Rarement entendues depuis le début de la crise sanitaire, les boîtes de nuit font partie des entreprises les plus touchées par ses conséquences économiques. Obligé de fermer ses portes depuis le 17 mars 2020, Kassim Elhad, qui gère le Loft à Mamoudzou, peine à joindre les deux bouts. Mais impossible pour lui de renoncer à cette affaire, dans laquelle il a tout investi depuis presque quinze ans.
“Quand je leur ai dit que vous veniez, les gars ont voulu enlever les toiles d’araignées, je leur ai dit “non surtout pas !”. Il faut qu’on voie comment c’est, depuis un an.” Alors que Kassim Elhad ouvre la porte métallique du Loft dans un grincement, quelque chose d’autre saute aux yeux. Ou plutôt prend le nez : cette reconnaissable odeur de bar, savant mélange d’alcools renversés et de danses endiablées. Une année entière de fermeture n’a pas permis d’évacuer ces effluves, qui collent aux murs comme de vieux posters. Et l’espace d’un clignement d’yeux nostalgique, l’on pourrait presque entendre à nouveau les notes taper sur les baffles, comme si le Covid-19 et sa chape de plomb n’étaient pas passés par là. Oups ! Une flaque d’eau interrompt vite la rêverie. “Oui, avec cette saison des pluies de fou, j’ai eu des inondations”, fait remarquer le patron en pointant du doigt la gouttière qui fait la jonction entre ses deux salles principales.
À Mayotte, les discothèques comme le Loft se comptent sur les doigts de la main. Encore moins, si l’on considère ceux pour qui le monde de la nuit ne constitue pas la seule activité, comme le réputé Zen Eat, ou encore le Barfly. “Eux, officiellement, ils sont aussi restaurants, alors je suis un peu le seul à ne pas du tout pouvoir ouvrir”, soupire Kassim. Une rareté qui peut expliquer la discrétion des boîtes de nuit de l’île depuis le début de la crise, pendant que le collectif du monde économique de Mayotte (CMEM) et l’union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) 976, tapaient du poing sur la table à chaque nouvelle restriction imposée.
Des investissements juste avant la crise
Tandis que l’Hôtel le Rocher, dont dépend le Ningha club de Petite-Terre, a continué à héberger des clients et que le Koropa, grâce à son espace extérieur et sa piscine, a pu aussi, pendant un temps, ouvrir ses portes aux amoureux de la fête, le Loft a donc pris la poussière, seul dans son coin. Et ce, alors même que son gérant lui prévoyait une nouvelle jeunesse : un cadeau à 15.000 euros, qui s’ajoutaient aux quelque 500.000 euros investis depuis la reprise du club en 2007. Commandés en novembre 2019, de solides assises en fonte, des panneaux acoustiques et des morceaux de mousse attendent sagement de jours meilleurs. “Ça doit être la deuxième fois que des gens s’assoient là-dessus !”, lance Kassim en tapotant le coussin recouvert d’une belle toile ignifugée noire.
Bras de fer avec l’administration pour avoir des aides
Heureusement, 2019 a été un bon cru. 300.000 euros de chiffre d’affaires, au bas mot. Mais quand même. Après une année blanche, le gérant a aujourd’hui tout le mal du monde à obtenir les précieuses aides de l’État et du Département, pour garder la tête hors de l’eau. “Je ne vais pas mentir, il y a un historique derrière avec l’administration, et là ils m’ont eu avec le Covid”, concède Kassim, l’œil malicieux. Car depuis qu’il a repris l’affaire en 2007, l’entrepreneur n’a pas vraiment déposé ses bilans… Même s’il a scrupuleusement gardé les traces de ses comptes, assure-t-il. “À l’époque, c’était difficile à Mayotte de trouver un expert comptable pour les certifier.”
Des loyers et des dettes
Un point partout, balle au centre : le gérant du Loft a fini par envoyer toutes les pièces au mois d’octobre 2020. Et s’est engagé à verser 1.700 euros par mois pour rembourser sa dette au trésor public. “Mais tant que je n’ai pas le moratoire, je ne peux rien demander comme aides”, décortique ce businessman aguerri par des années de lutte pour maintenir son bébé à flots. Le Loft est en stand by, donc, un peu comme son boss. S’il a pu demander l’activité partielle pour ses quatre employés, lui “s’économise”. “Je dors, j’ai éteint mon organisme.” Comme pour se préparer à affronter les prochaines batailles, qui ne tarderont d’ailleurs pas à éclater. La prochaine en date aura lieu le 1er avril. “Mon proprio a fini par me traîner au tribunal, il me fait un poisson d’avril !”, s’amuse Kassim, pas vraiment effrayé à l’idée de croiser le fer avec son bailleur, à qui il doit quelques loyers de retard. “Le Covid me tuera peut-être. Pas ses conséquences”, balance-t-il, d’un air de défi.