Le 1er mai 2018, un terrible accident avait coûté la vie à deux hommes à Tsoundzou II. Un an et demi plus tard, le propriétaire du logement, l’agence immobilière et sa directrice étaient appelés à la barre pour justifier de l’absence d’un détecteur de fumée… qui aurait pu éviter le drame.
“Biiiiiiiip…” Le son strident perce les tympans de l’assistance. Debout devant les juges, Maître Hervé Renoux est en train de brandir un petit détecteur de fumée, le doigt posé sur son oreille. “Je l’ai acheté en grande distribution avant de venir. Il m’a coûté sept euros. La vie de ces deux hommes tient à sept euros”, lâche-t-il la voix grave en reposant le petit boitier en plastique. Ces deux hommes, ce sont Franck Foulon, 50 ans, et Nicolas Berot, 43 ans. Un “amoureux de l’océan Indien” et un enseignant au collège dont la mort tragique dans un incendie à La Palmeraie, à Tsoundzou II, le 1er mai 2018, avait suscité l’horreur et la sidération de tout un quartier.
27 minutes d’angoisse
Ce matin-là, les voisins sont alertés par les flammes qui ont pris le rez-de-chaussée de ce chalet en bois. À l’étage, Franck Foulon, qui ne peut déjà plus descendre, tente de s’échapper par la fenêtre. Avec l’aide des voisins montés sur une échelle, il essaie d’arracher les barreaux qui l’enferment dans cette prison en feu. Mais ceux-ci ont été soudés récemment, après une tentative de cambriolage. Pendant 25 minutes, des deux côtés, on s’acharne. Il en faudra 27 pour que les pompiers arrivent sur le lieu du sinistre. Un délai étonnant qui pousse d’ailleurs l’avocat de la défense Maître Nadjim Ahamada à pointer du doigt la nonchalance, voire la responsabilité des soldats du feu : “Ils mettent 27 minutes pour aller de Kawéni à Tsoundzou, un jour férié qui plus est, un matin, tôt, sans circulation. Quand ils arrivent, les voisins racontent qu’ils ont garé le camion en bas du chemin et qu’ils ont marché à allure lente. Puis ils arrivent enfin, sans échelle, sans disqueuse, sans pince coupante, sans hache et sans pompe, juste un camion et une petite citerne, qui au bout de 5 minutes n’avait plus d’eau.”
Loi sur les détecteurs de fumée
Pour autant, ce ne sont pas les férus de la lance à incendie qui seront au coeur de l’audience, ce mercredi, au tribunal correctionnel. Non, la pomme de la discorde, ce jour-là, tient à ce petit boîtier en plastique. Avec sa pile de 9 volt, dont on ne trouvera jamais la trace au milieu des débris calcinés. C’est lui qui amène la directrice de l’Agence de l’île devant les juges, un an et demi après le drame. Et c’est aussi lui qui pousse les uns et les autres à se renvoyer la balle dans cette affaire, où les magistrats devront déterminer les responsabilités de chacun, entre la directrice, l’Agence de l’île chargée du bien, et le propriétaire, installé à La Réunion. Car depuis 2010, tous les logements doivent être équipés d’un détecteur de fumée. La loi Alur de 2014 apporte une précision : ce sont les propriétaires qui doivent fournir l’équipement pour un logement loué.
Les négligences de l’agence
Le hic ? Le propriétaire avait contractualisé avec l’Agence de l’île depuis son départ de Mayotte en 2011. Moyennant finances, le mandat de gestion prévoyait que la société se charge du logement, et donc bien sûr, de sa mise en conformité. À la barre, la seule prévenue présente assure avoir joué son rôle en lançant une campagne à destination des propriétaires pour leur rappeler leur obligation. 50% des clients avaient laissé la charge à l’Agence de l’île d’installer le boîtier. Les autres ? Soit, ils s’en sont occupés eux-mêmes, soit, ils ont laissé le mail sans réponse. Or, concernant le chalet de Tsoundzou II, la directrice se trouve dans l’incapacité de prouver la présence ou l’absence de l’équipement. Des témoignages accablants d’anciens locataires pointent par ailleurs le manque de sécurisation de la maison. Une “accumulation de manquements et négligences” qui conduisent l’avocat de la partie civile à dénoncer “une responsabilité pénale qui ne fait pas de doute”. Et de demander 300.000 euros pour les proches des victimes. “L’objectif de ces familles, c’est que l’on prenne conscience que cet objet-là sauve des vies”, a-t-il insisté.
Une histoire de cigarette
Côté défense, on sauve les meubles, en pointant l’autre du doigt. Et pendant que l’avocat du propriétaire, Maître Marius Rakotonirina insiste sur la délégation de pouvoir induite par le mandat de gestion signé avec l’Agence de l’île, Maître Ahamada fait sa leçon de droit. “Quel est le texte de loi qui oblige une agence à installer un détecteur de fumée ?”, lance-t-il face à l’audience. Et de rappeler le caractère délibéré de la violation qui doit être prouvé, en vertu de l’article 121-3 du Code Pénal selon lequel : “Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui.” Mais pour l’avocat de la défense, le nœud du problème est même ailleurs : “Ce n’est pas le fait d’avoir posé le détecteur ou non qui a causé le décès, c’est la fumée”, a-t-il rappelé. Et pas n’importe laquelle. D’après le rapport d’un expert, la mousse du canapé, en polyuréthane, un composant toxique et inflammable, ne donnait que peu de chance de survie à Nicolas Berot qui s’y était endormi, la cigarette allumée. “Monsieur Bérot, sans lui porter offense, avait un comportement dangereux pour lui-même et pour les autres. Il est revenu de soirée ce 1er mai fortement alcoolisé et il s’est endormi avec sa cigarette, qui est tombée. C’est elle qui est la cause de l’incendie”, a-t-il cru bon de rappeler.
Des arguments qui ne pèseront pas beaucoup pour le parquet. Face à la “négligence” du propriétaire comme de l’Agence, le substitut du procureur a ainsi requis 50.000 euros d’amende pour l’Agence de l’île, deux ans de prison avec sursis pour le propriétaire et un an de prison ferme pour la directrice. Le tribunal rendra son jugement le 23 septembre.
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