Menée auprès de 6.000 agents, une étude de la Mutuelle des forces de sécurité, (MGP), rappelle les difficultés quotidiennes auxquelles sont confrontés ces fonctionnaires. Plus de 1.100 policiers se sont suicidés ces 25 dernières années, soit 50% de plus que le reste de la population. Le 101ème département a ainsi perdu deux de ses agents, entre 2020 et 2021.
Depuis le 1er janvier 2021, 16 policiers se sont donnés la mort. Parmi eux, un agent du 101ème département, formateur au centre de tir dont le corps sans vie avait été découvert fin janvier par la police aux frontières (PAF), en Petite-Terre. “Il y a eu une enquête mais on ne sait pas vraiment pourquoi il s’est suicidé. Tout le monde pense que c’était lié à sa vie privée, car c’était quelqu’un de bien structuré, de sportif, il ne laissait pas transparaître de faiblesse… Mais on ne sait jamais vraiment”, soupire Bacar Attoumani, secrétaire départemental du syndicat Alliance Police Nationale.
Pour les policiers, il est toujours difficile de faire la part des choses entre vie professionnelle et vie privée. Une réalité qui vient d’être étayée par une étude de la Mutuelle des forces de sécurité (MGP), dont les résultats ont été publiés ce lundi par le site de Franceinfo et le journal Le Monde. La mutuelle, qui a interrogé 6.000 agents entre février et mars 2021 a mis en lumière les difficultés de la profession. Ainsi, un quart des policiers a des pensées suicidaires et 40% d’entre eux sont en détresse psychologique. Soit bien plus que la moyenne nationale, et ce, alors même que les policiers français sont en meilleure santé que l’ensemble de la population. Mais ils souffrent parallèlement d’hypertension et de problèmes de dos à cause de leur équipement, des “conditions d’exercice du travail” qui influent sur leur santé mentale, souligne l’étude. Les jeunes entre 30 et 35 ans sont les plus touchés, et considèrent manquer “de temps pour accomplir leurs tâches et avoir des difficultés à jongler entre vie privée et professionnelle”, rapporte Franceinfo.
La problématique propre à l’institution
Alors que la France compte plus de 150.000 policiers, le panel de 6.246 fonctionnaires qui ont répondu au questionnaire, constitué en majorité d’hommes, de plus de 45 ans, en couple et ayant plus de 20 ans d’ancienneté, donne “une photographie représentative du policier moyen”, juge Le Monde. Si les agents en poste à Mayotte ne figurent pas forcément parmi les personnes interrogées, les syndicats de police locaux que nous avons contactés confirment ces résultats. “Le risque est réel à Mayotte car cette problématique ne concerne pas que la métropole mais bien l’institution”, abonde Bacar Attoumani.
Les difficultés identifiées par l’enquête de la MGP, comme les conditions de travail, les tensions avec la population, les rapports avec les collègues et la hiérarchie qui “aggravent le phénomène” de détresse psychologique, se vérifient en effet sur l’île aux parfums. “On dit souvent que les collègues se suicident à cause de leurs problèmes persos, c’est en tout cas ce qui est déclaré par le ministère ou la hiérarchie directe, mais souvent ces problèmes rencontrés au travail finissent par être ramenés à la maison. C’est très compliqué de faire la part des choses”, confirme Aldric Jamey, délégué départemental d’Alternative Police. Selon le représentant, le manque d’effectifs et de moyens, “peu importe l’endroit”, pèse dans la balance. “Je parle par exemple d’avoir un véhicule ou du matériel adaptés. Des choses toutes simples, comme les problèmes de dos que nous pouvons avoir à cause du ceinturon et du poids de l’arme d’un côté de la hanche”, relève-t-il.
Isolement, manque de suivi psychologique
Autre constat, également partagé par l’étude : la nécessité d’un suivi psychologique, qui manque cruellement, qui plus est à Mayotte. “Nous avons une seule psychologue qui n’est pas là tout le temps, et c’est très difficile d’effectuer le suivi, face à des collègues qui n’osent pas passer le pas, il y a une peur d’exprimer son mal-être”, poursuit Aldric Jamey. Si des dispositifs comme les numéros verts, existent ou ont existé par le passé, leur efficacité semble par ailleurs limitée. “Dès qu’il est possible d’être identifié, cela constitue un frein, et ici les gens se connaissent, c’est petit”, explique Bacar Attoumani, qui souligne aussi le manque d’accompagnement pour les nouvelles recrues, dès lors qu’il s’agit de trouver un logement ou une école pour les enfants. “Il y a une problématique d’isolement, les gens peuvent avoir du mal à s’adapter à Mayotte, ce qui pousse certains collègues au départ.” Sans compter les défis sécuritaires du 101ème département, qui fait face à “une montée de la violence”.
Des effectifs sous pression
Outre ce manque d’accompagnement, des dissensions peuvent naître entre les agents et leur hiérarchie. “Nous avons des situations où le commandement se désolidarise de la base, et commande uniquement avec la politique du chiffre, qui est d’ailleurs toujours présente, quel que soit le service”, rappelle Aldric Jamey. Sans surprise à Mayotte, la lutte contre l’immigration clandestine est particulièrement exposée à cette pression. Avec des effets en cascade pour les autres services. “Quand on demande aux effectifs de la CDI (compagnie départementale d’intervention) de faire de la LIC, ce sont autant de véhicules de police et d’agents réquisitionnés, qui vont être enlevés de Mamoudzou pour aller en Petite-Terre et au centre de rétention administrative (CRA)”, poursuit le syndicaliste.
Reste une spécificité locale : “les Mahorais, ceux qui sont issus de la culture musulmane peuvent écarter la possibilité du suicide, au regard de leur éducation”, analyse Bacar Attoumani. Ce qui n’a pas empêché le 101ème département de connaître lui aussi deux suicides de policiers en moins d’un an, l’un en avril 2020, agent à la police aux frontières (PAF) et l’autre en janvier 2021, formateur aux techniques et à la sécurité en intervention (FTSI). De son côté, la MGP rappelle que plus de 1.100 policiers se sont suicidés ces 25 dernières années, soit 44 suicides par an en moyenne. C’est 50% de plus que le reste de la population. “Il faudrait qu’il y en ait zéro”, signe Aldric Jamey.