{xtypo_dropcap}"L{/xtypo_dropcap}e Pacte de la départementalisation implique des droits et des devoirs", c’est avec ces mots que devant 19.000 personnes Nicolas Sarkozy a rappelé les lois de la République. Peine perdue, deux jours plus tard, un groupe de grévistes et de syndicalistes est parti couper l’électricité dans toute l’île. Un acte qui outrepasse largement leur droit de grève. Mais qui, pour certains, n’est que le reflet d’une impunité.

Profitant de la crainte des autorités de voir les mouvements se durcir en faisant intervenir les forces de l’ordre, les manifestants prennent régulièrement la population en otage. Les mouvements de grogne ponctuent ainsi régulièrement la vie des Mahorais, toujours aussi fatalistes en dépit des dégâts occasionnés. "Il arrive souvent que des gens perdent des appareils électriques lors des coupures. Parce qu’avant de couper ils augmentent la puissance dans les réseaux", explique cet usager, "c’est comme ça que ma télévision a grillé."

En dépit des dommages, rares sont ceux qui portent plainte. Refus ou méconnaissance de la paperasserie, des droits et des coûts occasionnés, les raisons sont nombreuses. Mais du coté des entreprises on est beaucoup moins conciliant. De nombreux commerces, de produits frais notamment, ont eu à déplorer des pertes lors des coupures. Cette année encore, certains comme à la Laiterie de Mayotte ont subi plusieurs milliers d’euros de dégâts (voir encadré). Mais face à la difficulté de déterminer les responsabilités, aucune demande d’indemnisation n’a pour le moment donné de résultat.

 

"Les manifestations sur la voie publique sont très réglementées"

 

Autre aspect non négligeable, peu de personnes sont conscientes des règles à respecter lors des manifestations. "Les manifestations sur la voie publique sont très réglementées", explique l'avocat Nadjim Ahamada. "Il faut les déclarer à la préfecture, préciser le trajet que vont suivre les manifestants, ainsi que la date afin que les autorités puissent palier tout risque de débordement. Beaucoup de gens ne savent pas ça ici."

Un avis que partage Salim Nahouda, le secrétaire général de la CGT-Ma. "Il y a une mutation qui se fait à Mayotte et on voit bien qu’il y a certaines choses qu’on n’a pas encore acquis, certaines informations sur les lois. Et la manière dont nos élus et nos politiciens traitent les conflits dans les communes ou au conseil général n’arrangent pas les choses. À un moment, la population finit par être excédée et va bloquer les voies. Elle se livre ainsi à des actions en pensant qu’elles sont autorisées alors qu’elle est dans l’illégalité. C’est toute une éducation qu’on doit tous faire. Mais ici, sanctionner n’arrange rien du tout. Ça ne fait qu’envenimer les choses et créer des haines entre les populations."

Alors comment éduquer cette population sans attiser la haine, ni tomber dans le répressif systématiquement. Une population plus habituée à la justice "naturelle", logique à ses yeux, qui se retrouve contrainte de suivre les lois résultants de l’histoire d’un autre peuple. Une législation qui s’est façonnée durant plusieurs siècles d'histoire.

L'exemple des manifestants de Petite Terre illustre bien ce décalage. Sûrs de leur bon droit, beaucoup ne comprennent pas pourquoi ils sont pourchassés et arrêtés alors qu’ils n’ont fait que se "défendre". La vision de ce manifestant montre bien qu'ils vivent l’intervention des gendarmes comme une provocation : "ils ont commencé à nous bousculer alors que nous ne faisions que bloquer la route".

 

"Mayotte reste avant tout une île pacifique"

 

Ces évènements reflètent les troubles d’une société qui a décidé d’embrasser un peu trop rapidement le mode de vie occidental, sans en comprendre les mécanismes. Aujourd’hui, c’est à la télévision que les Mahorais apprennent la contestation. "Les gens ici ne comprennent pas la gravité de ce qui s’est passé. Pour eux c’est normal. Ils pensent que c’est ce qui se passe en France. Mais ils ne réalisent pas que ce qu’ils voient à la télé ce sont des casseurs, des gens qui ont été emprisonnés plusieurs fois et qu’aucun bon père de famille ou une personne normale ne ferait ça. Ceux qui font ça, en France, ils finissent directement en prison", explique ce fonctionnaire.

Mais pour M. Nahouda, Mayotte reste avant tout une île pacifique : "il n’y a jamais eu d’actions violentes, excepté quelques évènements comme ceux de Petite Terre, la révolte des Anjouanais dans les rues de Mamoudzou, ou encore les émeutes de 1991. Des situations vraiment exceptionnelles. Mais jamais vous ne verrez des actions dures ou de vandalisme provoquées par des manifestants ou des grévistes."

Selon lui, ces actions illégales ne sont que la réponse de la population à la délinquance en col blanc, exercée par les élus et les hauts responsables et qui ne se voit pas forcément. Ces problèmes d’incompréhension des lois ne font que commencer. Avec la mise en place de la départementalisation, les autorités vont de plus en plus se heurter aux incompréhensions et à la méconnaissance des règles de la République. Sensibiliser la population à la loi, en expliquer les objectifs sans attiser les rancœurs, tel sera le véritable défi de la départementalisation.

 

Halda Toihiridini

 


 

Avis d’expert

Maitre Christina Nicolle, du groupe Fides, est spécialisée en droit des affaires. Elle nous donne quelques clés pour se faire dédommager en cas de dégâts liés à une grève.

 

 

  • Pendant la grève des agents d’EDM, certaines entreprises ont subi des dégâts consécutifs aux coupures d’électricité, peuvent-elles se faire indemniser ?

 

Me Christina Nicolle : De même que les particuliers, les entreprises ayant subi des dommages du fait de ces coupures d’électricité peuvent demander une indemnisation à EDM. En effet, au terme de ses contrats d’abonnement, EDM s’engage à assurer une fourniture continue d’électricité. Si cette compagnie n’exécute pas correctement ses obligations contractuelles, sa responsabilité peut être engagée. Pour s’exonérer de sa responsabilité, EDM devra démontrer que ces coupures relèvent d’un cas de force majeure. Le cas de force majeure est un évènement imprévisible et irrésistible, c'est-à-dire un évènement qu’on ne peut ni prévoir, ni empêcher.

 

 

  • Quelles sont les précautions à prendre si on souhaite réclamer une indemnisation ?

 

Me Christina Nicolle : Il convient de se réserver la preuve du préjudice subi, c'est-à-dire, si possible, conserver le bien endommagé, ou faire établir un constat d’huissier faisant un état précis des dommages subis s’il s’agit, par exemple, de denrées périssables.

 

 

  • Les grévistes et les syndicats peuvent-ils être sanctionnés ?

 

Me Christina Nicolle : Le droit de grève est un droit fondamental reconnu aux salariés. Toutefois, lorsque la grève donne lieu à des dérives, les grévistes fautifs peuvent engager leur responsabilité. La responsabilité des grévistes peut ainsi être retenue si ces derniers participent à un mouvement de grève illicite, ou bien s’ils commettent des infractions pénales, se détachant alors de l’exercice normal du droit de grève (ex. : menaces, violences, entrave à la liberté du travail des non-grévistes, etc.). Ce type de dérives peut être considéré comme une faute lourde et entraîner des sanctions disciplinaires (mise à pied, licenciement, etc.), mais également des sanctions pénales.

Par ailleurs, il convient de souligner que l’arrêt de travail du salarié ne constitue une grève que s’il y a une cessation totale, collective et concertée du travail, en raison de revendications salariales dont l’employeur a été préalablement informé. Si ces conditions ne sont pas remplies, il ne s’agit pas d’une grève mais d’un mouvement illicite.

Quant aux syndicats, s’ils ont effectivement participé aux agissements fautifs, ou s’ils ont incité les grévistes à commettre des actes illicites, ils peuvent également voir leur responsabilité engagée et être condamnés à indemniser les préjudices occasionnés.

 

Propos recueillis par Halda Toihiridini