Si le préfet est toujours le dépositaire territorial de la puissance étatique, sa fonction a évolué sous l’influence de la décentralisation ou de la modernisation de la gestion publique. À Mayotte, un gros travail reste à faire pour la transformation de l’État, en particulier dans ses relations avec les acteurs locaux.
Ancien préfet de Mayotte, Jean-François Colombet quitte l’île lundi. Son successeur, Thierry Suquet, nommé le 23 juin dernier, hérite de l’élaboration de la future Loi Mayotte voulue par le ministre de l’Outre-mer dont la visite est annoncée courant juillet. Ce dossier n’est pas anodin puisqu’il comporte un volet décentralisation, le département de Mayotte étant la seule collectivité de France où cette réforme n’est pas achevée. L’État y exerce toujours la compétence en matière de gestion des collèges et des lycées. Il a aussi la main sur les routes nationales. Le transfert de ces compétences au département et à la région est une des revendications formulées pour la rédaction définitive de la Loi Mayotte.
La feuille de route de Thierry Suquet doit donc comporter une discussion sur ces sujets sensibles, intéressant les secteurs de l’éducation, notamment le second degré, et des transports. À cet égard, deux grandes thématiques seront sur la table de travail du délégué du gouvernement. D’une part, la maîtrise de la démographie scolaire explosive, qui rend prioritaire la concrétisation du projet immobilier du rectorat, y compris dans le premier degré où persiste le déficit en salles de classes. D’autre part, le désengorgement de la capitale, la fluidification de la circulation routière, thème récurrent compte tenu des conséquences néfastes des embouteillages sur le dynamisme de l’économie locale. Pour tous les citoyens, lancer le chantier du contournement de Mamoudzou est une urgence signalée.
Ces deux domaines, éducation et transports, ont attisé les tensions entre le préfet Colombet et les collectifs, tensions qui, bien souvent, sont attribuables à la méconnaissance du rôle et des attributions du préfet. Il n’est donc pas inutile de rappeler ses fonctions, pour éclairer la société civile.
Changer les mentalités coloniales
Le préfet est un haut fonctionnaire nommé en conseil des ministres, par décret du président de la République, sur proposition du premier ministre et du ministre de l’Intérieur. Selon l’article 72 de la Constitution, il a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois. Chef de l’administration préfectorale, le préfet met en œuvre les politiques gouvernementales. Il est garant de l’ordre public et de la sécurité.
Traditionnellement, les préfets remplissaient une double mission à la tête du département : ils représentaient l’État et détenaient le pouvoir exécutif. Depuis la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions nouvellement créées, la fonction exécutive a été transférée aux présidents de conseil général (devenu « départemental » en 2015) et régional. À Mayotte, la bascule a eu lieu tardivement, en 2014.
Ce retard explique le comportement hautain de certains hauts-fonctionnaires affectés dans l’île, qui se croient revêtus de pouvoirs omnipotents, à l’exemple des gouverneurs d’ancien régime, de l’époque coloniale. À l’inverse, la décentralisation tardive, encore inachevée, explique l’attitude soumise de certains Mahorais à l’égard du représentant de l’État, posture obéissante observée aussi chez certains qui pensent, à tort, que le préfet est leur supérieur hiérarchique. Cette image paternaliste, persistante, ajoutée à la peur de l’uniforme, nuit au bon fonctionnement des institutions, à l’exercice des responsabilités locales. Le séjour de Thierry Suquet peut contribuer à instaurer des relations plus saines avec les acteurs locaux. Un changement de conduite, de part et d’autre, est nécessaire pour faire évoluer les mentalités et mettre un terme aux rapports de domination coloniaux.
Jusqu’en 1982, la fonction de dépositaire de l’autorité étatique avait créé une relation particulière entre le préfet et les collectivités territoriales (communes et départements). Ce dernier exerçait une tutelle sur elles. Cette tutelle avait un but politique : de crainte que les collectivités n’acquièrent trop de puissance et n’empiètent sur les attributions de l’État, la tutelle visait à les soumettre aux décisions et réglementations nationales. L’objectif était de maintenir la supériorité de l’intérêt général national sur des intérêts locaux. Les collectivités ne pouvaient donc délimiter l’intérêt public local que dans le respect des politiques étatiques.
Dans la pratique, ce système n’était toutefois pas aussi vertical. Dans ses relations avec les élus locaux, le préfet a toujours essayé de collaborer et de négocier avec eux plutôt que de leur imposer unilatéralement ses décisions. Son ascendant tenait ainsi davantage à son prestige et à sa compétence technique qu’à ses prérogatives juridiques. Ce système centralisateur fut profondément réformé.
Une fonction moins autoritaire
En effet, la décentralisation consiste à conférer et à renforcer les compétences dévolues à des collectivités territoriales indépendantes de l’État, c’est-à-dire essentiellement les communes, les départements et les régions. Le centre, l’État, est ainsi délesté de certaines prérogatives remises aux collectivités. Le processus de renforcement des compétences locales se poursuit aujourd’hui et nécessite une reconfiguration continuelle de l’organisation administrative.
La fonction du préfet, en tant que représentant territorial de l’État, se trouve modifiée par ce partage de compétences avec les collectivités décentralisées. Le préfet est de moins en moins une autorité confinée à l’exécution passive des directives gouvernementales et à la surveillance des collectivités territoriales, émancipées par la décentralisation. Au contraire, il s’érige en partenaire des collectivités. Il doit davantage initier des projets ou aider les collectivités à porter les leurs que censurer leurs actes ou comportements illégaux. Sa fonction est moins autoritaire.
Les missions du préfet ont ainsi été re-délimitées, par opposition à celles que l’État a transférées aux collectivités. Les fonctions préfectorales se sont resserrées sur leurs fondamentaux, tout en conservant un champ d’application relativement important, compte tenu des intérêts essentiels que les préfets sont chargés de préserver. Elles maintiennent ainsi la prépondérance du préfet sur les collectivités territoriales, dans le but d’assurer le respect de la loi et de préserver les principes d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi, que l’on ne saurait sacrifier à la décentralisation.