Une cellule d’enquête surveille depuis décembre les agissements d’une bande du quartier de Cetam, en Petite-Terre. Depuis lundi, et après un week-end entaché de barbarie, la gendarmerie, avec l’appui de la police nationale, a enfin pu mettre à terre une partie des fauteurs de trouble.
C’est une véritable Hydre de Lerne que les enquêteurs de la gendarmerie de Pamandzi ont démantelée. Après les violents affrontements de ce week-end en Petite-Terre, qui ont provoqué la mort de trois personnes, huit individus ont été interpellés, placés en garde à vue et présentés au tribunal ce mercredi. Un neuvième avait été interpellé avant ces événements dramatiques. Une information judiciaire a été ouverte pour des chefs de vols aggravés, destructions, violences aggravées, associations de malfaiteurs et vols aggravés en bande organisée. Le parquet a requis leur placement en détention provisoire et ils devaient passer ce mercredi soir devant le juge des libertés et de la détention.
En haut de la pile ? Abdallah D. I., dit “Crochet”. Cet homme de 19 ans est considéré comme le chef de “la bande de Gotam”, du nom de ce groupe né dans le quartier de Cetam. Le “h” est tombé, mais difficile de passer à côté de cette référence à la ville fictive, temple de tous les vices, qui a fait sa réputation dans les comic books américains de DC Comics… La comparaison s’arrête là. Car les faits qui sont reprochés à ce “meneur” et sa dizaine de sbires n’en font pas vraiment un justicier à la Bruce Wayne.
Modes opératoires particulièrement ficelés, coordination d’une cinquantaine de jeunes, processus de recrutement avec certains mineurs enrôlés de force, le tout pour perpétuer vols, cambriolages, et crimes en tout genre… Les enquêteurs ont visiblement affaire à des criminels aguerris. Quant à la question, particulièrement polémique sur l’île, de savoir si les mis en cause sont d’origine étrangère ou non, il semblerait que “la majorité sont nés à Mayotte, pour certains de parents français, et sont français”. À ce stade, “les éléments ne permettent pas de dire s’ils sont Comoriens ou non”, insiste le procureur de la République, Yann Le Bris.
Premier individu retrouvé début janvier
Peu importe. Cette organisation aura, quoi qu’il en soit, donné du fil à retordre aux enquêteurs. Les interpellations de cette semaine n’étant d’ailleurs pas les premières : à l’occasion du cambriolage d’un Douka Bé début janvier, les enquêteurs étaient parvenus à retrouver la zone de rassemblement des suspects. Là, un bel attirail d’une dizaine d’armes blanches, des machettes, des chumbos mais aussi des trouvailles moins “classiques”, comme une béquille avec des clous ou une épée de type rapière, avaient été collectés. Et juste au-dessus, planqué dans l’arbre, le numéro 2 de la bande…
“L’île de Petite-Terre, d’habitude préservée, a été marquée depuis octobre 2020 par une hausse significative de délits et d’actes criminels”, retrace le procureur de la République, en introduction d’une conférence de presse solennelle pour répondre aux interrogations qui n’ont pas manqué de fleurir depuis le week-end. Face à ce constat, et dès le mois de décembre 2020, une cellule spéciale d’une vingtaine d’enquêteurs a donc été mise en place pour apporter une “réponse efficace et durable” à cette situation inhabituelle – avec l’envoi de la “task force” annoncée par le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu, ce sont dix enquêteurs de plus qui viennent grossir les rangs de cette équipe de fins limiers.
150 à 200 faits recensés par la cellule d’enquête
En quelques semaines, la cellule a alors recensé près de 150 à 200 faits, avec parfois jusqu’à une dizaine d’infractions relevées chaque jour. Le nombre d’auteurs a suivi la même pente ascendante, jusqu’à atteindre près d’une cinquantaine d’individus. Ce sont donc ces jeunes, âgés parfois de moins de dix ans, qui ont mené la vie dure à la Petite-Terre ces dernières semaines.
Victime collatérale et déferlement de violences
Jusqu’à ce week-end, où la violence a atteint son paroxysme. Et un bilan sanglant, de trois meurtres, dont deux adolescents. Ce que l’on sait pour l’instant : l’homme de 36 ans, d’origine comorienne, dont le corps sans vie a été retrouvé vendredi à la Vigie serait “une victime collatérale” d’un conflit entre bandes rivales. “L’enquête s’oriente vers un crime commis gratuitement par un certain nombre de membres du groupe de Gotam”, complète le procureur.
Visiblement, la bande se rendait vers la Vigie, et a croisé sur son chemin l’agriculteur, qui a alors fait les frais de cette “émulation guerrière”, précise le capitaine Depit, chargé de la police judiciaire. L’enquête n’a, pour l’instant, pas permis de déterminer si les meurtres de deux jeunes, samedi et dimanche, étaient liés à la bande de Gotam ou à cette première affaire. Même chose pour l’agression d’un homme la semaine dernière, en amont de ces violences, qui a échappé à la mort mais qui est toujours hospitalisé. Un individu a toutefois déjà été interpellé et placé en détention pour cette dernière attaque.
Le calme enfin revenu ?
Une chose est sûre : ce déferlement de violences a mis des bâtons dans les roues de la gendarmerie, nous dit-on. “L’opération d’interpellation était prévue initialement lundi et la mort de cet homme de 36 ans nous a obligés à nous réarticuler car cela a conduit les bandes à se disperser entre la Grande-Terre et la Petite-Terre”, analyse le commandant de gendarmerie Olivier Capelle. Qui insiste par ailleurs sur les moyens déployés par la gendarmerie, d’abord de 63 puis 95 militaires mobilisés pour procéder à ces interpellations et aussi s’interposer entre les communautés de la Vigie et de Cetam. “Sachant le passif de ces deux quartiers, nous avons sollicité quarante militaires de la gendarmerie mobile qui sont arrivés hier pour ce dispositif d’interposition, qui sont là de jour comme de nuit, pour éviter toute représaille.” Avec pour l’instant, un bon point. “Depuis dimanche, on dirait que nous avons un peu figé la situation. C’est très calme en Petite-Terre”, se gararise le commandant. Trop calme ?