Violences conjugales : un oeil crevé pour un “manque d’amour”

Un homme a éborgné sa compagne il y a cinq ans à Passamaïnty. Entendu ce mercredi au tribunal correctionnel de Mamoudzou, le prévenu a enchaîné de graves maladresses face aux juges. Des propos qui illustrent bien le phénomène de culpabilisation de la victime dans les affaires de violences conjugales.

L’histoire est “horrible”. À en frissonner dans cette salle d’audience sans clim. À faire résonner les paroles creuses et les explications vaines d’un prévenu plus que maladroit face aux juges. L’homme qui se tient devant eux, ses maigres épaules voûtées dans sa chemise trop large et la calvitie naissante dans ses cheveux poivre sel, a 49 ans, mais ses traits tirés par l’alcool lui en donnent dix de plus. Son tort ? Avoir crevé l’oeil de sa compagne, un jour d’octobre 2015, à Passamaïnty. Cuisiné tour à tour par les robes noires qui tentent de lui faire comprendre sa pleine responsabilité, le prévenu s’enfonce. “J’aurais toujours un doute sur l’origine de la blessure…”, souffle-t-il à voix basse, comme pour se rassurer.

Mais les faits tels qu’il sont présentés ce mercredi au tribunal correctionnel de Mamoudzou, ne jouent pas vraiment en sa faveur. Ce soir fatidique, l’homme déjà passablement éméché rentre chez la victime où il enchaîne les bières avec sa fille et son petit-ami. Après leur départ, cet originaire d’Annecy qui aime un peu trop lever le coude part en quête d’un petit complément de bangué, à son spot habituel, au rond-point du collège. Mais le vendeur est en rade. Alors, le quadragénaire se rabat sur un autre stupéfiant, autrement plus dangereux : la chimique. De retour à la maison, on lui passe un savon. Sa compagne ne veut pas de ça chez elle, elle lui ordonne de quitter les lieux. Fou de rage, l’homme fond sur elle, et lui assène plusieurs coups à la tête et au visage.

Greffe connue à l’oeil

Le problème ? C’est que sa dulcinée a une fragilité toute particulière à l’oeil droit, à cause d’une greffe de cornée. Un fait que le prévenu n’ignorait pas au moment d’envoyer ses coups de poing précisément dans cette direction. Quand les gendarmes arrivent, la femme est donc prise en charge par les pompiers. Le premier examen note un éclatement du globe oculaire droit possiblement provoqué par les coups avec un “risque de perte définitive de l’oeil qui n’est pas exclu”. L’usage d’un mortier ou des bris de verre provoqués par les déferlements de violence sont évoqués pendant l’enquête, et même un doigt sadique enfoncé alors que la victime était inconsciente. Un récit glaçant qui conduira le prévenu à lâcher, presque plaintif à la barre : “Je ne comprends pas ces propos, c’est déjà grave, alors vouloir ajouter de l’horreur à l’horreur…”

80 euros et des bourdes

“Vous vous dites choqué, mais vous vous rendez compte qu’elle est marquée à vie ?”, s’estomaque alors le juge. En effet, la femme perdra finalement son oeil malgré plusieurs tentatives de soins. Et au prévenu d’enchaîner les bourdes : “J’ai défiguré la personne que j’aime le plus au monde.” Poussé à s’expliquer face à l’audience, l’homme peine à convaincre. Dans sa version des faits, arrivent pêle-mêle : “B. elle a un caractère quand même…”, “c’était beaucoup d’insultes”, “on ne peut pas mettre un terme à sept ans de relation juste comme ça, sur des mots”, “la violence m’a emporté, à cause de ce rejet, ce manque d’amour”. Pire, quand il revient sur l’origine de la dispute, le prévenu mentionne aussi de l’argent que sa compagne aurait pris dans son portefeuille et qu’il aurait retrouvé à côté de son lit. Une coquette somme de 80 euros…

Une repentance insuffisante

Certes, l’homme affiche aujourd’hui sa repentance. Il assure ne plus consommer d’alcool ni de stupéfiant, une déclaration que son avocate tente d’appuyer en apportant ses dernières analyses sanguines. Il affirme travailler aussi sur son impulsivité – le prévenu, au moment des faits, avait déjà fait l’objet d’une main courante pour avoir frappé sa compagne, et il était connu du voisinage pour ses fréquentes bouffées de rage. Mais il avoue avoir renoncé au suivi des addictologues et refusé les médicaments. Ce qui n’est visiblement pas au goût des juges… Ni du conseil de la victime. Maître Andjilani rappelle d’ailleurs à l’audience que la gravité des faits aurait dû conduire l’homme violent devant une cour d’Assises où il risquait bien plus, car l’affaire relevait davantage du crime que du délit (une correctionnalisation souhaitée par le parquet et la victime pour accélérer la procédure). Face à ces constats, le procureur de la République a donc requis cinq ans de prison dont deux ans de sursis probatoire, avec mandat de dépôt. Le tribunal décidera d’une peine de quatre ans dont deux avec sursis. Envoyé directement à Majicavo, le prévenu devra aussi verser 40.000 euros de provision de dommages et intérêts à la victime.

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