06/04/2010 – Tribune libre

 

 

 

{xtypo_dropcap}L{/xtypo_dropcap}a classe politique locale est à court d’imagination pour proposer un projet de société qui réponde aux attentes et aspirations des Mahorais.

Au-delà de la récession économique mondiale, ce territoire français en pleine mutation subit en son sein plusieurs formes de crises extrêmement profondes qui hypothèquent durablement son développement. Le processus institutionnel validé par son peuple il y a un an se complexifie davantage.

 

Trois formes de crises secouent le pays :

  • La première est une crise de leadership politique, incapable de porter un projet de société lisible qui dessine un avenir meilleur pour la population de Mayotte ;
  • La deuxième est la crise financière sans précédent qui atrophie la capacité d’investissement de la Collectivité, entrave les projets de développement de l’île, tarit la commande publique, plombe la croissance économique et jugule toute initiative de création d’emplois dans le secteur privé. En corollaire une grave crise sociale qui viendrait agrémenter une situation déjà pourrie.
  • La troisième est une crise de management des ressources humaines liée à la nature même de l’architecture organisationnelle du CG et de l’impact sur le mode de fonctionnement de l’institution. Un organigramme trop éclaté, pollué par des redondances de fonctions avec plusieurs paliers de prise de décisions qui, à un niveau donné, provoquent une rupture de la chaine de commandement et favorisent l’incurie administrative. Les nouvelles compétences dévolues au département/région de Mayotte ne sont pas, à ce jour, identifiées. Dans un tel contexte, la mise en œuvre des réformes institutionnelles devant se traduire par la transformation de Mayotte en département/région s’effectuera dans la douleur.

Cet inventaire non exhaustif révèle au grand jour une crise structurelle profonde qui affecte le fonctionnement normal des institutions locales, et un défaut de méthode dans la manière de se saisir des questions relatives à la gestion des affaires publiques, de les analyser froidement et d’y apporter les solutions appropriées afin de répondre correctement aux attentes de la population.

 

Une crise structurelle profonde puisque nous sommes en train de payer, au plus fort, le prix d’un passé historique plus ou moins récent :

  • Celui d’un système de gouvernance qui remonte à 168 ans où règne à Mayotte un style d’administration, fondé sur des rapports de force – souvent tendus, parfois malsains – de gouvernant/gouverné et qui n’intègre pas suffisamment la dimension humaine dans la mise en œuvre des politiques publiques locales. Ce système de gouvernance, de type colonial, a façonné profondément le mode de raisonnement et d’action du leadership politique mahorais, formaté en vassal post-colonial. Le Président de la République, Nicolas Sarkozy, ayant pris en compte la perversité de ce système de gouvernance et estimant qu’il n’est plus approprié au contexte sociopolitique "des pays du champ", a décidé d’organiser les états généraux de l’Outremer en juin-juillet 2009 afin de réguler la relation entre Paris et les pays des Outremer.
  • Celui de la passivité d’il y a 35 ans quand le peuple mahorais a fait le choix de rompre le lien administratif avec les Comores, sans que la classe politique locale se soit dotée des moyens politiques et humains qu’un tel choix exige, pour la prise en main du destin commun des Mahorais. L’alternance politique n’a pas suivi jusqu’à ce jour. Pendant ce temps, le slogan "nous voulons rester Français pour être libres" a muté en "nous voulons être Français pour être égaux" (consultation du 29 mars 2009); dans un quart de siècle, le slogan aura évolué en : "nous sommes Français pour être fraternels", ainsi la devise "Liberté, Egalité, Fraternité" aura un sens pour les Mahorais.
  • Celui du gâchis d’il y a 6 ans où le représentant de l’Etat de l’époque (en 2004) a mis à mal les avancées institutionnelles de ce pays, en ne menant pas à son terme le processus de la décentralisation, et le transfert de l’exécutif, du préfet au président du CG, d’une part, et en censurant le programme de formation des cadres mahorais, d’autre part : ce gâchis laisse le goût amer d’un chantier inachevé.
  • Et enfin celui du marasme social et économique actuel qui est la conséquence des 3 impairs rappelés plus haut : le mauvais fonctionnement des institutions locales et l’affaiblissement de l’exécutif départemental face à la puissance administrante qui se soustrait de ses obligations régaliennes et financières envers la Collectivité départementale.

Ces faits ont inéluctablement des répercutions sur l’organisation et le fonctionnement des institutions politiques, administratives et sociales du pays. Ils nécessitent donc un traitement structurel, autrement dit, la mise en œuvre de changements de fond, dans les modalités d’organisation, de fonctionnement et de responsabilisation dans toutes les collectivités locales, afin de corriger ces erreurs de l’histoire.

Un défaut de méthode justifié par l’absence de concertation et d’implication sur des sujets d’intérêt commun de la part du leadership politique mahorais. La notion de concertation et de collégialité dans l’action publique est supplantée par les combinaisons internes des états-majors politiques, cherchant à se positionner durablement aux affaires; la dimension "progrès et développement humain" n’est pas au cœur de l’action publique.

 

Les effets pervers des accords de Tsingoni

Conclus au lendemain du renouvellement du conseil général en mars 2008, et motivés par la saine volonté de parachever le processus départemental pour Mayotte, les accords de Tsingoni ont fait la preuve de l’incapacité de la classe politique mahoraise à se réconcilier avec elle-même.

Hélas, ces accords ont montré leurs limites et contribué à miner l’autorité du président du CG. Le vote contrasté sur les transports scolaires en est l’illustration puisqu’il est un des éléments de l’affaiblissement de l’autorité du président qui, pour préserver sa majorité, est contraint de faire concessions et compromissions parfois illégales, avec les conséquences que l’on sait. L’institution perd un peu de sa crédibilité.

Et c’est là que se pose un véritable défi pour l’avenir. Le défi qui s’impose à la classe politique mahoraise est de réussir à conjuguer à la fois 3 valeurs fortes :

  • Un courage et une lucidité politique à un niveau élevé (capacité de remise en cause des pratiques politiques locales, connaissance des mécanismes de fonctionnement des institutions de la République);
  • Une force de propositions crédible vis-à-vis du Gouvernement français (quel modèle de société et de développement compatible avec les principes de la République, un  modèle négociable avec l’Etat) ; 
  • Une politique de ressources humaines dynamique (des hommes et des femmes compétents, porteurs d’espoir et capables d’apporter une valeur ajoutée aux missions assignées et à la construction départementale).

C’est en combinant ces trois enjeux que l’on amorcerait la sortie de crise, que la relance de l’économie reprendrait et qu’enfin les réformes sur les institutions départementales de Mayotte seraient aisées.

 

Une gestion financière à "la patate chaude"

Le déficit budgétaire de 92,37 M€ – réduit à 41 M€ au budget 2010 – imputable au CG est une responsabilité partagée avec l’Etat qui n’a pas honoré ses engagements financiers envers la Collectivité :

  • Non paiement de la dette de l’Etat évaluée à 45 M€ reconnue par le ministre  Jégo et publiée au JO du Sénat du 20 mars 2008 quand le sénateur Soibahaddine a interrogé le Gouvernement sur la dette de l’Etat envers Mayotte (Contrat de plan 2000-2006 et Convention de développement 2003-2007) ;
  • Non exécution des transferts de crédits affectés à des actions relevant des compétences de l’Etat (le reversement des frais de gestion du personnel mis à disposition : 3,5% de la masse salariale estimés à 35 M€) ;
  • Non transfert des crédits de la formation professionnelle (depuis janvier 2008), évalués à 6 M€ par an…;
  • Une politique des ressources humaines qui manque de dynamisme et d’ambition et qui se singularise par des recrutements de complaisance ou de nature endogame ;
  • Absence de stratégie financière pour le recouvrement des dettes exigibles à l’Etat.

La surenchère partisane cherche à coller la responsabilité du déficit à l’ancienne majorité en place de 2004 à 2008. Or, un audit financier réalisé par un cabinet d’expertise comptable en 2008, remis à l’actuelle majorité, semble nuancer cette thèse. Ce rapport d’audit n’a jamais été rendu public. Il faut chercher les raisons de cet imbroglio politico-financier et les motivations que sous-tendent une telle démarche. C’est une injustice que de stigmatiser Pierre pour dédouaner Paul !

En tout état de cause, les préconisations de la Chambre territoriale des comptes sont insuffisantes parce qu’elles sanctionnent uniquement la gestion financière et comptable de la Collectivité, sans prendre en compte la dimension sociale et humaine que suscite la gravité de la situation. Elles ne déclinent pas non plus les outils de régulation du système organisationnel des services pointé du doigt par la CTC comme responsable des dysfonctionnements constatés. La mise en œuvre du plan de redressement formulé par la Chambre territoriale des comptes est lourde de conséquences humaines et sociales, compte tenu des dégâts collatéraux que ce plan suscite en termes d’avancées sociales.

Car dans un territoire particulier de la République, où la solidarité nationale ne joue pas le jeu, les prestations et allocations sociales sont inexistantes, le pouvoir d’achat insignifiant, la cherté de la vie la plus élevée de France, le mouvement des entreprises en difficulté pour promouvoir les emplois, il est injuste et antiéconomique de procéder à des licenciements de personnel, sans mettre en place d’autres dispositifs alternatifs pour le traitement social du chômage.

 

La nécessité d’une remise à plat de l’organigramme du CG

Au-delà de la délicate crise financière, c’est la question de la cohérence, entre l’organigramme du CG et les missions dédiées, qui demeure désormais posée. Il y a nécessairement lieu de s’interroger pourquoi persiste l’immobilisme dans le traitement des dossiers administratifs et dans la mise en œuvre des projets de développement dont les services du CG ont la charge.

La réponse réside dans l’irrationalité de l’organigramme du CG et des dysfonctionnements notoires sous-jacents, en raison de la pluralité des instances décisionnelles (1 DGS, 7 DGSA, 55 directions techniques); la coordination d’ensemble des services en prend un coup.

Les faits suivants sont la preuve des dysfonctionnements en question qui se caractérisent par :

  • L’absence de suivi dans la mise en œuvre des actions programmées dans le Contrat de projet 2008-2014, et l’insuffisance de mobilisation, tant dans les ressources humaines que dans les ressources financières ;
  • La mise en veilleuse du Plan d’aménagement et de développement durable (Padd) validé par le Conseil d’Etat et approuvé par décret du Gouvernement le 22 juin 2009;
  • Le ponton des croisiéristes, remis aux calendes grecques et détourné de son objectif initial en le délocalisant vers une commune rurale sans en évaluer l’impact économique et sans s’assurer du nécessaire retour de l’investissement souscrit;
  • Le loupé de la DSP sur les transports scolaires : improvisations dans l’amateurisme et imbroglio d’intérêts particuliers ;
  • La gestion désastreuse du comité du tourisme !

 

Trois raisons à ces dysfonctionnements

  • 1ère raison : elle est structurelle et liée à la conception même de l’organigramme du CG qui donne l’image d’une "armée des généraux" :1 directeur pour 30 agents ! Cet organigramme déploie plusieurs niveaux de fonctions et de latitudes décisionnelles : 55 directeurs et assimilés. La multiplicité des niveaux de responsabilité et la répétition de certaines fonctions dans différentes directions ne favorisent pas une meilleure coordination des actions, ni une bonne transmission des directives, puisqu’à un niveau donné de l’organisation, il y a rupture de la chaine de commandement, d’où une perte d’efficacité. Un organigramme budgétivore.
  • 2ème raison : elle concerne la politique de gestion des ressources humaines qui manque de dynamisme. "Il faut l’homme qu’il faut à la place qu’il faut" en mettant un terme aux nominations et promotions partisanes, voire endogames.
  • 3ème raison : elle est liée aux pesanteurs administratives et la complexification des procédures bureaucratiques à travers les méandres de ce que l’on appelle "les procédures de droit commun"… La simplification administrative devient une nécessité.

Dans tous les cas, la remise à plat de l’organisation générale du conseil général reste la condition sine qua non pour améliorer la situation financière et comptable de la Collectivité. Dans le cas contraire, l’on grefferait une jambe de bois sur un corps humain.

 

Toillal Abdourraquib, conseiller à la ville de Mamoudzou

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