En prison depuis un an, Ibrahim Azad, leader du gang qui avait terrorisé Passamaïnty en 2019, espérait réduire sa peine en faisant un recours de sa condamnation en première instance devant la chambre d’appel. Mauvaise pioche !
Il a l’oeil torve mais la dégaine aussi soignée qu’un rappeur des eighties. Bien droit dans son combo chaussettes blanches immaculées-claquettes et ses vêtements moûlants qui laissent deviner une imposante carrure, Ibrahim Azad se pointe à la barre avec défi. “J’étais assis et il s’est jeté sur moi. Il voulait me faire rentrer dans la voiture, mais je ne voulais pas parce que je sais ce qu’il se passe avec la BAC quand ils vous attrapent : ils vous emmènent dans la mangrove ou à Mahabou…”, assène le prévenu devant le président de la chambre d’appel.
Incarcéré depuis bientôt un an à Majicavo, celui qui est aussi connu comme le chef de la BAB, la Brigade anti-BAC, tentait en effet ce jeudi de réduire la peine prononcée à son encontre en octobre 2019 par le tribunal correctionnel. À l’époque, le leader de ce gang, qui avait semé la terreur à Passamaïnty, avait écopé de trentre-trois mois de prison pour des faits de violences aggravées sur personne dépositaire de l’autorité publique. Son compère, Ambdi Tadjiri, dit Le Boss, s’en tirait quant à lui avec deux ans de prison. Des peines déjà lourdes qui dépassaient les réquisitions du parquet en première instance.
Une interpellation vire à la scène de guerre
Il faut dire que les récits de cette journée d’émeutes font froid dans le dos. “C’était la guerre, voilà. Nous sommes des gardiens de la paix, dans un pays en paix, et nous nous sommes retrouvés dans une situation de guerre”, raconte avec toujours une vive émotion l’un des trois fonctionnaires de police pris à partie ce jour d’avril 2019. Tout commence par une interpellation. Une patrouille de la BAC, qui sillonne le secteur où sévit depuis plusieurs semaines la bande sanguinaire, identifie un suspect d’un récent caillassage. Alors que le policier tente de l’interpeller, Azad surgit pour s’interposer, permettant finalement au premier individu de s’enfuir, menottes au poignet. Coup de tête, morsures, main écrasée… la scène s’échauffe rapidement cependant que les deux autres agents identifient alors le nouveau venu, visé par un mandat d’arrêt. Mais les cris ameutent des jeunes aux alentours, venus prêter main forte au “Costaud”, bâtons, barres de fer ou pierres au poing.
“Tuez-les !”
“Là nous nous sommes retrouvés face à une bande très hostile, alors que nous tentions d’immobiliser Azad en chien enragé”, poursuit le policier. Puis les cailloux pleuvent, “pas en cloche comme à Paris pour impressionner les copains. Non ici, ils lancent pour tuer.” Un premier tir de LBD ne suffit pas et la situation dégénère. Tant et si bien que l’un des agents finit par sortir son arme létale, un 9mm brandi pour tirer en l’air. Nouveaux tirs de projectile, dont un “qui passe là, juste à côté de mon oreille”, mime le fonctionnaire. Qui sort lui aussi son arme de service, tout en réalisant la gravité de la situation, face à des jeunes de 14 à 20 ans. Il tire quelques balles, dont l’une va se perdre dans les bangas environnants. Mais Azad harangue ses troupes d’un “Tuez-les, ils ne sont que trois !”.
À l’issue des affrontements, les policiers ont reçu plusieurs blessures. L’un d’eux repart même avec soixante jours d’interruption totale de travail ! Mais le cauchemar ne s’arrête pas là. Même si en appel les juges statuent sur les pièces déjà versées en première instance, le fonctionnaire a profité de son temps de parole pour évoquer les menaces qu’il aurait reçu à la fin de l’audience correctionnelle qui mettait le holà aux activités d’Azad. Ainsi qu’un rapport de police selon lequel le chef de la BAB avait contacté des homologues de Kawéni pour leur proposer une alliance et de “s’armer pour s’en prendre aux fonctionnaires de la BAC”. Glaçant !
Un garçon dangereux
Et le prévenu n’arrange pas vraiment son cas. Face aux juges de la chambre d’appel, il ne montre aucune trace de repentir mais cherche plutôt à rejeter la faute. “Pourquoi c’est toujours moi, alors que j’ai rien demandé ?”, ânonne-t-il en guise de défense. “J’ai toujours été harcelé par la BAC, ils étaient toujours derrière moi, et ces violences c’était ma façon de dénoncer ces violences-là”, poursuit l’homme originaire d’Anjouan, qui a déjà fait l’objet d’une reconduite par le passé. Tantôt il tente de minimiser l’ampleur de la BAB et de son rôle de chef, “j’ai juste créé le nom”, tantôt il s’emporte contre “le tribunal médiatique” qui l’a déjà jugé selon lui. Un discours “mielleux”, pas du tout au goût de l’avocate de deux des fonctionnaires. “Il se pose en victime mais en réalité il s’agit d’un garçon dangereux, qui considère qu’il a droit de cité partout, qui crée un ennemi à un service de la police nationale, qui veut se créer un service de police à lui”, plaide Maître Mattoir.
L’avocate générale ne sera guère plus tendre. “Vous avez un individu qui se présente comme un ange et qui reconnaît à demi-mot être le chef d’une des bandes les plus violentes de Mayotte. Nous savons la pensée de ces groupes, c’est ‘‘nique la police’’, ‘‘nique la bac’’, et c’est ce qu’il essaie d’appliquer aussi aujourd’hui à la justice”, lâche sans détour Denise Lacroix qui réclame alors cinq ans de prison et une interdiction du territoire. Pour la deuxième fois, les juges trancheront plus sévèrement que le ministère public, en condamnant Azad à une peine de six ans d’emprisonnement et une interdiction définitive du territoire français. Quelques minutes plus tard, le caïd de Passamaïnty embarquait donc à nouveau dans le fourgon qui devait le ramener à Majicavo. Non sans un regard haineux à l’attention des policiers…qui risque bien de ne pas être le dernier : mis en examen pour tentative de meurtre, le prévenu pourrait bien avoir affaire à nouveau à la justice pour des faits criminels cette fois.
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