La préfecture lançait ce lundi une nouvelle démolition d’un quartier informel à Kahani. Une opération rendue possible grâce à la loi Élan, adoptée deux ans plus tôt.
À gauche, les gendarmes campent à une dizaine de mètres les uns des autres, les rangers vissées dans le bitume. À droite, de l’autre côté de la route, quatre ou cinq gaillards toisent la scène depuis la terrasse d’un douka, les bras croisés et la mine sombre. Du quartier Kardja Vendja à Kahani, il ne reste déjà presque plus que des tôles froissées et de la terre retournée. Depuis 7h du matin environ, c’est un ballet de tractopelles qui s’offre au regard du petit groupe maintenu à l’écart par les forces de l’ordre. 96 bangas – ou 97 selon les interlocuteurs – ont été détruits ce lundi matin sur ce terrain du conseil départemental. Le but de la manœuvre : lancer les travaux d’extension du hub par lequel transitent tous les matins des centaines d’écoliers.
“C’est une opération de destruction de bangas d’une ampleur considérable et que nous préparons depuis cinq semaines sur la base de la loi Élan”, salue le préfet Jean-François Colombet, après un tour du périmètre. “C’est la première fois que nous utilisons le cadre de cette loi pour détruire un bidonville qui ne présente aucune salubrité.” Les autres opérations d’ampleur, comme à Batrolo en 2018 ou à Passamaïnty plus récemment reposaient sur des décisions de justice, ce qui rendait en pratique la procédure longue et complexe.
Les pouvoirs du préfet élargis par la loi Élan
Adoptée en 2018, la loi sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dit Élan, permet de s’affranchir de cette usine à gaz, en élargissant les pouvoirs du préfet. Le représentant de l’État peut ainsi, sans décision du juge et dans un délai minimum d’un mois, ordonner l’évacuation et la démolition des habitats informels qui “présentent des risques graves pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique”. “Ce bidonville nous a posé des problèmes par le passé, notamment des agressions et des caillassages sur les pompiers, et nous résolvons ainsi ce problème tout en s’investissant pour l’avenir des jeunes”, abonde encore le locataire de la Case Rocher. La loi Élan prévoit l’obligation d’offrir des solutions d’hébergement pour les personnes délogées… tant qu’elles sont en situation régulière sur le territoire.
133 étrangers sans titre de séjour ont ainsi été interpellés et éloignés. En tout, 400 personnes ont dû évacuer les lieux, dont la moitié de mineurs. Dans les faits, plus personne ne traînait dans les parages le jour J. “Nous sommes allés plusieurs fois sur le terrain pour faire de la sensibilisation et de l’accompagnement, et tous les habitants étaient bien au courant que la destruction allait avoir lieu”, raconte une source sous couvert d’anonymat – la préfecture avait donné des consignes claires pour centraliser toute la communication autour de cette opération. “Certains ont trouvé des solutions par eux-mêmes dans le village de Kahani ou aux alentours, d’autres ont pu obtenir un hébergement d’urgence avec l’accompagnement des services de l’État”, poursuit-elle.
Reloger les habitants, un casse-tête
Du côté de la préfecture, on annonce qu’une trentaine de Français se sont vus offrir des “hébergements provisoires”. “Il faut d’abord mener l’enquête sociale, pour savoir qui peut bénéficier de ces solutions temporaires”, argumente Jérôme Millet, le secrétaire général adjoint à la préfecture. Seule certitude, cela ne peut pas dépasser trois mois. Le problème ? Toutes les familles n’acceptent pas, le plus souvent car elles ne souhaitent pas s’éloigner de leur habitat initial. “Mais nous avons relogé quasiment exclusivement à Chiconi”, soit à 3km de la zone, assure le sous-préfet.
Toutefois, parmi les 400 personnes évacuées (moins les 133 interpellés), difficile de savoir combien ont effectivement posé leurs valises dans un nouveau logement. Selon nos informations, trente places auraient été gelées par l’Acfav (association pour la condition féminine et aide aux victimes). Et parmi les sept familles françaises qui auraient reçu des propositions de relogement classique, la moitié les aurait refusées.
D’autres opérations à venir
Bref, même sans avoir à passer par le juge, la destruction des quartiers informels reste un véritable casse-tête. Surtout que le parc locatif à Mayotte n’est pas extensible. Même avec les 72 logements sociaux qui doivent entre autres être construits sur les vestiges des cases de Passamaïnty, on n’est pas prêts de sortir de la logique des vases communicants… Or, la préfecture ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. “Nous avons détruit 130 bangas au cours des deux derniers mois, il y en aura une trentaine à Dembéni très prochainement, puis un programme complet toutes les trois à quatre semaines”, se félicite le préfet. Avant de décoller, suivi de près par toute la troupe de partenaires. Sur le bord de route, en face du terrain réduit à l’état de friche, les gars du douka, eux, n’ont pas bougé.
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