Ambdilwahedou Soumaila : “Le projet Caribus a commencé sans la Cadema, il peut finir sans”

Insécurité, scolarisation, aménagement de la commune… Pour mener à bien les projets structurants de la commune chef-lieu, le nouveau maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaïla, qui a multiplié les rendez-vous depuis sa prise de fonctions en juillet, entend bien travailler “main dans la main” avec tous les partenaires. Seule épine dans son pied : Dembéni, avec qui le dialogue depuis l’élection de l’intercommunalité semble définitivement rompu… Entretien.

Flash Infos : Voilà un peu plus de six mois que vous êtes arrivé à la tête de la municipalité de Mamoudzou : quel premier bilan faites-vous de ces nouvelles fonctions ?

Ambdilwahedou Soumaïla : Des premiers mois chargés ! Vous savez, quand vous êtes confronté à des premiers déferlements de violences, à peine une semaine après votre entrée en fonction, c’est le genre de début de mandat qui ne laisse pas vraiment indifférent. En tant que fonctionnaire de la collectivité, j’ai bien sûr dû prendre une disposition pour être à 100% dans mes fonctions. Surtout pour un début de mandat, où il faut avoir un bon départ. Donc, j’ai fait ce choix d’être pleinement impliqué. Déjà, pour poser les bases, et notamment réorganiser les services et permettre à la nouvelle équipe, dont peut-être 80 ou 90% sont des primo-élus qui n’avaient pas eu de mandat politique auparavant, de s’installer et de tracer la feuille de route. De quoi arriver à notre vitesse de croisière, comme on dit ! Ensuite, nous avons décidé de rencontrer l’ensemble des partenaires, car il faut poser cette nouvelle gouvernance. Or Mamoudzou, c’est la ville centre, la ville chef-lieu, qui concentre les activités économiques et administratives. C’était essentiel de poser les bases avec tous ces acteurs, et relever le défi que nous souhaitons voir dans cette mandature, de faire de Mamoudzou cette ville ouverte sur l’océan Indien et sur le monde.

FI : D’où aussi vos déplacements à Paris, où vous avez pu rencontrer d’autres institutions justement prêtes à s’investir à Mayotte et à Mamoudzou ?

A.S. : L’objectif de ce déplacement était double. D’abord faire acte en tant que nouvel élu, et en tant que citoyen de cette commune des difficultés que nous connaissons. Mais aussi, ensuite, livrer nos ambitions et demander aux partenaires de nous accompagner. Car accompagner Mamoudzou, c’est accompagner Mayotte. Le quart de notre population vit ici, sur ce territoire communal. Dans la semaine, nous concentrons le double de la population. Donc résoudre les problématiques que nous connaissons, de violences, de scolarisation, par exemple, passe nécessairement par nos quelques kilomètres carrés. Sur la scolarisation justement : beaucoup d’employés viennent travailler à Mamoudzou et aimeraient placer leurs enfants dans les écoles de la commune, déjà confrontée au manque de places. Je souhaite justement inscrire Mamoudzou dans l’excellence éducative. Je ne veux plus d’une logique de rattrapage. Il faut créer les conditions pour l’excellence et c’est pourquoi j’ai demandé à passer à des classes de 25 à 28 ; ou à ce que nous enseignons, demain, l’anglais dès la maternelle, pour que les jeunes de Mayotte et de Mamoudzou puissent travailler partout. Il faut aussi améliorer la restauration scolaire car encore trop d’enfants arrivent malheureusement à l’école le ventre vide et se voient proposer une simple collation. À la rentrée 2021, nous allons commencer une expérimentation sur trois écoles avec une vraie restauration scolaire. Et pas question de s’arrêter là ! Nous avons 36 groupes scolaires ici à Mamoudzou : chaque année, nous monterons en gamme. Même stratégie pour le numérique à l’école. Je veux qu’il devienne une réalité à Mamoudzou. Le Covid-19 est passé par là, nous savons que nous ne pouvons pas nous passer du numérique et Mamoudzou doit s’inscrire dans ce mouvement du XXIème siècle. Enfin, sur le développement durable : c’est un sujet indispensable pour notre île, et son lagon, l’un des plus beaux du monde. J’ai demandé au recteur, et il est d’accord, que nous intégrions dans les programmes scolaires comme matière à part entière le développement durable, au même titre que les mathématiques ou le français. Nous le devons aux générations futures.

FI : Vos débuts en tant que maire ont été marqués par deux événements importants : les Assises de la sécurité, tant attendues ; et cette décision symbolique que vous avez prise avec l’arrêté pour interdire la vente à la sauvette au niveau de la barge. Pourquoi était-il important que ces deux événements surviennent aussi tôt dans votre mandature ?

A.S. : Il ne s’agit pas tant de symbole, mais plutôt d’une volonté d’agir. Nous avons pris cet arrêté car nous considérons que cet endroit, c’est là où convergent tous les Mahorais, du sud, du nord, de Petite-Terre. C’est aussi là que les visiteurs posent les pieds quand ils débarquent à Mamoudzou pour la première fois. Quand ils ne doivent pas enjamber des tas de sandwiche ou se faire poursuivre par des vendeurs un peu trop zélés. Donc c’est un travail sur l’image avant même de parler de l’insalubrité autour du marché. Il s’agit de la place de la République, le statu quo n’était pas acceptable. Par ailleurs, j’avais reçu les commerçants du marché couvert qui m’avaient fait part de leur situation très difficile : sur les 250 box à l’intérieur, une centaine avait déjà fermé, à cause de la concurrence déloyale qui s’étalait devant la structure, sans avoir à payer ni charge ni loyer, rien. Or ces commerçants eux aussi ont des familles, et des bouches à nourrir. Enfin, il m’avait été rapporté par les renseignements généraux que cette place faisait aussi la part belle aux trafics de faux papiers ou faux billets. En tant que maire de Mamoudzou, je ne pouvais pas laisser la situation perdurer. Mais j’ai quand même pris le soin d’inviter tous les premiers concernés pour leur expliquer et pour tâcher de trouver ensemble des solutions. Nous ne nous sommes d’ailleurs pas arrêtés aux vendeurs du marché, mais nous sommes allés voir toutes les dames qui vendent au bord de la route, nous avons fait des réunions à Kawéni, Doujani, Cavani… À chaque fois pour leur expliquer que nous avions tous besoin que Mamoudzou change de visage, et aussi pour respecter des enjeux sanitaires et sécuritaires. Nous avons fait en sorte d’accompagner les vendeurs sur les parties réglementaire et administrative. Avec ce travail nous pourrons délimiter des espaces, avec des personnes autorisées à vendre, dans de meilleures conditions. Sans prétendre être fixé sur la date, je pense que d’ici début juin ou début juillet, tout cela sera mis en place de telle sorte que nous ne tolérerons plus des vendeurs à la sauvette qui ne seraient pas en règle.

FI : Et au sujet des Assises ? Vous parliez justement de ces violences qui avaient chamboulé votre début de mandature… Comment appréhendez-vous ces événements, qui nous le savons, interviennent de manière cyclique ? Quelle stratégie portez-vous ?

A.S. : La meilleure stratégie résulte des Assises, qui permettent d’impliquer tout à la fois les parents, les associations, les représentants religieux et l’ensemble des partenaires institutionnels et économiques. Il y a aussi le pacte de sécurité signé avec le préfet qui nous permet de travailler main dans la main pour enrayer cette problématique de l’insécurité. Tous les mois, nous faisons un point étape sur les engagements des uns et des autres ce qui permet de réajuster ce qui doit l’être. Nous travaillons aussi pour détruire les constructions insalubres, nous avons réalisé une opération en ce sens à Kawéni Poste récemment, dans des espaces non habités mais que des jeunes pouvaient fréquenter avec leurs chiens. Sans parler de la situation très difficile vécue à Cavani, notamment par des Africains qui vivaient à même le sol sur des matelas, ce qui a pu poser des problèmes dans le quartier. Nous avons fait le choix de les déloger, et tout cela s’inscrit dans la traduction concrète du pacte. C’est aussi notre engagement de notre côté à augmenter chaque année nos effectifs de police municipale. D’ici le début de l’année, nous devrions recruter 5 agents pour compléter nos équipes et nous sommes en train de réorganiser nos services pour être au plus près de nos habitants. Dans le pacte, nous nous sommes engagés à créer deux annexes, deux postes avancés, l’un au niveau de Passamaïnty et un autre vers Kaweni. Ce qui permettra à la police municipale d’intervenir très rapidement.

FI : Vous parlez de l’opération de nettoyage à Kawéni Poste, où un gros chantier se prépare avec l’ANRU, 150 millions d’euros sont sur la table… Mais trop souvent à Mayotte, les habitants ont le sentiment que nettoyer ne suffit pas, et que les projets ne sortent pas de terre à temps. Comment faire pour éviter que cette zone ne redevienne justement une zone de non-droit ?

A.S. : Vous avez raison. Et quand on parle de rénovation urbaine, surtout dans des quartiers comme Kawéni, dans des poumons économiques tels, nous ne pouvons agir seuls. C’est notamment pourquoi, dans le cadre de ma mission à Paris, j’ai rencontré le directeur de l’agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) avec qui nous avons parlé de ce sentiment d’exaspération qu’ont les Mahorais à voir des projets qui traînent des pieds. Donc je le dis aujourd’hui : dès l’année prochaine, nous allons commencer les premiers travaux dans la rue SPPM et nous allons enchaîner avec tous les autres chantiers. Et oui, il faut aller vite. D’où l’importance d’associer très en amont tous les partenaires : je pense à l’assainissement avec le SMEAM, à l’électricité avec EDM, mais aussi aux services de l’État et à la SIM. C’est cette nouvelle gouvernance que j’essaie de mettre en place. Nous ne construirons pas le Mamoudzou de demain en restant chacun de notre côté.

FI : Il y a pourtant un autre sujet, où là, ça coince. La rumeur disait que vous souhaitiez la dissolution de la Cadema… Vous parlez d’aller vite, mais quid du Caribus, un projet vieux de plus de dix ans, et comment survivra-t-il d’une dissolution de l’intercommunalité qui le porte ?

A.S. : Oui, la ville de Mamoudzou a écrit officiellement au préfet le 19 novembre dernier pour demander la dissolution de l’entité Cadema sur ses limites actuelles. Comprenez-bien : en vous parlant de ce sujet, je distingue présidence et gouvernance. Qui, aujourd’hui, peut comprendre que la commune chef-lieu de Mayotte et ses 71.000 habitants, qui apporte la plus grosse part dans les finances de la Cadema, soit écartée de fait de la gouvernance de l’intercommunalité ? Je l’ai aussi rappelé dans mon courrier envoyé au préfet : en raison d’une décision de l’ancienne gouvernance, Mamoudzou concentre toutes les réunions, c’est même, ici, à l’Hôtel de ville, que le siège de la Cadema a été officiellement fixé. C’est aussi Mamoudzou qui apporte la plus grosse part financière je le redis : tous les salaires des agents de la Cadema sont faits par notre direction des ressources humaines. Quant à l’aspect informatique, rien ne fonctionnerait à la Cadema sans notre service informatique ici, qui fait fonctionner tous les réseaux. Le président de la Cadema a été élu, ce n’était pas mon choix. Mais cela ne m’a pas empêché deux semaines plus tard de l’inviter pour lui dire de manière très ouverte “vous êtes mon président, la seule chose que je vous demande c’est de sortir de l’idée que vous voulez prendre votre revanche sur Mamoudzou”. On ne peut pas me reprocher le bilan de l’ancien maire Majani. Donc j’ai exprimé mon souhait de travailler intelligemment, et de ne pas écarter la majorité municipale de la gouvernance, car cela ferait courir un risque à la Cadema. J’arrive un jour à une réunion du conseil communautaire, la deuxième après l’installation de la présidence et des conseillers, et j’entends le président demander à “l’opposition” – donc la majorité municipale – de déposer sa liste des membres qui vont siéger dans les commissions thématiques au secrétariat. Mais une intercommunalité ne peut pas se réduire à une opposition et une majorité, c’est une entité qui doit travailler au service des deux communes. J’ai regretté cette décision, surtout que Mamoudzou, en tant que premier financeur de la Cadema, ne pouvait pas être ainsi exclue de sa gouvernance. Surtout au vu des enjeux. Vous parliez du Caribus ? En 2012, il s’agissait du transport en commun urbain (TCU). Ce projet n’a pas commencé avec la Cadema, et il peut finir sans. Ma réponse est claire : ce n’est pas parce que la Cadema n’existera pas sous sa forme actuelle que le Caribus ne sera pas maintenu. Mais nous ne pouvons pas laisser perdurer cette entité avec deux communes aussi disparates. Ne serait-ce que pour préparer l’avenir. La décision que je prends aujourd’hui est le gage d’un meilleur avenir de développement pour l’ensemble de notre territoire. Donc oui, j’ai envoyé le courrier au préfet et le 22 janvier prochain, je réitérerai cette demande devant le conseil municipal, pour dissoudre la structure et en changer le périmètre. Car préparer l’avenir de ceux qui viendront prendre ma place, c’est la mission qui m’a été confiée par les électeurs et la population de Mamoudzou.

FI : Vous avez donné rendez-vous aux Mahorais lors d’un live Facebook ce jour. Pourquoi le besoin de s’adresser ainsi à la population ?

A.S. : Parmi les engagements que j’avais pris figurent celui d’être un élu de proximité, un élu qui s’adresse chaque fois que c’est utile à ses administrés. Et ce, à travers tous les canaux qui existent. J’estime qu’il s’agit là d’un devoir d’élu, de rendre compte de son action. Et l’idée de ce live c’est aussi de permettre à tous de s’adresser directement et sans filtre au maire de Mamoudzou. Nous sommes en fin d’année, après six mois rendus difficiles par cette crise sanitaire. J’aurais aimé faire un grand rassemblement pour fêter l’année 2021, mais la situation ne le permet pas. Nous faisons donc ces vœux numériques avec l’ensemble de nos concitoyens.

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