{xtypo_dropcap}M{/xtypo_dropcap}ayotte Hebdo : Quels sont les enseignements que vous avez tirés de ce colloque ?

Françoise Léglise : J'étais d'abord très admirative pour l'ATSM, car c'est une très jeune association qui n'a démarré qu'en décembre 2008 et qui organise déjà un colloque. J'ai aussi constaté une réelle motivation de rassembler les travailleurs sociaux et de créer un travail social riche à Mayotte, avec des gens qui ont vraiment envie de réfléchir ensemble, de faire évoluer le travail social et de le développer.

 

MH : L'action sociale est très peu développée ici par rapport à un département. Quelles sont les différences qui vous ont sauté aux yeux ?

FL : Du point de vue des services à la population et de la législation en vigueur, on est au début, dans une période de transition. Il y a encore plein de choses à mettre en place pour la population, à tous points de vue. Il y a peu de travailleurs sociaux encore. On a été assez surprises par exemple du nombre d'assistants sociaux dans les UAS (Unité d'action sociale) : ils sont trois ou quatre par UAS, ce qui veut dire un travailleur social pour 11.000 habitants, alors qu'en Métropole, selon les secteurs, le ratio est de un pour 2.500 à 5.000 habitants.

Il y a aussi encore beaucoup de structures qui n'ont pas de travailleurs sociaux, beaucoup d'associations qui se monteront petit à petit, mais qui n'existent pas encore et beaucoup d'équipements à créer, notamment pour l'enfance et les handicapés mais pas seulement. Dans la protection de l'enfance, il y a encore plein de choses à mettre en place. On est dans une période de transition où beaucoup de choses restent à développer et les travailleurs sociaux ont vraiment un rôle à jouer pour être une force de propositions, car ce sont eux qui sont sur le terrain et qui peuvent suggérer ce qu'il faut pour la population. Ils seront dans l'avenir un acteur incontournable pour élaborer des propositions avec les décideurs.

 

"Il faut davantage d'assistants sociaux, d'éducateurs pour les jeunes enfants, d'animateurs pour les jeunes dans les MJC et les associations, d'éducateurs spécialisés, etc."

 

MH : Le budget du conseil général consacré à l'action sociale n'est que de 2% ici, alors qu'il est de plus de 20% dans un département. Les assistants sociaux dans les UAS non seulement ne sont pas nombreux, mais ont aussi très peu de bons alimentaires ou vestimentaires à distribuer…

FL : Cela va avec la construction du département. Les élus n'auront pas tellement le choix de faire autre chose que développer ce secteur. On est au début et la demande sociale va être croissante, tout comme c'est le cas en Métropole d'ailleurs. Forcément, les élus devront augmenter les budgets, autant en termes d'aides directes à la population que d'effectifs en travailleurs sociaux et de moyens pour les mettre en œuvre. Par exemple pour les UAS, à l'EAF (établissement d'allocations familiales) ou à la Sécurité sociale, il faudrait au moins tripler les effectifs.

 

MH : Il faudrait également que de nouveaux services de proximité se développent, notamment avec la création des CCAS…

FL : Oui. Les CCAS doivent attendre 2014 pour se mettre en œuvre, si j'ai bien compris le colloque, à cause de l'absence de fiscalité locale. Cela a assez déçu l'assemblée. Apparemment, tant que les communes n'auront pas leurs ressources propres, elles ne pourront pas les créer (Patrick Kanner, le président de l'Union nationale des CCAS venu sur l'île en juillet, avait pourtant souhaité leur création dès 2011, avec le soutien financier de l'Etat, voir MH n°437, ndlr).

 

MH : Quels sont les métiers sociaux qu'il faudrait développer en priorité ?

FL : Tous les métiers du social ont leur utilité quels qu'ils soient, surtout dans un travail social en construction. Il faut davantage d'assistants sociaux, d'éducateurs pour les jeunes enfants, d'animateurs pour les jeunes dans les MJC et les associations, d'éducateurs spécialisés, etc. Il y a une complémentarité des différentes professions qui permet une prise en charge sociale globale des personnes et des familles, pour tous les types de population.

 

MH : Est-ce que vous sentez qu'il y a une volonté des élus pour le développement de l'action sociale à Mayotte ?

FL : Volontaires ou pas, ils n'auront pas le choix. Il y a des compétences obligatoires du département comme l'aide sociale à l'enfance et tous les dispositifs qui vont arriver à Mayotte comme le RSA ou le Fonds de solidarité logement : il faudra bien recruter des travailleurs sociaux pour les mettre en œuvre. J'ai senti chez les élus qui sont venus au colloque une vraie mobilisation sur ces sujets.

 

"Beaucoup de Mahorais ne bénéficient pas des prestations et ignorent leurs droits"

 

MH : Il y aussi un problème d'accès au droit ici : beaucoup de Mahorais n'ont pas conscience qu'ils ont droit à des prestations et à un accompagnement social. Comment y remédier ?

FL : Oui, c'est vrai que beaucoup de Mahorais ne bénéficient pas des prestations et ignorent leurs droits. Tous les travailleurs sociaux ont une compétence pour aller au-devant de la population et pour expliquer les droits auxquels elle a droit et pourrait avoir accès. Les travailleurs sociaux ont justement mené récemment une action collective à Chiconi qui a réuni l'ensemble de la population mahoraise pour expliquer comment ils pouvaient les aider et les droits auxquels ils peuvent prétendre, en termes de prestations familiales ou de sécurité sociale.

 

MH : C'est peut-être aussi le fait de devoir faire des queues interminables pour des montants dérisoires, par rapport à un département, qui décourage les gens ?

FL : Oui, on parle de manque de travailleurs sociaux mais il y a aussi peut-être peu de moyens sur les autres catégories d'employés : le personnel administratif n'est peut-être pas encore assez développé et il faudrait ouvrir d'autres guichets. On a été étonnées par exemple de la faiblesse du personnel de l'EAF, avec seulement une assistante sociale et une conseillère économique, sociale et familiale, ce qui est extrêmement peu.

 

Propos recueillis par Julien Perrot