À Mayotte, 101ème département français, la loi ne s’applique pas de la même façon que sur le reste du territoire en matière d’immigration. Un système dérogatoire a été instauré sur l’île, qui complique toute démarche de naturalisation. De ce fait, des milliers de jeunes ayant grandi à Mayotte n’ont pas de papiers français, et vivent dans la peur d’être renvoyés dans un pays qui n’est pas le leur, après avoir fêté leur 18ème anniversaire.
“J’ai peur, mais je n’ai pas le choix, je dois étudier”, lâche Ali* d’un air las. “Moi je suis arrivé à mes 11 ans, et depuis je vais à l’école. Ca fait deux ans que j’ai entamé les démarches, mais à chaque fois il y a un problème.” Aujourd’hui, le gaillard a 20 ans et est en terminale, au lycée de Petite-Terre. En France, la loi stipule qu’un jeune arrivé avant ses 13 ans sur le territoire est régularisable de plein droit, et qu’il peut donc obtenir un titre de séjour. Mais à Mayotte, les jeunes doivent prouver en plus qu’ils ont vécu, depuis leurs 13 ans, avec l’un de leurs parents régularisés. Un frein à leurs démarches, surtout ici, alors que nombre d’entre eux vivent avec une tante, un oncle ou une grand-mère. Ces regroupements familiaux sont souvent liés au fait qu’une grande partie des familles sur l’île compte des personnes avec des papiers français, et d’autres non.
C’est le cas pour Samir*. Arrivé à Mayotte à sept ans, le jeune homme a été installé chez sa grand-mère, qui est elle, régularisée. À la base, il devait passer son brevet ici, puis rejoindre la métropole. Mais les démarches de régularisation sont longues et une simple erreur peut suffire à annuler toute la procédure. “La première fois que j’ai posé mon dossier, il y avait une faute de frappe donc ils ont tout remis à zéro« , explique-t-il. Il est finalement resté à Mayotte et a entamé de nouvelles démarches. “Je devais partir chez ma tante, à Paris, elle, elle a les papiers, mais ma mère ne les a pas, alors que ma grand-mère les a. C’est une situation bizarre hein ?”
Un contexte géographique particulier
Cette situation, des centaines de familles mahoraises la vivent à cause de la position géographique de l’île, coincée à quelques brasses d’Anjouan, point de départ des kwassas depuis l’archipel des Comores. Des vagues d’immigration qui n’ont jamais cessé depuis le référendum pour l’indépendance des Comores en 1975, et le choix de Mayotte de rester française, contrairement à ses voisines. Pour lutter contre ces mouvements de masse, un amendement spécial, proposé par le sénateur Thani Mohamed Soilihi et voté en juin 2018, a limité le droit du sol à Mayotte dès le mois de septembre de la même année. Désormais, il est exigé “pour les enfants nés à Mayotte que l’un de ses parents ait, au jour de la naissance, été présent de manière régulière sur le territoire national depuis plus de trois mois”.
Une règle dérogatoire, instaurée sur le département car “41% des résidents sont de nationalité étrangère et 74% des enfants y naissent de mère étrangère”. Brandi comme un bouclier salvateur, ce texte n’a jamais empêché l’arrivée des embarcations de fortune sur l’île… Plongeant toutefois des milliers de jeunes dans des situations kafkaïennes à leurs 18 ans. Ironie du sort, certains d’entre eux n’ont même connu que Mayotte, arrivés à deux ou à quatre ans sur l’île. À l’instar de Said* et Omar*. En novembre, les deux frères alors majeurs pourraient être renvoyés dans un pays qu’ils n’ont jamais connu, tandis que leur père est Français.
Des démarches complexifiées par la préfecture
“La préfecture de Mayotte** est quasi-inaccessible, des milliers de jeunes qui pourraient prétendre de plein droit à un titre de séjour ne peuvent pas avoir de rendez-vous, certains attendent depuis plus d’un an, voire même deux ans”, tempête Pauline Leliard, chargée de projet à la Cimade. Ali en sait quelque chose. Depuis deux ans, il éprouve toutes les peines du monde à faire aboutir ses démarches de régularisation. Quand bien même les demandes de rendez-vous se font dorénavant sur Internet pour éviter les dossiers incomplets… Sa première entrevue se solde par un échec cuisant : personne ne le reçoit ! Tandis que sa seconde convocation se heurte à un nouvel obstacle : la présentation d’un passeport ou d’une pièce d’identité comorienne, ce qu’il n’a pas en sa possession, ayant grandi à Mayotte.
“Rien dans la loi n’exige un passeport, le certificat de nationalité suffit. Mais depuis novembre 2020, la préfecture refuse tous ces jeunes sans passeport”, déroule Pauline Leliard. La jeune femme s’offusque qu’aucune alternative ne soit mise en place pour ces mineurs, qui seraient obligés de retourner dans leurs pays d’origine pour demander une pièce d’identité. “En métropole, ils peuvent aller au consulat, mais ici il n’y en a pas. Et c’est trop dangereux de rentrer, nous le déconseillons vivement.”
Des conséquences parfois irréversibles
“Moi j’ai pas peur, j’ai déjà l’habitude. Je me suis fait arrêter cinq fois par la PAF (police aux frontières). Mais comme je suis mineur, ça passe toujours”, ironise Samir. Tous n’ont pas sa chance… Plusieurs rapports du juge des libertés et de la détention de la cour d’appel de Saint-Denis à La Réunion dénoncent la pratique, qui consisterait à modifier les dates de naissance pour les emmener au centre de rétention, avant de les renvoyer vers Anjouan ou Madagascar. Des procédures illégales dénoncées par les juges des référés présents sur l’île aux parfums.
Parallèlement au risque de se faire embarquer par les forces de l’ordre, cette situation freine aussi les jeunes dans leur scolarité. Pour les élèves de terminale, l’heure est aux vœux d’orientation. Mais certains, comme Ali qui voudrait devenir kinésithérapeuthe, sont dans le flou total quant à la suite de leurs études. “Pour s’inscrire à la fac, on va leur demander une carte de séjour, et ceux qui sont en train de faire les démarches feront une année blanche”, déplore Pauline Leliard. Des études retardées, auxquelles s’ajoute le stress permanent d’une possible arrestation.
Et quand celle-ci finit par arriver, deux écoles s’opposent. Si certains feront des pieds et des mains pour refouler le 101ème département, d’autres, rejetés depuis toujours, préféreront baisser les bras. À l’image d’un Samir dégoûté : “Si on me renvoie, je ne pense pas que je reviendrai… On m’a fait comprendre que ce n’était pas chez moi ici !”
* Les prénoms ont été modifiés
** Sollicitée, la préfecture n’a pas donné suite.