Mai 2010 : Colloque international du plurilinguisme

 

DOSSIER : Colloque international du plurilinguisme

 

Cet évènement, pour lequel se sont déplacés de grandes pointures de la linguistique, reconnues au niveau international, a connu une audience tout à fait acceptable, notamment de la part d'enseignants qui se sont déplacés pour suivre les conférences et poser de nombreuses questions.  

 

DOSSIER : Colloque international du plurilinguisme - Rencontre avec Foued Laroussi

Rencontre avec Foued Laroussi

"Le temps est révolu où une seule langue devait s'imposer à l'école"

 

{xtypo_dropcap}M{/xtypo_dropcap}ayotte Hebdo : Nous en sommes au troisième jour du colloque, quel premier bilan en tirez-vous, par rapport à ce que vous attendiez ?

Foued Laroussi : Nous avions commencé avec des objectifs qui ne visent pas à donner des solutions concrètes, en terme de plurilinguisme et de politique linguistique, car ce n'est pas toujours facile, ce sont des domaines complexes. Un des objectifs de ce colloque est de rassembler un certain nombre de chercheurs qui ont travaillé sur d'autres terrains pour faire partager leurs expériences. Un certain nombre de tendances commencent à se dégager, j'en ferai le bilan lors de la clôture.

Il y a au moins deux points sur lesquels tout le monde s'accorde, c'est d'abord de dire que le temps est révolu où il y a une seule langue qui doit s'imposer au niveau de l'école. Les chercheurs ont affirmé l'idée qu'il faudra construire l'école bilingue à Mayotte, parce que cette expérience a été essayée ailleurs, à l'étranger et même dans certaines régions de France. Construire l'éducation bilingue, c'est répondre à un des objectifs de l'école de former des citoyens français, mais aussi européens et du monde, donc le plurilinguisme s'impose.

Aujourd'hui, pour faire face à la mondialisation, il faut maitriser plus d'une langue. Je l'ai toujours dit, en France le français est la langue de l'Etat, de l'émancipation, je n'ai pas la volonté d'aller à l'encontre de ceci. Et comme je l'ai dit dans un atelier, cela fait 7 ans que je côtoie les Mahorais, et je n'en ai pas trouvé qui me dise : "je ne veux pas du français". Les Mahorais revendiquent le français, mais c'est légitime de dire "nous avons aussi notre langue maternelle".

L'école doit cesser de considérer les langues maternelles comme contre-productive par rapport aux exigences de l'école. La langue maternelle peut être la chose qui va permettre de façonner la mentalité des enfants, qui seront aptes ensuite à envisager l'apprentissage d'autres langues. Je ne parle pas de la revendication identitaire, car la langue ne doit pas toujours être l'emblème d'un repli identitaire, mais doit être revendiquée car elle est une richesse en plus.

Moi je suis Français d'origine tunisienne, j'ai été scolarisé dans l'école bilingue du premier président Bourguiba. Il a combattu la colonisation française, mais sans combattre la culture et la langue française. Il n'a pas fait l'amalgame entre la colonisation et la langue française et a mis en place une politique de bilinguisme, et je suis le fruit de cette politique jusqu'au bac. Nous n'avons pas eu le sentiment que le français que nous avons appris était l'héritage subi de la colonisation, mais plutôt une ouverture, une richesse supplémentaire.

Aujourd'hui, nous sommes dans un contexte de mondialisation. Contrairement à ce qu'on pense, ce n'est pas la mondialisation par l'intermédiaire du seul anglais, car ce serait un appauvrissement, mais au contraire on doit la penser avec la diversité linguistique. Aujourd'hui, les citoyens doivent maitriser un certain nombre de langues, c'est fondamental pour Mayotte que les Mahorais pensent le français comme un atout pour affronter les défis de cette mondialisation. Je crois que les chercheurs ici ont montré que c'est une question complexe, mais je suis toujours partisan de la politique des étapes.

Par exemple si on prend l'expérience que je mène actuellement en maternelle avec le vice-rectorat. On me dit que l'idée qui sous-tend l'expérience, c'est faire en sorte que les Mahorais apprennent mieux le français. Moi je dis : c'est une étape que je prends, mais il faudra qu'un jour les langues mahoraises soient considérées comme les langues partenaires de l'école. Mais si l'institution n'est pas prête, je prends le petit espace qu'on me donne pour commencer à travailler, et je ferai en sorte qu'il devienne un grand espace dans lequel on inclura les langues locales. Il faudra passer un jour de la considération des langues locales comme un support, à une conception de ces langues comme langues d'enseignement. Si on arrive à la fixer à l'écrit, on pourra proposer quelques heures d'enseignement en shimaore, si cela répond à une vraie demande.

 

 

"Minimiser les aspects idéologiques et réfléchir à comment, à travers l'entrée linguistique, on peut développer l'île"

 

 

MH : Justement, plusieurs conférences ont montré que dans certains pays d'Afrique, la réintroduction des langues locales à l'école a été mal vue par les parents qui considèrent que seuls le français ou l'anglais sont les langues de promotion sociale, et voient les écoles en langues locales comme les écoles du pauvre. N'avez-vous pas peur que ce soit la même chose ici ?

F.L. : C'est vrai, c'est pour cela qu'il faut être pragmatique et se demander quelle est la langue qui va permettre l'ouverture sur le monde, et ici c'est évidemment le français. On ne va pas faire de l'enseignement qu'en shimaore, il faut garder en majorité le français et les Mahorais le savent très bien. Mais parfois il faut être symbolique aussi. Il y a plusieurs possibilités, on peut avancer l'idée du shimaore comme langue optionnelle, on peut faire un Capes en shimaore, des choses comme ça, mais sachant que l'enseignement doit rester principalement en français, sans en exclure la présence des langues locales.

Il y a eu des expériences ailleurs qui ont fonctionné. Aujourd'hui les Mahorais sont demandeurs des langues régionales, il ne faut pas refuser catégoriquement en leur disant : "la langue de la France c'est le français, circulez il n'y a rien à voir", ça ne peut pas marcher comme discours aujourd'hui. Il y a eu des expériences dont il faut tirer des enseignements. Si au moins on arrive à éviter les erreurs faites ailleurs, ce sera déjà un exploit.

 

MH : Un certains nombre de chercheurs présents au colloque sont d'Afrique du nord, surtout de Tunisie. Est-ce un hasard ou les situations sont-elles comparables ?

F.L. : C'est en partie un hasard, car nous n'avons pas invité les chercheurs. Nous avons lancé un appel à communications, qui ont été évaluées par les membres du comité scientifique, avec une grille d'évaluation, de façon anonyme. Il se trouve que les chercheurs magrébins sont sensibles à ces problèmes de plurilinguisme car il y a une proximité avec Mayotte, ces pays sont d'anciennes colonies françaises, donc ils ont été plusieurs à répondre à cet appel.

C'est très bien car ce sont des pays qui ont vécu la colonisation, puis mis en place des politiques d'arabisation qui ont été un fiasco, car ces politiques n'ont pas été bien pensées, sans infrastructure et de façon plutôt idéologique. Le plus possible, il faut minimiser les aspects idéologiques et réfléchir à comment, à travers l'entrée linguistique, on peut développer l'île.

Les langues font partie du développement de Mayotte. On en a discuté avec le président du conseil général, il y a beaucoup de choses à faire ici : développer le tourisme, l'économie, l'environnement, etc… et dans cette politique de développement, la langue a sa place. La question du plurilinguisme doit être posée dans les questions de développement, en sortant des discours stériles et idéologiques, pour avancer.

 

 

Un projet Mayotte déposé à l'Agence nationale de la recherche

 

 

MH : Vous avez évoqué l'expérience en cours en maternelle, y a-t-il d'autres travaux en cours ?

F.L. : Il y a d'abord effectivement cette expérience d'enseignement bilingue en maternelle, mais pour laquelle les moyens n'ont pas vraiment été donnés, donc c'est difficile de la mener à bien. On verra cette année, qui est la troisième, les résultats de cette expérience. C'est vrai qu'elle demande des moyens et que si elle ne peut pas donner lieu à une généralisation faute de moyens, elle restera au stade d'expérience.

Ce système demande deux enseignants pour une classe, ce n'est pas vraiment dans la tendance de l'Education nationale, donc je suis assez pessimiste pour sa généralisation, mais là ce n'est plus le problème du chercheur. Moi je vais sur le terrain, je propose des pistes, ensuite c'est aux décideurs de savoir si cela vaut la peine de rajouter des moyens pour la perdurer.

Notre groupe de recherche a également mené des enquêtes qualitatives, nous avons une trentaine d'heures de conversations, et l'an dernier nous avons entamé des enquêtes quantitatives, avec la distribution de 1.500 questionnaires, très longs, pour avoir le point de vue des intéressés de la langue par rapport à sa transmission, aux lieux de pratique, etc.

Il y a un autre projet, que nous avons déposé à l'Agence nationale de la recherche. Un projet Mayotte décliné en quatre taches. La première est d'étudier la langue d'un point de vue démographique et de la mobilité. Ensuite, il y a une tache sur la description linguistique : faire des propositions concrètes. Si on veut un jour introduire les langues locales à l'école, on ne peut faire l'économie des questions relatives à la fixation de la grammaire, des lexiques, du dictionnaire, etc.

La troisième tache porte sur comment on va pouvoir utiliser les techniques de communication, internet, etc., pour désenclaver Mayotte. On me dit que le haut débit arrive dans un an, c'est très bien car pour l'instant comment voulez-vous faire de la recherche s'il faut une demi-heure pour ouvrir une page sur le net ?

Et la dernière tache va continuer à travailler sur le plurilinguisme à l'école, mettre des propositions concrètes sur la table pour dire comment on conçoit l'éducation bilingue, les choix qui nous semblent pertinents. Nous demandons 350.000€ pour ce projet, et s'il est retenu il impliquera une grosse équipe. Le groupe de recherche sur le plurilinguisme à Mayotte que j'ai monté avec mes doctorants il y a 7 ans a intégré au fur et à mesure des gens de mon laboratoire à Rouen, des universités françaises, et maintenant il est international car ce projet inclut des collègues de Tilburg, de Tanzanie, d'Afrique du Sud, des Comores. Donc ce n'est pas fini.

Ce colloque vient couronner un certain nombre de recherches, mais nous allons rebondir de nouveau, dans d'autres cadres et avec d'autres moyens.

 

Propos recueillis par Hélène Ferkatadji

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DOSSIER : Colloque international du plurilinguisme - Le vice-rectorat à contre-courant du colloque

Le vice-rectorat à contre-courant du colloque

"Langues et départementalisation : comment penser l'avenir de Mayotte ?"

Mardi, en fin de deuxième journée du colloque, le sénateur Soibahadine Ibrahim, le président du conseil général Ahamed Attoumani Douchina, le maire de Mamoudzou Abdérémane Soilihi et le vice-recteur Jean-Claude Cirioni se sont retrouvés au cinéma pour discuter sur le thème "Langues et départementalisation : comment penser l'avenir de Mayotte ?".

{xtypo_dropcap}Q{/xtypo_dropcap}ue va apporter le Pacte pour la départementalisation concernant le plurilinguisme ? Quel bénéfice escomptent les participants en matière d'enseignement, de bilinguisme ? Que va-t-on pouvoir améliorer en matière d'apprentissage ? Peut-on envisager un nouveau modèle d'intégration ? Comment relever le niveau de maîtrise du français ?

Autant de questions posées mardi soir aux quatre participants à la table ronde, en présence des chercheurs participants au colloque et d'un public composé en majorité d'enseignants et de personnels du conseil général évoluant dans le domaine de la formation et de la langue. Après un rappel juridique de la situation de Mayotte, à l'intention des visiteurs, le sénateur Ibrahim, premier à prendre la parole, a conclu son propos en précisant qu'il existait "une fenêtre juridique", permettant à la Collectivité de légiférer pour le développement des langues et cultures locales.

A sa suite, le président Douchina affirme qu'"il n'est pas impensable de concilier l'évolution institutionnelle de l'île avec l'identité même des Mahorais. Nous pensons que la langue fait partie des éléments identitaires forts d'un peuple et, dans cette évolution statutaire, les gens doivent être à l'aise et pour cela leur identité doit être confortée, essentiellement avec la langue. Des éléments nous obligent à considérer la place de la langue dans cette évolution. D'abord la position géographique de l'île, qui est petite mais entourée de quelques continents avec des langues différentes.

Une petite île doit pouvoir maitriser les langues environnantes. Mayotte doit aller vers Madagascar, vers les Comores, l'Afrique, l'Inde, et même la Chine bien qu'elle soit plus loin. C'est pour cela que nous avons créé une direction des langues régionales, afin que les Mahorais puissent être sensibilisés sur la nécessiter de garder leur langue et de l'enrichir. Le but de cette direction est d'impulser cette politique et d'amener les Mahorais à garder le français, mais pourquoi pas à écrire en shimaore et kibushi. Il y a des gens qui ont des choses à apporter, à communiquer, mais qui sont bloqués par une mauvaise maitrise de la langue française. Pour les élus, la départementalisation n'est pas antinomique de la préservation et la mise en valeur de nos langues locales".

 

"Mettre par écrit le shimaore ne se fera pas au détriment de la langue française"

Répondant à la modératrice qui se demande s'il partage cet intérêt pour le pluralisme linguistique ou s'il se prononce plus sur une réactivation du français, le vice-recteur choisit sans surprise la deuxième proposition, avec cette précision qu'il estime que "nous, à l'école, nous ne sommes pas là pour réactiver le français mais pour le faire apprendre à tout le monde. L'Education nationale a la mission d'instruire les élèves à notre charge, or la langue de l'Education nationale est la langue nationale. Ce qui ne veut pas dire que nous sommes opposés à la langue et à la culture locale", en donnant pour exemple le travail de son équipe pour enseigner l'Histoire de l'île.

"Je ne me positionne pas sur le domaine politique ni identitaire, ce n'est pas notre rôle, mais sur la demande sociale des parents, qui est que leurs enfants aillent à l'école et ensuite deviennent des citoyens et s'insèrent dans la vie économique de l'île. Mais pas seulement. Il est illusoire de penser que tous les Mahorais que nous formons trouveront un débouché sur l'île. Ils devront aller ailleurs, naturellement en Métropole, mais où ils seront en concurrence avec d'autres, il y a donc également à explorer l'espace de l'océan Indien, qui est majoritairement anglophone. La multiplicité des langues est donc inscrite dans les programmes scolaires", conclut M. Cirioni, qui par "multiplicité des langues" entend donc le français et l'anglais.

Dans la continuité de M. Douchina, le maire de Mamoudzou évoque lui la "grande richesse" que constituent toutes les langues qui sont parlées à Mayotte : shimaore, kibushi, français, arabe, comorien,… précisant qu'il faut "mettre l'accent sur le français, qui est la langue écrite. Mais n'est-il pas temps aujourd'hui de réfléchir à comment mettre par écrit le shimaore et le kibushi ? Tout ceci ne se fera pas au détriment de la langue française, ni au détriment de la départementalisation, mais permettra de promouvoir cette richesse qu'a Mayotte".

 

 

"Le Mahorais doit pourvoir communiquer avec son environnement régional"

 

A sa suite, le sénateur rappelle que la Charte européenne des langues reconnait le shimaore et le kibushi comme langues, au même titre que le tahitien et les autres langues d'Outremer. Visiblement vexé par les propos de la modératrice sur le "plan scolaire où ça ne se passe pas si bien que ça", qui lui demande son sentiment sur les expérimentations d'enseignement bilingue, le vice-recteur rappelle que les élèves mahorais ne sont pas francophones au départ. Il précise que le français est une langue étrangère qu'ils commencent à apprendre au CP, ce qui explique leurs difficultés. Ceci sans toutefois envisager la possibilité d'enseigner le français différemment de la façon dont il est enseigné aux métropolitains francophones.

M. Cirioni cite une chercheuse venue sur l'île il y a deux ans, qui lui a expliqué que, selon elle, beaucoup de Mahorais ne ressentent pas le besoin de maîtriser le français car on peut se débrouiller sur l'île en ne parlant que le shimaore, sachant qu'on trouvera toujours quelqu'un pour faire le traducteur lors des démarches administratives. "Je fais directement le lien avec les expérimentation bilingues", enchaine-t-il, précisant qu'il ne peut se prononcer sur l'expérience en cours depuis 3 ans menée par Foued Laroussi, dont il attend les conclusions pour la fin de l'année.

"Nous avions commencé une expérimentation bilingue en maternelle à Mangajou. Je suis passé les voir en cours d'année, sur une classe ça fonctionnait pas trop mal, cela permettait peut-être aux enfants d'être plus détendus. Dans la deuxième classe c'était un échec total, les enfants ne faisaient jamais l'effort de parler français. Le français est la langue de l'émancipation. S'ils maitrisent le français, les Mahorais ne perdront pas leur langue maternelle, on ne la perd jamais, mais une fois qu'ils auront atteint un niveau de maitrise, ils pourront revenir à leur culture locale."

"Il n'a jamais été question dans mes propos de minorer l'importance du français, au contraire", rappelle le président Douchina. "En tant qu'élu, je dois considérer le développement de cette île. Beaucoup de Mahorais voyagent, pour le commerce, d'autres raisons, beaucoup voyagent vers Dubaï, la Chine, l'Afrique du Sud et l'Afrique en général, donc la question est comment peut-on les aider à apprendre rapidement d'autres langues à ces Mahorais. Je ne parle pas du monde scolaire, mais des actifs. Comment répondre à ce besoin urgent de pouvoir communiquer avec leur environnement régional ?"

 

"Aujourd'hui les enfants ne savent parler ni français, ni shimaore"

 

 

"Pour revenir au sujet du plurilinguisme et de la départementalisation, je pense que c'est une opportunité, parce que le statut de département et de région européenne fait que les choses sont claires", continue le président du conseil général, "maintenant je crois savoir qu'il y a un Capes du créole, et c'est par cette valorisation de la langue que les gens peuvent s'intéresser aux autres. Nous avons une opportunité de valoriser nos langues et de trouver en parallèle des gens pour enseigner les langues dont ils ont besoin aux Mahorais, pour les aider à s'insérer dans la mondialisation."

Revenant à la jeunesse, le maire de Mamoudzou estime qu'"il y a un vrai problème. Un petit Mahorais, on l'empêche de parler shimaore à l'école. C'est vrai qu'il faut apprendre le français, mais en ne mettant pas de valeur sur la langue locale – d'ailleurs certains vont jusqu'à dire que le shimaore n'est pas une langue – le résultat est qu'aujourd'hui les enfants ne savent parler ni français, ni shimaore. Ils mélangent tout. C'est un grand problème, c'est pourquoi il faut revaloriser leur langue. Il faut avant tout que les petits Mahorais maitrisent leur langue, pour intégrer la langue seconde qu'est le français."

Après cet échange, la salle a pu poser des questions aux quatre intervenants. Premier à s'exprimer, Mohamed Nabhane, professeur d'arabe sur l'île, rappelle que d'après le professeur Laroussi, l'arabe est la quatrième langue parlée à Mayotte, et qu'elle peut aussi servir dans la région, notamment Dubaï. Il s'adresse au vice-recteur pour lui demander pourquoi son enseignement n'est pas plus développé, s'appuyant sur une pétition qui a recueilli plus de 3.000 signatures.

A cette question, le président Douchina a répondu que son souci serait plus d'enseigner l'arabe et l'anglais du commerce aux Mahorais adultes pour les aider dans leurs démarches internationales. Réponse évasive du vice-recteur qui reviendra sur son projet académique qui met l'accent sur le français, "qui est une langue étrangère pour les élèves", et sur l'obligation de prendre l'anglais comme première langue vivante.

 

 

"L'école n'est pas là pour faire du bilinguisme"

 

 

Le chercheur du CNRS et de l'université de Pretoria Michel Lafon a voulu savoir sur quels critères se basait le vice-recteur pour dire que l'expérience bilingue de Mangajou était un échec. Il n'obtiendra pas de réponse claire de ce dernier, si ce n'est que l'expérience mentionnée n'a durée qu'un an, et qu'il faudrait donc attendre les résultats de celle menée par Foued Laroussi.

Reprenant les propos du maire de Mamoudzou sur la jeunesse, un enseignant en linguistique de l'université de Bordeaux confirme qu'il faut valoriser les langues maternelles et éviter le "semi-linguisme" : le fait de ne parler correctement aucune langue, "ce qui est le pire des échecs". Estimant que c'est aux élus locaux de mener une politique linguistique, il s'adresse à la table pour leur demander ce qu'ils pensent de l'enseignement bilingue, à savoir que le français et le shimaore ne soient pas séparés à l'école et que les deux langues soient valorisées.

Réponse du vice-recteur : "Il ne faut pas tout demander à l'école. L'école doit apporter ce dont j'ai déjà parlé, elle n'est pas faite pour faire du bilinguisme, alors restons dans les programmes nationaux. Il y a un espace pour les langues locales en dehors des heures de cours, qui peut être décidé par les collectivités locales. Le Président de la République a stipulé dans le Pacte pour le département que les Mahorais doivent maitriser le français, donc tous les efforts de l'école sont sur le français". Au cours de ce propos quelques sifflets discrets commencent à se faire entendre dans la salle, émanant de chercheurs et d'enseignants choqués par ce discours fermé.

Pour conclure, le président Douchina explique qu'il a compris que les enfants apprennent mieux les langues lorsqu'ils sont déjà polyglottes. Il estime donc qu'il faut profiter de cette richesse de langage pour aider les Mahorais à apprendre le français. "Je pense aussi qu'il faut que les programmes nationaux s'adaptent aux réalités locales et de notre temps. Le temps est au plurilinguisme, c'est-à-dire que plus vous vous exprimez dans des langues différentes, plus vous mettez de chances de votre côté pour l'avenir. Donc j'aimerai que l'Education nationale puisse utiliser cette potentialité des enfants pour les amener à mieux maitriser les langues". Un discours applaudi par l'assemblée.

Hélène Ferkatadji

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Le shimaoré en voie de disparition

A travers une série de conférences et tables rondes passionnantes, la question de la pratique de la langue française à Mayotte s'est plusieurs fois invitée dans les débats. Petit tour dans les rues des villes et villages, dans les bureaux ou les cours de récréation…

{xtypo_dropcap}L{/xtypo_dropcap}es chiffres vont bon train pour illustrer les lacunes de la population mahoraise en français. Alors que dans les médias nationaux la tendance a été à la simplification au point de propager l'idée que les Mahorais ne parlent pas le français, sur le terrain la réalité est beaucoup plus complexe.

Selon les dernières statistiques de l’Insee, sur les 108.187 personnes âgées de plus de 14 ans seules 39.823 ne parlent pas la langue. ″Les Mahorais, qu'est ce qu'ils veulent dire par les Mahorais ?″, s'interroge Idriss. Ce fonctionnaire d'une trentaine d'années ne comprend pas cette volonté à englober une population et une réalité extrêmement complexe sous une seule affirmation.

″Aujourd'hui, la plupart des Mahorais savent s'exprimer en français, peut-être pas aussi bien que les Métropolitains, mais on peut très bien communiquer. Alors de là à dire qu'on ne parle pas français… Le problème, c'est qu'ils ne font pas la distinction entre les Comoriens qui arrivent et qui n'ont jamais été scolarisés et ceux qui ont vécu ici." Selon lui, ces statistiques seront toujours mauvaises pour les Mahorais, pris en étau entre l'immigration massive et une politique tardive et anarchique de scolarisation.

Lorsqu'on interroge la population sur leur rapport à la langue française, on distingue plusieurs types de comportements face au français. En dehors des populations sans papiers qui vivent à l'écart de la société, la question du français s'impose de plus en plus à eux.

 

 

″Soit je parle bien français, soit je me tais″

 

 

Télévision, livres, médias, autant d'atouts dont bénéficient les jeunes Mahorais. Même s'ils ne maitrisent pas toutes les subtilités de la langue, ces derniers communiquent de plus en plus en français, au point d'en perdre une partie du vocabulaire local. ″Je parle autant français que mahorais, ça dépend des amis avec lesquels je discute. Quand on parle mahorais avec mes copines, il ya des mots que je ne connais pas en mahorais alors je les dis en français", nous avoue cette collégienne de Mamoudzou.

Aidés par une forte mixité sociale, les jeunes sont ceux qui montrent le moins de réticence envers la langue. Dans certains milieux, parler français est même vu comme une attitude ″branchée″. Je pense que c'est à cause des ″je viens de…″ (les personnes ayant vécu en Métropole), ils arrivent ici, ils ont de beaux habits, des chaussures de marque et ils parlent mieux le français."

Pour Hamada Youssouf, jeune poète mahorais, c’est avant tout une des conséquences de la rupture du dialogue intergénérationnel. "Avant, on pouvait s’asseoir au clair de lune et nos grands-parents nous racontaient des histoires d’antan ou des conte et légendes, les jeunes apprenaient à la fois leur histoire et la langue. Lorsqu’il y avait des mots inconnus, ils pouvaient en demander la signification. Aujourd’hui, ils sont sur internet, ils vont à l’école puis rentrent regarder la télévision."

La relation des Mahorais avec la langue française illustre bien les rapports avec la communauté mzungu, on peut même dire qu’elle en est le reflet. Alors que la mixité sociale avec les Métropolitains est de plus en plus forte chez les jeunes et les actifs revenant de France, parmi les tranches plus âgées on rencontre beaucoup plus de difficultés avec le français et les Mzungus avec lesquels le dialogue semble beaucoup plus difficile.

″Quand on parle français entre nous Comoriens, et que nous faisons des fautes, on rigole entre nous. Mais ce n’est pas pareil face à un Français. Ils ne voient pas les choses de la même manière. Du coup on préfère dire qu'on ne parle pas la langue." Dans ses recherches, Elisa Canavate évoque ce sentiment de honte face à l’interlocuteur français en citant un collègue instituteur mahorais : "nous sommes issus d’une culture de la honte. Nos actions sont dictées par le regard des autres. L’erreur devient fatalement une faute, donc soit je parle bien français, soit je me tais".

Une réalité que l’on retrouve souvent au sein des administrations lorsque les Mahorais sont contraints de prendre la parole en public. Combien de fois des fonctionnaires, secrétaires répondent qu’ils ne parlent pas la langue alors qu’il s'agit de leur outil de travail ? Chez certains, parler français est vécu comme une humiliation et la réaction se fait de suite agressive face à un interlocuteur qui leur impose d’emblée cette langue : "Tu te prends pour un blanc !". Le repli identitaire tend ainsi souvent à cacher les lacunes linguistiques.

 

 

Le shimaoré est devenu du ″shimaomzungu″

 

 

Dans l'ouvrage sur le plurilinguisme à Mayotte*, l’équipe de Fouad Laroussi résume bien ces différents rapports au français. "Les jeunes Mahorais ne s’inscrivent pas forcément dans le schéma traditionnel que l’on retrouve, par exemple, chez leur parents généralement non francophones, et qui consiste à opposer le français, considéré comme langue importée, voire coloniale, aux langues locales", peut-on lire dans l’ouvrage regroupant les résultats de leurs recherches sur "Mayotte, une île plurilingue en pleine mutation".

Et pourtant, sans le vouloir ils parlent tous français. ″On se rend compte que même les grandes personnes utilisent des mots français qu'ils n'auraient jamais utilisés avant. A force d'entendre les jeunes, leur mahorais est devenu du ″shimaomzungu″", ironise Nassur Attoumani. "Par exemple, il est fréquent d'entendre dans la rue : ″Tsika pressé soiffi, paske il fallait na rengué y bargi y'a midi et demi. Na jondro raté y taxi″**. Il y a une sorte de désappropriation de la langue mahoraise."

Un exemple parmi d'autres qui illustre l'évolution de la langue mahoraise vers une ″créolisation". Désormais, le principal risque serait de tendre vers la direction suivie par certains pays du Maghreb, où après plusieurs siècles de colonisation et d’apprentissage du français, le seul résultat n’a été qu’un appauvrissement des langues locales sans que la langue de Molière ne soit pour autant mieux maitrisée.

 

Halda Toihiridini

 

* "Mayotte, une île plurilingue en pleine mutation", éditions du Baobab

** "J'étais très pressé parce qu'il fallait que j'aille prendre la barge de midi et demi, pour ne pas rater le taxi"

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Synthèse d'une partie des conférences et réactions de participants

 

Lundi 17 mai : Atelier Education

"Les difficultés d'introduction des langues locales dans le système scolaire du Mali", par Gérard Galtier – ISCC, lnalco

L'exemple du Mali montre qu'il n'est pas facile d'intégrer les langues africaines et le français dans une complémentarité harmonieuse. Après 1"indépendance, c'est le français qui continua à être utilisé exclusivement dans le système scolaire du Mali. Mais, à partir de 1968, débutèrent divers programmes d'alphabétisation rurale dans les langues locales : en bambara surtout, et aussi en d'autres langues.

Durant les années 1990, on décida de généraliser les langues africaines dans le système scolaire officiel. Or, apparut une vive opposition à cette réforme. Les enseignants avaient le sentiment que l'on dévalorisait leur profession (dans laquelle la maîtrise de la langue française est primordiale). Les élèves ne souhaitaient pas que l'école les enracine dans leur terroir, mais plutôt qu'elle les aide à s'élever socialement (notamment en rentrant dans la fonction publique).

A la fin des années 1990, le projet avait été abandonné et, depuis lors, l'on est revenu à la situation antérieure, avec néanmoins un certain nombre d'écoles pilotes associant langues africaines et français. Malgré ces multiples efforts, les langues maliennes demeurent essentiellement orales. Les nombreux journaux privés publiés à Bamako sont tous en français. L'exemple du Mali montre donc que pour permettre un réel développement des langues africaines, il faut que celles-ci ne soient pas perçues comme une voie de garage isolant les gens par rapport au monde extérieur, mais qu'elles apparaissent elles aussi comme une porte ouvrant vers la modernité.

 

"Bilinguisme à l'épreuve. Evaluation de l'impact sur les apprentissages des élèves des programmes d'enseignement bilingue à l'école primaire en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et en Guyane", par Isabelle Nocus, Jacques Vernaudon, Mirose Paia, Léonard Sam, Philippe Guimard, Agnès Florin – Université de Nantes, Université de Nouvelle-Calédonie, Inalco

Les langues et cultures océaniennes trouvent progressivement leur place au sein des écoles des collectivités françaises du Pacifique. Depuis 2005, la Nouvelle-Calédonie s'est dotée de programmes scolaires du primaire qui prévoient une généralisation progressive de l'enseignement des langues kanaks et la Polynésie française est engagée dans un programme de renforcement de l'enseignement des langues polynésiennes.

Une évolution équivalente est amorcée à l'école de la Guyane où l'on trouve un contexte comparable de grande diversité linguistique. Les recherches internationales effectuées sur les dispositifs bilingues qui valorisent les langues d'origine des élèves s'accordent sur leur impact positif. Néanmoins, les résultats actuels restent insuffisants et il convient de poursuivre les validations expérimentales dans des contextes sociolinguistiques différents.

Atelier Plurilinguisme

"Afrique du Sud et Mozambique, deux modèles différents d'utilisation des langues africaines comme langues d'instruction", par Michel Lafon – CNRS Llacan, IFAS, University of Pretoria

En Afrique du Sud, depuis 1996, en sus de l'anglais et de l'afrikaans, 9 langues africaines peuvent théoriquement être choisies comme langues d'instruction dans le primaire. Mais cette politique ambitieuse, qui fait écho aux politiques passées et s'appuie sur une architecture institutionnelle complexe, ne répond guère à la réalité des écoles en zone urbaine, au point qu'elle s'avère probablement contreproductive. Il s'avère que la discrimination sociale opérée par la colonisation et l'apartheid est reproduite par les parents qui considèrent les écoles enseignant en langues africaines comme des "écoles des pauvres" et exigent pour leur enfant l'enseignement en anglais ou en afrikaans.

 

"Paroles de parents kabylophones à propos des langues à faire acquérir à leurs enfants", par Chérif Sini – Université M. Mammeri Tizi-Ouzou

Pourquoi de plus en plus de parents kabylophones choisissent-ils de faire acquérir le français à leurs enfants au plus bas âge, alors que leur région connaît depuis une trentaine d'années une mobilisation sociale et politique pour les droits linguistiques, culturels et identitaires des Berbères ? Pourquoi l'engouement attendu pour le berbère, dans cette région principalement, au lendemain de la constitutionnalisation de ce dernier le consacrant langue nationale et son introduction dans le système éducatif algérien, semble-t-il être reporté sur le français ? Quelle fonction attribue-t-on au français dans cet univers social où les programmes scolaires publics valorisent l'arabe, langue officielle de l'Etat, et encouragent discrètement l'apprentissage de l'anglais sous couvert de l'acquisition précoce des langues étrangères par l'écolier algérien ? Les parents choisissent de parler à leurs enfants dès le plus bas âge exclusivement en français ou en l'alternant au kabyle, mais avec la prédominance du premier.

 

Réactions :

Le concept de concurrence entre les langues a beaucoup fait réagir parmi les participants aux débats. Concernant la possibilité d'introduire les langues locales dans l'enseignement à Mayotte, il a été conclu qu'il fallait tenir compte des vœux des parents. La question de comment valoriser les langues locales auprès des jeunes et de leurs parents a été posée, avec l'idée de commencer leur enseignement en terminale pour commencer, puis de descendre les niveaux jusqu'en maternelle, une fois que leur enseignement aura pris du prestige.

La discussion a cherché à comprendre comment on en est arrivé à ce processus de promotion et de sélection sociale pour la langue – la réponse principale étant celle de la colonisation qui a imposé le français et dévalorisé les langues locales – et comment revenir dessus en donnant aussi aux langues locales un rôle de promotion sociale et en donnant du prestige à leur enseignement.

Il a également été souligné que la question de l'échec scolaire à Mayotte est trop vite attribuée au problème de l'usage des langues locales qui servent en quelque sorte de bouc émissaire. Pour les chercheurs présents, on ne peut croire que l'imposition du français résoudra l'échec scolaire.

 

 

Mardi 18 mai : Atelier Education

"Que faire d'intelligent avec les langues maternelles ?", par Michel Launey – Université Paris, IRD Guyane, Celia.

Les langues d'Outremer en général, et celles de Mayotte en particulier, permettent de renouveler la réflexion sur les langues dites régionales, dans la mesure où, contrairement à celles de Métropole, elles sont langues premières de la quasi-totalité des élèves des territoires.

La conférence a proposé, à titre d'expérience ou de suggestion, trois formes de présence des langues à l'école. Des programmes de langue maternelle, modulés selon les classes d'âge (les modèles en place en Océanie ou en Guyane avec les intervenants en langues maternelles pouvant être adaptés au contexte mahorais), des programmes d'observation réfléchie des langues (dans le cycle 3 du primaire et tout le secondaire) tirant parti de l'intérêt proprement intellectuel des langues concernées et des programmes d'éveil aux langues et au langage, adaptables à partir d'expériences européennes et guyanaises, prenant appui sur le contexte plurilingue local et régional.

Toutes ces approches, déjà expérimentées dans d'autres contextes, permettent de dépasser les ambiguïtés et les querelles symboliques (le seul français symbole de l'unité nationale, les enseignements de langues et cultures régionales comme reconnaissance elle aussi symbolique), d'ouvrir la voie au bilinguisme équilibré, à l'intérêt réciproque et à la curiosité intellectuelle, et de donner toute sa dimension au mot d'ordre de maîtrise du langage et de la langue française.

 

Atelier plurilinguisme

"Du bilinguisme en famille au plurilinguisme à l'école : ou comment négocier les langues autres que le français dans sa classe", par Christine Hélot – Université de Strasbourg, IUFM Alsace

À la lumière de nombreux travaux de recherches publiés récemment, la chercheuse explique la différence entre le développement du bilinguisme en famille et l'apprentissage des langues à l'école. La question des langues minorées et du "bilinguisme ignoré" des enfants issus de l'immigration est au cœur de la conférence.

L'analyse d'un projet d'école, le projet Didenheim du nom du village concerné, où, dans leur volonté de lutter contre des problèmes de racisme, les enseignantes ont décidé d'initier les élèves à une vingtaine de langues et de cultures en faisant appel à la collaboration des parents, illustre la façon dont l'école française peut surmonter ses réticences à l'égard des langues minoritaires et construire dès le début de la scolarisation une véritable éducation au plurilinguisme.

 

Réactions :

Les réactions à cette communication ont été nombreuses. A la question d'un cadre du conseil général qui souhaitait savoir si l'utilisation de la langue locale à l'école servait plutôt à un meilleur apprentissage du français ou à valoriser les enfants, la chercheuse a répondu qu'il était avant tout important de valoriser les élèves, a s'intéresser au bien-être en classe, surtout pour les enfants qui ne parlent pas du tout français et qui sont donc totalement silencieux en classe.

Le projet Didenheim a montré que lorsqu'on les encourage à s'exprimer dans leur langue maternelle en classe, ces élèves trouvent leur voix grâce à cette valorisation et changent de comportement : ils cessent de s'asseoir au dernier rang, lèvent le doigt pour participer, s'expriment sans peur devant la classe et apprennent donc plus vite.

Une enseignante s'est montrée étonnée et déçue que ce type de projet ne soit pas communiqué dans le monde éducatif, estimant que le projet Didenheim était transférable ailleurs et qu'une plateforme d'échange de ces expériences faciliterait le travail des enseignants qui travaillent dans des sociétés plurilingues. Mme Hélot a précisé que ce projet est connu internationalement. Des chercheurs du monde entier se sont succédés à Didenheim et finalement l'endroit où il est le moins connu est… la France.

Un professeur de mathématiques mahorais a demandé quel comportement avoir lorsqu'un élève qui n'ose pas s'exprimer en français pose une question en shimaore : doit-il répondre en français ou en shimaore ? Les réponses à cette question sont partagées, toutefois les chercheurs se sont accordés à dire qu'en aucun cas il ne faut interdire la pratique du shimaore en classe, à quoi plusieurs enseignants ont rétorqué que les règlements intérieurs de certains collèges interdisent le shimaore dans l'enceinte de l'établissement. Une aberration pour Michel Launey, qui précise que les textes nationaux vont à l'encontre de ces règlements.

"Répondre à un élève dans sa langue maternelle permet d'instaurer un bien-être qui va l'aider à mieux s'impliquer dans la classe, ce qui est le but de l'enseignant. La langue maternelle est la première expérience que l'on fait du langage, les parents doivent parler à leurs enfants dans la langue qu'ils maitrisent le mieux et non pas se forcer à leur parler en français, pour développer au mieux les capacités au langage de leur enfant", a conclu Michel Launey.

 

Hélène Ferkatadji

 {mospagebreak title=Clôture du Colloque}

Clôture du Colloque

"Les programmes scolaires ne doivent pas être calqués sur la Métropole"

Après 3 jours d'échanges intenses, à raison d'une quinzaine de conférences par jour et de nombreuses questions, le colloque sur le plurilinguisme a pris fin mercredi avec une conférence de Foued Laroussi, "Langues et développement : perspective pour Mayotte", qui a débouché sur des pistes de réflexion et de travail pour la mise en place d'une politique linguistique sur l'île.

 

{xtypo_dropcap}A{/xtypo_dropcap}près une rapide présentation de la situation démographique, scolaire et linguistique de l'île, le professeur Laroussi a énoncé plusieurs propositions. Tout d'abord impulser la recherche pour valoriser le plurilinguisme à Mayotte, en travaillant pour cela à une description linguistique, une fixation de la grammaire, du lexique, un développement de la méthodologie, etc.

M. Laroussi est revenu sur le projet Mayotte déposé à l'Agence nationale de la recherche (voir interview) et a affirmé qu'il fallait "s'entendre une fois pour toute sur la graphie du shimaore et du kibushi", pour laquelle il existe actuellement trois propositions, qui diffèrent quelque peu, venant de l'association Shime, de la direction des langues régionales du CG et du groupe de recherche de M. Laroussi, qui précise que cette graphie doit utiliser uniquement des caractères existant sur un clavier d'ordinateur, pour être en adéquation avec le monde moderne. "Il faut aller vite sur cette question."

Sur la question de la place de la langue française, Foued Laroussi a rappelé qu'il lui paraissait évident qu'elle était la langue de l'ouverture sur le monde, et qu'elle devait également assurer l'égalité des chances. Il préconise une amélioration de la formation des maîtres, "dont certains nous ont dit eux-mêmes, lors de nos enquêtes, qu'ils n'étaient pas au niveau".

A la question comment expliquer le déficit et l'échec dans l'apprentissage du français à Mayotte, plusieurs hypothèses ont été apportées. Premièrement, "l'absence d'une politique éducative soucieuse d'une éducation bilingue", et également le fait que l'usage exclusif du français comme langue d'enseignement pose certains problèmes de compréhension.

 

"Surdité des responsables éducatifs"

La rupture brutale entre la culture locale et la culture scolaire est également une des pistes. "Les programmes ne doivent pas être calqués sur ceux de la Métropole. La France n'est pas un territoire homogène, ses programmes scolaires doivent être adaptés aux situations linguistiques." Enfin, la formation insuffisante des enseignants et l'inadéquation entre les consignes scolaires et la société mahoraise ont été évoquées.

En conclusion, M. Laroussi a avancé que si le français est la langue de l'avenir à Mayotte et que rares sont les Mahorais qui sont contre cette idée, ils dénoncent malgré tout un enseignement calqué sur la Métropole qui stigmatise les langues locales et les fait passer pour contre-productives dans l'apprentissage scolaire. "Les Mahorais revendiquent l'école bilingue, le développement de l'île dépendra de ces questions."

En conclusion, la directrice de l'UFR de Lettres de l'Université de Rouen a résumé les impressions principales qu'elle a recueillies en fin de colloque auprès des intervenants et des auditeurs. "La majorité des personnes interrogées, Métropolitains ou Mahorais, convergent sur l'idée que le tout français ne marchera pas. Tous ont été choqués par le discours étatique qui reste fermé sur cette conception du français comme seule langue acceptable à l'école et il y a un grand étonnement de tous devant la surdité des responsables éducatifs, c'est du jamais vu."

Allusion essentiellement au discours du vice-recteur lors de la table ronde du mardi soir (voir par ailleurs). Une des participantes au colloque estimait justement qu'il fallait lancer un travail d'explicitation de ces problématiques auprès des décideurs éducatifs, qui semblent avoir peur de l'idée de l'enseignement bilingue. Un constat plus que partagé par l'ensemble des participants au colloque et par son organisateur.

 

Hélène Ferkatadji

{mospagebreak title=La langue française, clé du changement ?}

La langue française, clé du changement ?

"Les pratiques du français en Arabie Saoudite et aux Comores"

Les professeurs Ibrahim Albalawi et Saïd Soilihi ont eu l’honneur de présenter leurs exposés sur les pratiques du français en Arabie Saoudite et aux Comores, mardi 18 mai à partir de 15 heures.

{xtypo_dropcap}D{/xtypo_dropcap}evant une vingtaine de personnes seulement et avec un retard de plus d’une heure, le professeur de l’université du roi Saoud (Arabie Saoudite) a traité des applications du français en Arabie Saoudite et des perspectives interculturelles. Historiquement, la société française est la première à s’être intéressée à la civilisation arabo-musulmane. L’enseignement du français s’est fait seulement jusqu’en 1973. Depuis, il perdure seulement dans le cadre d’études supérieures et à travers des cours spécifiques.

Le français qui a toujours était lié à l’esthétisme et aux recherches scientifiques, serait aujourd’hui un atout professionnel en Arabie Saoudite. Grâce à celui-ci, les échanges commerciaux et l’import-export ne pourrait que s’accroître. Les jeunes étudiants l’ont bien compris et on compte aujourd’hui plus de 800 boursiers saoudiens en France, contre 25 il y a quelques années. La destination universitaire préférée des Saoudiens reste cependant les Etats-Unis où près de 40.000 jeunes étudient.

 

"Le français, une ouverture sur le monde"

 

 

Le docteur en science du langage Saïd Soilihi a ensuite pris la parole pour présenter quelques points de sa thèse doctorale ayant pour problématique : "La séparation de l’archipel comorien peut-il entraîner des divergences culturelles ?".

Dès 1841, les Comores ont été sous la domination culturelle française. Malgré une légère rupture qui suivit l’indépendance de 1975, le français a très vite récupéré son statut de langue officielle au côté du comorien et de l’arabe. Elle est perçue par la population comorienne comme un billet de réussite sociale, une l’ouverture vers le monde. Dans une société ancrée dans ses traditions, cet engouement pour le français fait naître beaucoup d’interrogations. Seules les personnes ayant eu la chance d’aller à l’école et les jeunes le parlent, ce qui crée l’exclusion de certains anciens. On relève d’ailleurs un taux d’analphabète de 78% pour l’ensemble des trois îles.

L’ensemble des textes administratifs et décrets sont écrits en français, par des cadres formés en France. L’arabe est la langue de la religion, elle est apprise dès la 6ème. On constate que peu à peu l’arabe revient dans les rues, grâce aux "arabisants" ayant étudié dans les pays arabes. Le comorien quant à lui – variant légèrement selon les îles : "shi ngazidja", "shi ndzuani" ou "shi mwali" – est réservé à la vie de tous les jours.

L’enseignement comorien se fait entièrement en français. Les jeunes Comoriens maîtriseraient mieux la langue que les Mahorais. Au niveau juridique, sauf avec les cadis, toutes les juridictions sont en français, ce qui est déplorable pour certains non-francophones : comment être un citoyen si on est jugé dans une langue que l’on ne comprend pas. Même dans l’enceinte de l’assemblée nationale comorienne, les débats sont en français. La presse écrite est principalement publiée en français. Seules les chaînes de télévision et les stations de radio mêlent les trois langues.

Un phénomène nouveau fait surface depuis 1992. Dans le climat nettement instable de l’époque, des écoles privées ont été créées. Dans celles-ci les parents ont été encouragés à parler le français chez eux. Certes les enfants parlent mieux la langue, mais ils se voient de plus en plus perdus entre cette langue qui n’est pas leur langue maternelle, et le comorien père de leur culture.

 

Samira Abdoul

{mospagebreak title=Français, Shimaoré et Education : Quelle place pour chaque langue}

Français et langues mahoraises : quelle place leur donner dans l'éducation ?

Il n'est jamais évident de remettre en question des pratiques éducatives établies depuis longtemps, surtout quand ces dernières touchent à la linguistique et aux impacts, parfois négatifs, qu'elles engendrent au sein du système éducatif. Dans le cadre du Forum international du plurilinguisme qui s’est déroulé durant trois jours à Mayotte, des chercheurs du monde entier se sont penchés sur la question et ont partagé leurs études et expériences.

 

{xtypo_dropcap}M{/}xtypo_dropcapayotte est une île qui, de par son histoire et sa position géographique, se retrouve au croisement de nombreuses cultures et donc de plusieurs langues. 1864 est l'année d'ouverture des premières écoles publiques laïques à Mayotte et de l'entrée officielle du français en milieu scolaire. Seulement, cette utilisation que l'on a voulu courante, et qui a été imposée, s'est heurtée au besoin, pour les Mahorais de continuer à faire vivre leurs langues locales.

Aujourd'hui, la problématique liée aux langues est réellement palpable et visible en milieu scolaire. Durant le Forum international du plurilinguisme, la question de la place du français et des langues locales à l'école a été largement abordée à travers des conférences retranscrivant des travaux de chercheurs à ce sujet. Evelyne Delabarre, chercheuse en sciences du langage à l'Université de Rouen, est intervenue pour exposer une étude menée avec Jeanne Gonac'h sur "Les discours de lycéens mahorais sur les langues à l'école".

A travers deux enquêtes réalisées en 2005 et en 2009, elle a proposé une analyse du rapport qu'entretiennent ces jeunes scolarisés avec la langue française. "Nous nous sommes intéressés au français, parce que même si souvent les langues locales sont à la base du débat qui introduit les questions de "quand les a-t-ont introduites et quelle est la meilleure manière de les réutiliser?", il se trouve que les jeunes ont parfois un autre regard sur les langues locales. Nous voulions réellement savoir ce qu'ils pensaient du français et non des langues locales. Nous nous sommes aussi intéressés de savoir ce qu'ils pensent de l'usage de l'école par rapport à ces langues.'"

Pour répondre à ces questions, les deux enquêtes réalisées sur Mayotte par les chercheuses ont ciblé une population de jeunes de 16 à 20 ans, scolarisés. Utilisant en premier lieu les entretiens, elles ont par la suite eu recours aux questionnaires écrits. "Les jeunes nous ont paru extrêmement intéressants parce que ce sont eux qui sont concernés, spécialement par les différents aménagements linguistiques et les réformes éducatives", a expliqué Evelyne Delabarre.

 

Le français, une langue idéalisée

 

Plusieurs questions ont été posées aux lycéens afin de déterminer précisément l'attachement et la vision du français des élèves mahorais. Le statut du français et la transmission ont été abordés, l'objet de l'étude étant aussi de voir les évolutions de discours entre les deux enquêtes qui n'ont cependant pas été réalisées avec le même nombre de participants.

"Ce qui ressort principalement de cette étude, lors de deux enquêtes, c'est que le français est vu par ces jeunes avant tout comme une langue d'avenir, qui va leur permettre de sortir de Mayotte, professionnellement parlant", avance la chercheuse.

"Cependant, il demeure l'idée sous-jacente que ce français, valorisé par eux-mêmes, risque de mettre à mal leurs langues locales. Mais ils restent fascinés par le français, qui pourrait leur apporter quelques chose de très bénéfique."

Durant les deux enquêtes menées par les chercheuses, la question du statut du français à Mayotte a été abordée. La langue française est-elle une langue de Mayotte à part entière ? Pour plus de la moitié des lycéens, durant l’enquête menée en 2005, la réponse est négative. En 2009, la proportion est inversée. "Si avant, pour ces jeunes, le français était une langue venue d’ailleurs, elle est peut-être en passe de devenir une langue d’avantage intégrée à Mayotte."

 

Quelle langue de transmission ?

 

Français, anglais, langues locales ? La langue de transmission sera avant tout française pour les jeunes interrogés. "Cela me semble assez logique, si ces derniers pensent que le français est une langue d’avenir je ne vois pas pourquoi ils ne la transmettraient pas à leurs enfants. Cependant, le shimaoré et les autres langues locales tiennent toujours une place d’importance." A noter, en 2009, la langue arabe apparaît également dans leurs réponses.

La place mahoraise du français est une question qui suscite des discours contradictoires, parfois volatiles, qui sont sans cesse en mouvement et, comme le précise Evelyne Delabarre : "les réponses que l’on a pu avoir en 2005 ou en 2009 ne seront peut-être pas du tout les mêmes plus tard"

Il y a eu une autre conférence, reprenant cette problématique, sur "La diversité des langues à Mayotte et les problèmes consécutifs", proposée par Madi Haladi, du conseil général de Mayotte. L’île, que l’intervenant défini comme "un terrain de rencontre de plusieurs races, cultures et langues", connaît, ce n’est pas un constat nouveau, un fort taux d’échec scolaire.

"Nous sommes dans une situation de monolinguisme imposé, étatique", avance pour commencer l’intervenant. "Cette situation crée un affaiblissement de nos langues et de nos cultures. Il faut savoir que la situation du français en 2010 ne diffère pas de celle qu’elle était en 1864. Simplement parce que les Mahorais pratiquent toujours très peu cette langue." La mauvaise utilisation du français serait-elle également responsable de l’illettrisme ambiant et donc d’une difficile insertion professionnelle et sociale des Mahorais ? "Assurément oui", affirme M. Madi.

"Les méthodes éducatives utilisées à Mayotte sont calquées sur celles en usage en Métropole, alors que le contexte public n’est pas du tout le même. Ce mimétisme méthodique est en parti responsable du fort taux d’échec scolaire. Aujourd’hui, seule une approche politique qui favoriserait le multilinguisme assurera la vivacité et le développement de nos langues", a-t-il conclu.

Comment faire alors pour que le jeune Mahorais scolarisé ne se sente pas exclu d’une pratique langagière qui devrait lui être familière ? De quelle manière s’approprier une langue qui, comme l’a avancé Josy Cassagnaud de l’ENTE d’Aix-en-Provence, n’est actuellement plus vue comme "langue qui rend infidèle", mais avant tout comme "la langue du pain" qui va permettre de trouver un travail ?

Nombre de problématiques ont été abordées durant ce colloque international de très haut niveau. Si des réponses et des solutions ne pourront être, concrètement, tout de suite apportées, il a eu a le mérite d’avoir posé les bonnes questions. Remettre en cause la présence du français à Mayotte n'est pas l'objet, mais à présent, si l’on opte pour un discours d’avenir, il devra dans la pratique, chose sûre et évidente, s’adapter au plus près à la situation politique et sociale de Mayotte et aux besoins des Mahorais.

 

Mathilde Fischer

{mospagebreak title=Entretien avec Evelyne Delabarre}

DOSSIER : Colloque international du plurilinguisme - Entretien avec Evelyne Delbarre

Entretien avec Evelyne Delabarre

"Discours de lycéens mahorais sur les langues à l'école"

Evelyne Delabarre est maître de conférences à l'Université de Rouen au département des sciences du langage et enseignante-chercheur.lle a longuement travaillé sur le "Discours de lycéens mahorais sur les langues à l'école".

 

{xtypo_dropcap}Q{/xtypo_dropcap}u'est ce qui vous a poussé à étudier l'impact de la langue française sur les jeunes et plus particulièrement les lycéens à Mayotte spécifiquement ?

Le goût pour Mayotte est un peu ancien. Depuis presque une dizaine d'années des étudiants mahorais sont inscrits en enseignement à distance dans notre département pour préparer différents diplômes comme des masters en sciences du langage. C'est à partir de ces premiers étudiants que nous avons rencontré Mayotte et que s'est porté notre intérêt sur l'île. Foued Laroussi est aussi venu dans notre Université par rapport à cette formation et a découvert le contexte mahorais. Il a donc pensé que cela pouvait faire un très beau lieu de recherche. Quand au choix des lycéens, il nous a paru intéressant d'étudier ce qu'ils pensent de ces langues en contact, dans la mesure où ce sont eux qui sont les futurs acteurs de la vie à Mayotte. Enfin, il faut aussi prendre en compte que la population de Mayotte est très jeune.

 

Les enjeux que représente le français à Mayotte touchent donc moins les adultes ?

Les choix éducatifs ne les concernent pas tout à fait de la même façon que les lycéens qui sont en plein dedans, ont leur avenir devant eux, et qui en plus sont amenés à devenir de futurs parents. Les adultes sont déjà installés dans une certaine vie sociale et professionnelle. Pour l'instant et quoiqu'on en dise, le français reste, pour les jeunes scolarisés, un moyen d'accéder à quelque chose professionnellement.

 

Est-ce réellement comme ça que les jeunes vivent le français ou est-ce seulement du domaine du discours ? Y-a-t-il une réelle volonté de leur part de se servir de cette langue ?

Apparemment dans leurs discours, dans leurs propos, ils pensent largement que le français est la langue d'avenir, ainsi que l'anglais. Après dans la vie quotidienne, il en est peut-être autrement. Certains voient l'apprentissage et l'usage du français comme une obligation, ils se disent : "comme on est Français, on va parler cette langue." Cela relève d'une notion d'obligation mais aussi d'utilité. Pour d'autres, le français apparaît réellement comme une langue indispensable d'ouverture sur le monde. De toute façon, cela ne relève pas du choix, puisque l'enseignement est en français, mais cependant les attitudes de ces jeunes sont assez marquées.

 

Entre langues locales et français, avez-vous senti ces élèves en situation de "grand écart" linguistique ?

Tout dépend ce que l'on appelle "écart". Entre les langues locales et le français, qui n'ont aucune ressemblance d'un point de vue linguistique, oui, l'écart est grand. La situation est très complexe pour eux puisqu'ils sont scolarisés dans une langue qui n'est pas la leur, et on leur apprend à lire et à écrire dans cette langue qui n'est pas celle d'origine. Il faut s'imaginer nous, si on nous avait appris à lire et écrire en arabe, par exemple.

 

L'emploi du français peut-il être tenu responsable du fort taux d'échec scolaire à Mayotte ?

Ce n'est pas l'emploi du français qui pose problème, c'est la façon dont il est enseigné. Je ne dis pas que ça facilite les choses, mais s'il était bien posé, non pas comme une langue maternelle mais soit comme une langue étrangère, soit comme une langue seconde, et que les pédagogies étaient adaptées par rapport à ces positionnements là, les choses seraient peut-être meilleures.

A partir du moment où l'on considère que le français est une langue maternelle, que la pédagogie mise en place relève plus de la langue maternelle que de la langue étrangère, c'est évident que cela pose des problèmes. Les instituteurs de Mayotte s'en rendent bien compte. Quand on parle des langues locales, il faut bien savoir qu'elles sont là, il ne s'agit pas de les introduire. Mais l'utilisation que l'on en fait ne va pas dans le sens de l'apprentissage du français.

 

L'école est-elle un terrain favorable pour que les jeunes se familiarisent avec le français, où peut-elle, au contraire, créer du rejet ?

Il n'y a pas de meilleur endroit à partir du moment où les jeunes ont envie d'apprendre. Si c'est imposé, quand cela s'apparente à de l'obligation, c'est là que ça ne va plus. Mais le français étant vu par certains comme une langue "d'une institution qu'ils veulent", puisqu'ils ont voté pour la départementalisation, je ne sais pas s'ils ont bien mesuré les effets que cela peut avoir. Ce n'est pas seulement un apport financier en termes de subventions et d'aides aux personnes, c'est aussi une culture différente qui est en train et qui va se mettre en place.

 

Propos recueillis par

 Mathilde Fischer

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