Un embrasement hors du commun à Mamoudzou et Koungou

Les jours se suivent et se ressemblent depuis le début de la semaine. À l’image des barrages érigés sur les communes de Mamoudzou et de Koungou. Hier, la violence est montée d’un cran avec des affrontements d’une violence inouïe, notamment à Passamaïnty entre des jeunes délinquants et des usagers qui ont décidé de prendre les choses en main. En réponse à cette recrudescence de l’insécurité, le préfet a réuni d’urgence les représentants syndicaux des transporteurs et les agents du Département pour tenter de parvenir à une solution négociée sur la question des transports scolaires. Les maux de tous les problèmes selon les autorités.

« C’était super chaud. Ces bandes de gamins sont organisées et déterminées ! » Depuis l’intérieur de sa maison à Doujani, Mohamed* vit aux premières loges les affrontements entre la jeunesse désœuvrée – ce jour pour certains, toujours pour d’autres – et les usagers qui se déroulent dans la rue de la carrière. Le père de deux enfants, dont un nouveau-né de seulement deux semaines, se retrouve « nez à nez dans une bataille rangée » au moment d’accompagner sa fille à l’école. « J’ai dû me débrouiller pour rapidement faire demi-tour avec la crainte qu’un caillou traverse le pare-brise. » Rentré chez lui en quatrième vitesse, il se barricade, impuissant, avec le reste de sa famille. En première ligne devant l’envolée des échauffourées, une épaisse fumée blanche envahit son voisinage, au point même que des projectiles de lacrymogène auraient atterri dans la cour de certains riverains. « J’ai entendu dire par un voisin qu’une fillette en a pris un sur le pied et au visage, entraînant de légères brûlures », raconte Mohamed, encore la voix tremblante, à la suite des troubles à l’ordre public intervenus dans la matinée au pied de son habitation. « Vu comment le front progressait, il s’en est vraiment fallu de peu… Comment aurions-nous pu nous échapper ? Et surtout pour aller où ? Dehors, c’était la guerre ! Donc bêtement, tu te retrouves piégé comme un rat. »

Casques bleus et casques de moto unis

Dehors, justement, les pierres pleuvent, l’atmosphère est irrespirable. D’abord de poubelles et de véhicules brûlés, car il aura fallu près d’une heure d’affrontement avant que les policiers ne viennent tenter de rétablir l’ordre et ajouter leurs lacrymos au trouble de l’air. « Ils ne servent vraiment à rien, comment c’est possible de se dire qu’on est en France et qu’on est obligé de se battre nous-mêmes contre ces jeunes voyous », enrage un homme, pierres à la main. Avant de repartir au front. Aux fronts, plutôt, qui se forment au rythme des charges des deux parties. Les policiers arrivés, c’est dans la rue des carrières – qui n’a jamais si bien porté son nom – que se déroule le gros des affrontements. Arrivées trop tardivement pour ceux qui mènent la riposte, les forces de l’ordre sont tout de même saluées. Et, très vite, c’est ensemble qu’ils avancent. Les casques bleus sont noyés dans la masse des casques de moto, tous lancent dans la même direction. « On n’a pas le choix, heureusement qu’ils [les usagers, ndlr] sont là… On n’est qu’une quinzaine, on ne peut rien faire là. Même si ce sont des gamins, ils sont tellement nombreux et déterminés que s’ils nous chargent on est foutus, on a plus qu’à sortir les flingues », se désole un policier dans un court répit. Avant de retrouver collègues et alliés de circonstances tandis qu’un Duster défoncé de la BAC joue les voitures béliers pour tenter de disperser les jeunes. « Pas le choix. »

De l’amateurisme ou de l’inconscience

Pour Bacar Attoumani, le secrétaire départemental d’Alliance police, le manque de fonctionnaires dans les rangs de l’institution oblige la hiérarchie à faire des choix. « Les 80 policiers (compagnie départementale d’intervention, brigade anti-criminalité, direction territoriale de la police nationale, police aux frontières) mobilisés devaient d’abord s’occuper de Kawéni avant d’aller à Doujani ». Sur les deux zones, pas moins de 400 gaz lacrymogènes sont ainsi lancés pour tenter de disperser la foule, en vain. Si sept mineurs ont pu être interpellés, Mohamed ne comprend pas la faiblesse du dispositif engagé. « Après les blocages de la veille, les autorités savaient forcément qu’il y avait un risque de récidive. Pourquoi n’ont-ils pas sécurisé les axes stratégiques dès le mardi soir ? Et que dire d’un équipage banalisé de la police nationale pris en tenaille dans une embuscade par des gamins de 12 ans ? Je l’ai vécu et franchement, soit c’était de l’inconscience, soit c’était de l’amateurisme. C’était de la chair à canon ! »

Un prétexte pour en découdre ?

Justement, le secrétaire départemental explique que la stratégie d’anticipation était de pré-positionner les forces de l’ordre sur les zones de ramassage dans le but de les sécuriser. « Mais c’est dans la mesure où les élus trouvent une solution au problème de transport. » Car pour Bacar Attoumani, l’absence de bus n’est qu’un prétexte pour en découdre. « Ce sont les mêmes fauteurs de troubles dans les deux villages ! » Des propos partagés par Mohamed : « Les meneurs sont adultes ou déscolarisés et ne sont en rien concernés par ce conflit. » Sur les réseaux sociaux, un internaute s’est même interrogé sur les auteurs en question. « La coordination parfaite et simultanée des blocages en différents points de l’île dès l’aube par d’innocents élèves censés agir de leur propre chef est juste extraordinaire. […] Il s’agit là sans aucun doute le plan d’une organisation structurée qui tire les ficelles dans l’ombre. » Sur Koungou en effet, plusieurs situations similaires se produisent en simultanée à Majicavo et à Trévani, entraînant l’intervention de la gendarmerie nationale, qui n’a pas souhaité communiquer sur le sujet.

Une réunion d’urgence présidée par le préfet

Face à ce chaos d’une violence rare, le préfet Jean-François Colombet convoque immédiatement en début d’après-midi les représentants syndicaux des transporteurs et les agents du Département dans l’espoir de parvenir à une solution négociée sur la question des transports scolaires. « En guise de consolation, on aura droit à un pauvre communiqué de condamnation… en attendant celui des condoléances ! », s’insurge le père de famille, visiblement lassé par le manque de solutions pérennes apportées par les autorités publiques…

*nom d’emprunt

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