C’est un combat que mènent les fervents défenseurs du shimaoré et du kibushi depuis des années. L’enseignement des langues mahoraises à l’école n’est plus qu’un rêve. Le Département, le rectorat, le CUFR et l’association Shimé ont signé une convention régissant les règles à suivre pour que les élèves du premier degré puissent apprendre ces langues régionales dans les établissements scolaires.
Dans la salle DRH du conseil départemental, le recteur annonce la couleur. « Jéjé, wa fétché ! » Des mots shimaoré prononcés ce mardi matin par Gilles Halbout comme pour poser le contexte de sa venue. Réunis autour de la même table, le représentant de l’académie, le président du Département, celui de l’association Shimé et le directeur ad-joint du centre universitaire de formation et de recherche (CUFR) s’apprêtent à signer une convention historique pour l’île. Désormais, le shimaoré et le kibushi, les deux langues régionales du territoire, pourront être enseignées de manière formelle dans les écoles du premier degré de Mayotte.
Une première victoire pour Rastami Spelo, président de l’association Shimé, qui n’a ja-mais cessé de prôner la valorisation de ces deux langues. « J’y ai toujours cru… L’État a mis fin aux inégalités en reconnaissant nos langues régionales. Je vais me battre encore et encore pour l’acceptation du shimaoré et du kibushi à l’école laïque de notre République », prévient-il à l’assemblée et notamment aux autres signataires de la convention. Malgré cette avancée inédite pour l’apprentissage du shimaoré et du kibushi, Rastami Spelo reste sur ses gardes. Selon lui « en France la manière de faire est de discourir, donner tout ce qu’il faut et ne pas faire ». Mais il n’a pas l’intention de baisser les bras après plus de 20 ans de combat.
Son association qui a longtemps été soutenue par la collectivité pourra désormais compter également sur le soutien de l’Éducation nationale. Cette nouvelle étape peut être franchie grâce à la réunion de nouvelles conditions. « On ne peut pas apprendre une langue sans avoir réfléchi à la manière de l’écrire et la parler correctement. C’est désormais possible avec tout le travail qui a été fait par le conseil départemental, les associations et les chercheurs qui ont travaillé à la formalisation de ces langues régionales », décline Gilles Halbout. Cela est également rendu possible depuis la promulgation de la loi du 21 mai 2021 qui reconnaît, protège et promeut les langues régionales.
Formation obligatoire des enseignants
La signature de la convention n’est que le début d’un long processus pour que tous les enfants puissent apprendre le shimaoré et le kibushi à l’école. Avant d’arriver à cette ultime étape, il faut en premier lieu former les enseignants. Parler une langue est une chose, mais maîtriser tous ses rouages et pouvoir la transmettre en est une autre. De plus, un certain nombre d’enseignants de l’île n’en parlent aucune des deux, il est donc primordial de les former. « Il faut qu’on ait des formateurs aguerris et qu’on soit carrés sur les règles grammaticales et orthographiques… Il y a un travail sur le long terme à faire et nous aurons besoin des associations, pour que tous nos enseignants s’acculturent avec ces langues et qu’un très grand nombre d’entre eux puissent les enseigner », explique le recteur de Mayotte.
Et cela passera notamment par le centre universitaire de formation et de recherche de Dembeni qui devra préparer les futurs professeurs des écoles. « Dès l’année prochaine, en septembre, on va réfléchir à l’introduction de modules d’initiation des langues régionales dans nos maquettes à destination des enseignants du premier degré dans un premier temps », annonce Abal Kassim Cheik Ahmed, directeur adjoint de l’établissement. Il faudra donc attendre encore quelques années avant que l’enseignement du shimaoré et du kibushi se fasse à grande échelle. Pour l’heure, l’Éducation nationale mènera des expériences dès la rentrée scolaire de 2021. « Pour amplifier tout cela, il nous faut du matériel pédagogique, des manuels et tout cela va prendre un peu de temps. Notre objectif est de commencer par les petites classes et que l’on puisse continuer dans le second de-gré comme cela se fait dans les autres établissements du territoire national », souhaite Gilles Halbout.
Un travail de longue haleine
Quelques enseignants pratiquent déjà le bilinguisme dans certaines écoles de l’île, mais ces cas sont anecdotiques. Les élèves de Mayotte n’apprendront pas les deux langues régionales du jour au lendemain, car elles manquent encore une certaine structure. La graphie du shimaoré et du kibushi a été adoptée il y a tout juste un an, après de longues années de débat. Mais il ne s’agissait que de la partie émergée de l’iceberg. « Beaucoup rester à faire, il convient notamment de continuer à œuvrer pour [leur] codification en les dotant d’une orthographe et d’une grammaire officielle », précise Soibahadine Ibrahim Ramadani. Et pour y parvenir, lors de la dernière commission permanente du conseil départemental, le président a proposé la création de l’institut des langues et de civilisation de Mayotte. « Il assumera la mission d’académie des langues et fixera ainsi les normes régissant les langues mahoraises », précise le responsable de la collectivité pour encore quelques jours. Gare à ceux qui écorcheront d’une manière ou d’une autre le shimaoré et le kibushi !