuls les matériaux anciens qu'on utilisait au 19e siècle sont nobles. On peut faire des choses très bien avec techniques modernes. En plus, c'est un béton neutre, qui ne pollue pas. Qu'on ne reproche pas par principe l'usage d'autre matériau que le bois, c'est juste un sentier, on n'a pas fait une construction. Enfin, on nous dit que ce n'est pas le meilleur endroit pour faire découvrir la mangrove. Attention : ce n'est pas une maison de la mangrove, sans quoi on l'aurait faite à Dzoumogné. On a d'ailleurs un projet là-bas. C'est un centre d'information sur l'environnement et même la culture. Les élus de Labattoir estiment qu'il faut y raconter aussi l'histoire du lieu, des hommes et il faudra qu'il y ait ça aussi dans la maison.

 

MH : Ce qui nous a surpris également, c'est le coût du projet : 530.000€, c'est énorme pour un sentier de découverte…

B.G. : Tout d'abord, la dépense du Conservatoire, c'est 340.000€. Et oui, c'est important, ça aurait peut-être pu être mieux utilisé, je ne sais pas. Ce que j'ai quand même dit aux associations, c'est qu'il ne faut pas croire qu'il y avait 300.000€ pour Mayotte et qu'on les a mis là comme ça, pour les dépenser. On aurait peut-être pu financer quelque chose d'autre, c'est possible. Mais ce que je veux dire, c'est qu'on reçoit des demandes de projets, et on choisi ou non de les financer, au cas par cas. J'entends dire : "pour une fois qu'il y avait de l'argent à Mayotte, on en a fait ça, d'habitude c'est toujours la Réunion qui profite de l'argent", c'est faux. On ne délègue pas d'argent à la région océan Indien, on finance projet par projet. Si demain il y a un projet à Mayotte, ce n'est pas parce qu'on aura déjà dépensé 300.000 euros que je dirai "tant pis, on a déjà assez donné", non, le financement de ce sentier n'empêchera pas le financement d'autres projets. La maison en l'occurrence, on sait très bien que ça va coûter de l'argent de la restaurer et de l'aménager, on peut tout à fait re-dépenser 300.000 euros dedans, je ne comptabilise pas combien a coûté Mayotte.

Ce qui coûte le plus cher pour ce sentier, ce sont les bornes interactives, tout le matériel sophistiqué. Ça représente les deux tiers du budget et ça, on pourra l'utiliser ailleurs, notamment dans la maison. Une partie de la dépense va être valorisée ailleurs que sur ce sentier, et on va décider avec les associations de où on va l'utiliser.

 

MH : Vous parliez du fait que Pierrick est tout seul, allez-vous remplacer l'ancien responsable qui est parti depuis presque un an ?

B.G. : Oui, mais c'est toujours compliqué de recruter dans les administrations comme les nôtres. Quand on a un poste de libre, il faut faire un appel à candidatures en interne, réunir un jury pour auditionner les candidats… c'est très long. En plus, on n'a pas le droit de geler un poste pour avoir un croisement. L'idéal quand vous savez que quelqu'un va partir dans trois mois, c'est de recruter le remplaçant dès maintenant. Parfois on arrive à le faire mais c'est compliqué et cette fois on n'a pas pu. Le problème du Conservatoire du littoral, c'est que pour toute la France et l'Outremer, l'ensemble des effectifs, femmes de ménages comprises, c'est 150 personnes. Après, il y a les 650 gardes qui sont employés par les collectivités. On possède 650 sites, 130.000 hectares, gérés par ces 150 personnes. Donc quand on a un poste vacant, on ne peut pas détacher quelqu'un dessus en attendant de trouver un remplaçant, on est trop peu nombreux.

Bref, le jury a eu lieu, la personne a été choisie, maintenant il faut valider l'embauche au comité technique paritaire, qui se réunit le 23 juin, donc normalement à la rentrée il y aura quelqu'un. Cette personne a déjà travaillé Outremer, en Afrique, c'est quelqu'un de solide. Ensuite, pour l'instant on avait un titulaire et un VACT, qui par nature débute dans le travail et reste deux ans. En principe, en juin on aura un conseil d'administration qui va transformer le poste VACT en poste permanent. Donc il y aura deux personnes en permanence à Mayotte, qui auront toutes les deux de l'expérience. C'est la personne qui va être nommée bientôt qui décidera du profil de ce poste. Il faudra que les deux soient complémentaires. Je pense que la deuxième personne sera là au 1er janvier.

 

Propos recueillis par Hélène Ferkatadji

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