Pourquoi Mayotte manque-t-elle (encore) d’eau ?

En 2016, Mayotte connaissait une pénurie en eau historique. La gorge nouée, et sèche, les habitants du Sud et du Centre se rappellent encore des coupures qui, un jour sur deux, ont marqué leur quotidien pendant de longues semaines. C’était il y a quatre ans, et malgré les dizaines de millions d’euros investis dès l’année suivante dans le cadre d’un plan d’urgence, l’histoire semble doucement se répéter. Un coup d’épée dans l’eau ?

 

 

Il y a urgence, et le préfet l’a reconnu sans détour. « Si nous ne prenons aucune décision, nous n’aurons probablement plus aucune ressource en eau dès le début du mois de décembre », prévenait-il la semaine dernière. Depuis le mois d’août, les tours d’eau se rapprochent, s’allongent, s’intensifient. De quoi limiter les pertes, d’autant plus lorsque 26% de la consommation en eau à Mayotte passe dans les fuites du réseau. Mais ces petites économies suffiront-elles ? Si la situation ne s’arrange pas, des coupures de 24h consécutives pourraient être décidées d’ici la fin septembre. Seule alternative : l’arrivée d’une saison des pluies particulièrement précoce. Mais selon Météo France, cela ne sera sûrement pas le cas cette année – ni les suivantes. Les premières précipitations s’annoncent déjà inférieures à la moyenne sur les trois prochains mois. Voilà pour les bases.

 

Si cette crise de l’eau n’en est qu’à ses prémices, elle semble pourtant avoir déjà un goût amer de déjà vu. Fin 2016, une pénurie frappe le département pendant plusieurs mois. La moitié de l’île est alors privée d’eau un jour sur deux. Face à l’insuffisance des mesures restrictives et au manque de moyens de la préfecture, le ministère des Outre-mer intervient en février 2017. 68 millions d’euros sont débloqués dans le cadre d’un plan d’urgence exceptionnel. Par tous les moyens, il faut construire, rénover, augmenter les capacités de production et de stockage. « Plus jamais ça », prie la population et promettent les décideurs. Mais trois ans plus tard, les projets phares ne sont toujours pas là. L’eau tant attendue non plus.

 

Toujours pas de troisième retenue et le dessalement à la traîne

 

Préfecture, Smeam et Deal l’admettent : l’absence de troisième retenue collinaire et la défaillance de l’usine de Petite-Terre sont au cœur du problème. Pourtant, les deux sujets figuraient dans le plan eau de 2017. Mais la première n’est toujours pas sortie de terre, et la seconde, à peine refaite à neuf, ne peut fonctionner qu’en sous-régime. Contre les 5.300 mètres cubes qu’elle devait produire chaque jour pour assurer l’autonomie de toute la Petite-Terre, la station de dessalement n’en assure aujourd’hui que 2.300. Plus de 50% de déficit, comblé par les ressources de sa grande voisine.

 

Pourtant en 2018, année où un incendie abîmera deux des quatre lignes de traitement, 8 millions d’euros sont mobilisés pour enfin, mener les travaux d’extension de l’installation, vieille de 20 ans, et dont les pompes peinaient à acheminer l’eau à marée basse. Pressé par le plan eau dans lequel il figure, le chantier est lancé dans l’urgence. L’État, chargé de suivre l’exécution, confie la délégation de maîtrise d’ouvrage à Vinci, sans appel d’offre. Le site est trouvé, les travaux sont lancés. Mais par manque d’ingénierie, de compétence – ou de temps, comme le défend le préfet – aucun réservoir de stockage n’est prévu. Pis, le point de captage est installé au mauvais endroit. À tel point que si l’usine fonctionne à pleine capacité, les filtres se détérioreraient précipitamment en raison de la turbidité de l’eau, et toute l’installation flancherait. Résultat : Vinci est condamné à payer une indemnité pour défaut de production, pendant que rien n’avance. Mais le préfet, lui, se veut rassurant : « Il y aura un projet qui sera conduit au premier semestre 2021 afin de changer le mode de prélèvement de l’eau, puisque nous installerons des drains pour la capter. Et là on atteindra l’objectif initial. » Un objectif qui, rappelons-le, ne vise qu’à couvrir les besoins de Petite-Terre, à l’heure où Mayotte toute entière est touchée par le manque de ressources. D’où le projet d’une troisième retenue, les réserves collinaires étant la plus grande source d’approvisionnement en eau du territoire.

 

Entre la fin des années 80 et le début des 90’s, le site d’Ourovéni, à Tsingoni, est une première fois évoqué pour accueillir une retenue supplémentaire. Mais rien n’est fait. En 2009, le bureau d’étude géologique et minière (BRGM), dépoussière le dossier, estimant le chantier capital pour sécuriser l’approvisionnement en eau. Problème, le terrain appartient à la famille de feu Younoussa Bamana. « C’est le grand patron du pays, tout le monde le respecte alors personne n’a vraiment osé aller au-delà de tout ça », concède Moussa Mouhamadi Bavi, alors président du Smeam. Pour tenter de régler la problématique du foncier, des négociations sont initiées par le syndicat avec les différents héritiers, tous soucieux de collaborer. Un terrain d’échange est trouvé, difficilement, puisque couvrant plusieurs dizaines d’hectares. Mais une partie de celui-ci s’avère être domaniale. Retour à la case départ ; le dossier piétine. La préfecture suggère alors de recourir à une déclaration d’utilité publique, qui permet l’expropriation des terres en cas de blocage. Le Smeam lance le dossier, et les services de l’État le reçoive incomplet. « Il fallait le réétudier afin de mieux prouver l’utilité publique du projet, notamment au niveau des études hydrologiques, avec de vraies données perspectives », développe la Deal. Et rien n’a changé depuis, alors que le chantier d’Ourovéni était le plus conséquent du plan de 2017. « Il y a maintenant une nouvelle équipe au Smeam, on va voir comment cela se passe mais il faudra de toute façon constituer ce dossier qui mènera par la suite à une éventuelle expropriation suivie d’études, notamment sur la création d’une usine de potabilisation », complète encore la direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement. « C’est un gros projet qui, même s’il avait été porté à bras le corps en 2017, ne serait pas aujourd’hui abouti. On est sur une mise en service dans les 7/8 ans à partir du montage du dossier. ».Après tout, le sujet ne dort dans les cartons que depuis… dix ans. « La crise de l’eau actuelle est le fruit de décennies d’inaction », concède Moussa Mouhamadi Bavi, président du Smeam jusqu’en juillet dernier, et signataire du plan d’urgence. « Pendant 30 ans, il n’y a eu aucun investissement. Jusqu’en 2017, personne ne se posait vraiment la question de la gestion de l’eau. Tout a été fait au jour le jour. » Depuis, tous les acteurs concernés se renvoient la responsabilité.

 

Quelles solutions ?

 

Certes, les travaux d’interconnexion entre les deux retenues ont été réalisés afin de faire en sorte que cette fois, la ressource soit équitablement répartie sur l’ensemble du territoire. La rehausse de la retenue de Combani a, après des mois de retard, elle aussi été achevée l’année dernière, au prix de milliers de mètres cubes d’eau évacués pour ne pas gêner le chantier. Et le volume gagné éponge à peine la hausse de la consommation en eau de Mayotte. Pour 240.000 à 360.000 mètres cubes supplémentaires chaque année, la rehausse n’a permis d’en gagner que 250.000. Pour éviter une nouvelle pénurie, il va falloir voir plus loin. Plus vite.

 

En ce sens, la piste d’une usine mobile de dessalement est déjà à l’étude. « Il y a un bateau français très performant, capable de capter, de filtrer, d’embouteiller à bord et de livrer un million à un million et demi de bouteilles en prélevant l’eau sur place », a dévoilé le préfet. Entièrement autonome, le navire est en effet capable de produire jusqu’à cinq millions de litre d’eau potable par mois. Mais si l’Odeep One pourrait rejoindre l’île en seulement quelques semaines, cette solution « coûte chère », Jean-François Colombet, qui n’a encore « rien signé pour l’instant ». Autre alternative, déjà suggérée – puis abandonnée – par le plan d’urgence en 2017, la rotation de tankers depuis La Réunion, qui devait, à l’époque, permettre d’apporter 500.000 mètres cubes supplémentaires.

 

Sur le long terme, et en attendant la troisième retenue, l’une des priorités devra être aux forages, d’autant plus que leur production n’est pas au niveau prévu par le plan de 2017, l’entreprise mandatée n’ayant pas été payée selon les dires du préfet. Mais une nouvelle campagne devrait être lancée d’ici octobre et permettre de produire, en théorie, environ 3.700 mètres cubes supplémentaires par jour. Ce qui sera tout de même bien insuffisant pour pallier la fin de l’ensemble des forages prévu par le plan eau, d’ici janvier prochain. Alors, c’est peut-être autour de nous que se trouve la réponse la plus adaptée, car en terre ultramarine, l’océan constitue le seul réservoir illimité. Raison, d’ailleurs, pour laquelle la construction d’une nouvelle usine de dessalement figurait au programme trois ans plus tôt. Deux sites étaient alors à l’étude, à Longoni et à Bandrélé, avant que le projet ne soit progressivement oublié… Jusqu’au début du mois. Jean-François Colombet ayant assuré considérer sérieusement cette piste, toutefois aussi coûteuse qu’énergivore. « La nouvelle usine devra donc être couplée avec une connexion énergétique solaire notamment », commentait le préfet. Nettement moins onéreuse et même vertueuse pour l’environnement, reste encore la solution d’un reboisement massif de l’île. Selon l’ONF, 100 hectares de forêt augmenteraient à eux-seuls de 400.000 mètres cubes la disponibilité d’eau dans les rivières en saison sèche. Mais dans le département français le plus touché par la déforestation – 300 hectares y étant détruits chaque année –, l’ampleur de la tâche est grande, puisque les Naturalistes estiment qu’il faudrait replanter localement 2.000 hectares sur la prochaine décennie. Pour rattraper le retard, la Deal et le Département disent travailler conjointement sur un projet de reboisement. Un semblant de bonne nouvelle, alors que Météo-France estime que dans les prochaines années, les saisons des pluies seront non seulement tardives, mais aussi de moins en moins abondantes. « On ne parlera sans doute plus de saison des pluies dans l’avenir comme on le faisait auparavant », résume Laurent Floch, directeur territoriale de l’établissement. De l’eau dans le gaz, vous dites ?

Retrouvez un dossier complet sur ce sujet dans le Mayotte Hebdo du vendredi 11 septembre.

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