Une semaine après l’opération de destruction de 120 cases en tôle lancée lundi par la préfecture, une trentaine de familles se retrouvaient sans abri. D’après elles, leurs maisons ne figuraient pas dans les plans délimités par l’arrêté. Explications.
À Mohogoni, quartier de Dzoumogné, les coups de marteau résonnent le long de la rivière. Derrière les murs d’enceinte érigés à la va-vite, une vingtaine d’hommes s’affairent ce dimanche autour des bouts de bois et des morceaux de tôle, pour tenter de remettre un toit au-dessus de leur tête. “Vendredi encore, certains dormaient autour d’un feu, sous la pluie”, témoigne un habitant du village. Cela fait bientôt une semaine que les camions de la Colas envoyés par la préfecture sont venus raser la parcelle et ses quelque 120 cases, sur la base d’un arrêté loi Élan pris le 6 janvier. Une opération dans les clous, donc, et annoncée de longue date, avec enquêtes sociales et propositions d’hébergement, comme le prévoit la loi. Problème : cette fois-ci, les tractopelles auraient râtissé un peu large… C’est du moins ce qu’affirment une trentaine de familles, photos et vidéos à l’appui.
Au milieu des débris et des chantiers, une seule maison, en dur celle-là, tient encore debout. “S’ils ne l’ont pas rasée, c’est parce que nous nous sommes mis en travers du bulldozer”, lâche avec amertume la mère de ce foyer, qui y a tout de même perdu quelques plumes. La maison de ses voisins, elle, n’a pas survécu. “Dedans, il y avait une pièce dans laquelle mes parents rangeaient des affaires, des marmites, des assiettes…”, témoigne Soumette, son fils de 21 ans. Et le compteur électrique a été arraché, montre-t-il d’un coup de menton. Son père, qui assure être le propriétaire du terrain, a bien l’intention de porter plainte.
L’ASE et l’Acfav prévenues ce week-end
Comme Soumette et les siens, ils sont au moins 33 foyers à assurer n’avoir fait l’objet d’aucune enquête sociale ou proposition d’hébergement en amont de l’opération. La raison est simple : leurs habitations n’étaient en réalité pas prévues dans le plan délimité par l’agence régionale de santé et annexé à l’arrêté de la préfecture. Parmi ces familles, des femmes enceintes ou des mères avec enfants. L’une d’entre elles, parent de deux jumelles prématurées dont l’une tout juste sortie de couveuse jeudi, a finalement obtenu en urgence un hébergement, sous l’impulsion de l’aide sociale à l’enfance et de l’Acfav, dépêchées sur les lieux ce dimanche.
“J’ai appris hier [samedi] que d’autres destructions avaient eu lieu en plus de l’opération de la préfecture, et que les familles n’avaient donc pas été prévenues, et n’étaient pas préparées”, retrace Abdou-Lihariti Antoissi, le directeur de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) qui a immédiatement prévenu l’Acfav pour trouver des hébergements. Ce dimanche, il a recensé une cinquantaine d’enfants à reloger dans des familles d’accueil. De son côté, l’Acfav a listé, en plus de la mère des jumelles, une mère d’un enfant en bas âge et trois femmes enceintes à reloger dans des hébergements d’urgence (dès qu’une place se libère). Soit 21 jours dans un premier temps, puis six mois maximum en hébergement de stabilisation après évaluation sociale, si les personnes sont en situation régulière et correspondent aux critères de ressources.
L’État “pas responsable”
Mais comment diable a-t-on pu en arriver à un tel imbroglio ? D’après la préfecture, si l’opération s’est bien étalée sur deux jours et demi (jusqu’à mercredi, donc), toutes les cases détruites figuraient dans les plans. D’ailleurs, difficile de se tromper. “Nous marquons à la bombe celles qui doivent faire l’objet des destructions et nous faisons une reconnaissance du site avec l’entreprise missionnée”, décrit le sous-préfet, Jérôme Millet, présent sur les lieux les trois jours. Impossible, donc, que les engins, de la Colas en l’occurrence, aient pu détruire au-delà du périmètre. “S’il y a eu des destructions de cases en dehors, ce n’est pas du tout l’État qui en est responsable”, insiste-t-il.
Des maisons détruites par leurs propriétaires ?
Une version qui colle à peu près avec les témoignages recueillis sur place. D’après les habitants, c’est en réalité l’adjoint au maire en charge de la police municipale, Soudjaye Daoud, qui aurait décidé de raser au-delà de la parcelle initiale… et aurait menacé les plus récalcitrants. Joint par téléphone, le principal intéressé dément toute implication. “Tous les bangas démolis sur l’autre parcelle, cela ne nous concerne en rien, ni la Colas, ni la mairie, ni moi-même”, martèle-t-il.
D’après l’élu, les propriétaires des cases auraient eux-mêmes détruit leur maison pour les reconstruire plus loin, par crainte de voir les machines écraser la tôle. “Ils n’ont pas pris les bons renseignements, et viennent nous accuser ensuite !”, grogne Soudjaye Daoud. Sur le terrain, en tout cas le résultat est le même : rares sont les bangas à tenir encore debout. La différence ? À gauche de la route, les débris s’entassent tel un champ de ruines. Côté forage, et donc dans la zone “légale”, pas un bout de tôle ne dépasse. “C’est le désert, c’est comme s’il n’y avait rien eu”, résume un passant.