Violences en Petite-Terre : trois meurtres, deux enterrements et un avis de recherche

Du côté des autorités, la prudence est de mise depuis les violents affrontements du week-end en Petite-Terre qui ont fait trois morts. Le lien entre ces décès n’a toutefois pas été établi, et aucune interpellation n’a été annoncée. Pour les familles et les habitants sous le choc, c’était l’heure du deuil ce mardi… dans la crainte de voir cette “chasse à l’homme” se poursuivre.

J’y crois pas ! J’ai même pas les larmes pour pleurer. Il y a mon pote qui est mort !”, souffle Saïd* en serrant les poings sur le guidon de son vélo tout terrain, la tête baissée en signe d’abattement. Quelques mètres plus loin, Steven Zafi, jeune Petit-terrien de 14 ans, repose sous un linceul, dans le cimetière musulman de la route des Badamiers. La petite foule d’une trentaine de personnes venue lui dire au revoir ce mardi après-midi s’est déjà dispersée, dans une atmosphère pesante. Saïd lui, ne parvient pas à se résoudre à bouger. “J’y crois pas ! Le petit, le génial, qui pensait qu’à s’amuser, qui cherchait jamais les embrouilles ! Il était toujours là à vouloir donner un coup de main pour réparer mon vélo…”, répète le jeune habitant de Labattoir, comme figé devant cette grille de cimetière. “Des charognards, des fils de p***”, lâche l’un de ses potes pour tout commentaire, avant de se remettre en selle et de pédaler à fond sur le bitume. Loin, très loin de ce souvenir brûlant.

Sur Petite-Terre, difficile d’échapper à la colère palpable qui a envahi les rues et les esprits depuis les événements de ce week-end. En moins de trois jours, trois personnes, dont deux adolescents de 14 et 15 ans, ont perdu la vie dans des affrontements qui ont opposé des bandes du quartier Cetam et de la Vigie, à quelques encablures du cimetière de Labattoir. Vendredi, d’abord, le corps sans vie d’une homme de 36 ans est découvert en haut de la Vigie. Des bandes déboulent alors dans les rues, brûlent des cases en tôle et des voitures. Leur intention ne fait pas de doute : tuer les responsables. Samedi, un premier adolescent de 15 ans meurt sous les coups des assaillants. Dimanche, ce sera au tour de Steven.

 

Course-poursuite sanguinaire

 

C’est abominable ce qui lui est arrivé. Le matin, il pleuvait beaucoup, vous vous rappelez ? Le toit fuyait, et Steven est juste parti chercher un escabeau…”, décrit un membre de la famille. En chemin, le collégien tombe nez à nez avec un groupe d’individus, visiblement menaçants. “Quand il les a vus, il a fait demi-tour. Il a dû les reconnaître”, croit savoir cet oncle. La suite, les réseaux sociaux se sont chargés de la raconter. Poursuivi, le garçon se réfugie dans une case en tôle, avant d’y être acculé par ses agresseurs. C’est là qu’il sera retrouvé, la gorge tranchée. Sans autre forme de procès.

 

“Oeil pour oeil, dent pour dent”

 

Partout à Mayotte, les rumeurs vont bon train pour tenter d’expliquer ce qui a bien pu plonger la Petite-Terre dans un week-end aussi sanguinaire. Anli* en sait quelque chose : tous les jours, sur la route des Badamiers qu’il prend pour rejoindre le travail ou rentrer chez lui, il récolte les dires des uns et des autres… et reconstitue peu à peu le fil. Pour ce tourneur-fraiseur de formation, l’hypothèse de la vengeance ne fait pas de doute, même si elle n’a pour l’heure pas été confirmée par la section recherches de la gendarmerie de Pamandzi chargée de l’enquête ou par le procureur de la République Yann Le Bris.

C’est oeil pour oeil, dent pour dent. Pire, ici, c’est la loi de la jungle, car c’est juste le plus fort qui gagne”, assure ce mécanicien en profitant d’un coin d’ombre sur la route aujourd’hui déserte, à quelques mètres de la plage. Et les forces de l’ordre dans tout ça ? “L’État nous a abandonnés. À chaque fois que ça pète, ils mettent des gendarmes au rond-point, qui rentrent à la nuit tombée. Pas étonnant que certains décident de faire justice eux-mêmes”, poursuit le père de famille, qui hésite aujourd’hui à envoyer sa famille en métropole. “J’étais à Marseille pendant longtemps. Là-bas, même si c’est à la kalachnikov qu’ils règlent leur compte, ça semble moins sanglant.” C’est dire !

 

Cetam versus la Vigie

 

En guise de kalachnikov ce week-end, ce sont plutôt les machettes qui ont armé les poings des bandes revanchardes. Et si tout s’est accéléré le vendredi avec la découverte du corps de l’homme de 36 ans, l’histoire ne date pas d’hier. En réalité, cela fait déjà plusieurs semaines que des individus du quartier Cetam et de la Vigie mènent la vie dure aux habitants de Petite-Terre. Cette fois-ci, ce sont les gars de Cetam qui ont voulu venger l’un des leurs. Mais ils s’en sont pris à la mauvaise cible… “Il y a des communautés ici, et de ce qu’on dit, les Iconiens, ils ont plutôt la machette facile”, glisse Anli pour faire référence à ce groupe, originaire d’Anjouan, auquel appartiendrait la victime. Une version d’ailleurs confirmée quelques mètres plus loin par Saïd et les deux trois hommes qui traînent encore devant le cimetière. “La chasse à l’homme, elle a commencé mardi”, retrace Saïd.

Selon lui d’ailleurs, les “Iconiens” ont bien retrouvé l’un des responsables : non pas Steven, “qui n’a jamais cherché les embrouilles”, ressasse-t-il en boucle, mais celui qu’elles ont sommairement exécuté samedi, et qui devait lui aussi être enterré ce mardi à M’Tsapéré. “Lui, il faisait partie de Madacouan, c’est leur nom. Ils sont allés cambrioler à Pamandzi, et sur leur retour, ils ont détruit les maisons de la Vigie. Et c’est à cause de leurs guerres que mon pote est mort”, enrage-t-il, les yeux scotchés sur son smartphone pour vérifier les dernières nouvelles. Car la guerre n’est pas finie. Un avis de recherche circule sur Facebook, avec la photo d’un certain Abdallah D. D. “C’est le chef de Madacouan. Les Iconiens, eux, ils disent que tant qu’ils n’auront pas trouvé 16 têtes, ils ne s’arrêteront pas”, grimace-t-il en se balançant d’avant en arrière. Son vélo grince un peu. Comme un mauvais présage.

* les prénoms ont été modifiés

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