A Mayotte, si un grand nombre de pêcheurs ont aujourd’hui des bateaux à moteurs, la pirogue traditionnelle mahoraise, à un balancier, a été pendant longtemps le moyen préféré pour aller pêcher. Et elle a toujours quelques adeptes. La preuve ? On en fabrique encore, dans le nord et le sud de l’île, mais aussi en Petite-Terre.
Vêtu d’un pantalon de survêtement et d’un t-shirt jaune, un homme se penche sur une pirogue pour attacher une cordelette. L’Africain, comme il est surnommé en raison de sa couleur de peau très foncée, se concentre pour fixer le balancier, l’une des dernières étapes de la construction. C’est avec son père que ce Grand Comorien d’origine, arrivé à Mayotte il y a vingt ans de cela, a appris à construire des pirogues, lorsqu’il était jeune. Un art qu’il a su maîtriser avec le temps, sans être pour autant sa vocation première. « Je le faisais d’abord sur mon temps libre, avec un de mes voisins », explique l’homme aux mains marquées par les années et la mer. “Puis les gens ont commencé à me dire qu’ils aimaient quand j’avais travaillé sur leurs pirogues, j’ai donc décidé d’en faire mon métier”. Ce savoir-faire, il l’exerce donc toujours aujourd’hui, à Pamandzi, sur la digue, au plus proche du ressac. Les chanceux peuvent l’apercevoir, les mains occupées à fixer les derniers détails.
Un business en chute libre
C’est que les pirogues se font rares dans les eaux du lagon. « Les Mahorais ont perdu cet amour de la mer et de la pêche », soupire l’Africain, comme résigné. Pour cet amoureux des vieilles choses, la barque en bois de badamier ou de manguier, creusée à même le tronc, surpasse encore toute autre embarcation. L’arrivée en masse des bateaux à moteurs, plus puissants et moins éprouvants pour les bras tannés des pêcheurs, a presque fait couler les ventes de l’africain. Il y a dix ans, l’artisan vivotait tranquillement de sa petite affaire.“Je pouvais en vendre 10 dans le mois ! Aujourd’hui, c’est seulement une ou deux”, compte-t-il, en se remémorant la belle époque. Pas question pour autant, de faire bouger le prix d’un centime : une pirogue vaut toujours 1000 euros. Tout rond !
Bon, il y a bien une chose qui est venue chahuter un peu les habitudes de ce grand nostalgique. La technique. Avant l’arrivée des machines, la construction d’une pirogue prenait environ un mois. Il s’agissait de creuser puis de laisser sécher la résine, à l’air libre, afin de s’assurer que le bois soit bien protégé. Aujourd’hui, une pirogue se fait en moins d’une semaine ! De quoi booster la production. Mais la demande, elle, ne suit pas. La suite du processus n’a pas changé. Une fois la coque et le balancier sec, ils sont fixés entre eux grâce à du fil. L’Africain attrape justement le fil dans ses mains en même temps qu’il parle, mécaniquement, et relie les deux morceaux de l’embarcation. La technique est maîtrisée, répétée des centaines voire des milliers de fois, l’artisan n’a même pas besoin d’y réfléchir, ses gestes sont enregistrés à la perfection.
Quand il s’exprime, c’est la passion qui parle. Même si la construction est bien plus rapide avec les machines, il préfère la méthode traditionnelle. “Les pirogues sont plus résistantes comme ça, avec la méthode d’avant”, assure-t-il. Malgré les difficultés, l’Africain aime profondément son métier et à 50 ans passés, il n’a plus envie de changer. Il pense qu’il pourra toujours trouver des amoureux de la mer. Les vrais, ceux qui préfèrent les douces ondes de la pirogue sur la surface au vrombissement hurlant d’un bateau à moteur.