17/09/2009 – Redevances des thoniers espagnols

{xtypo_dropcap}"R{/xtypo_dropcap}endre à Mayotte ce qui lui appartient." Une formule trouvée par le préfet des Taaf. L'accord du 29 avril dernier a en effet levé un contentieux vieux de 15 ans : jusqu'à cette année, les produits des redevances des thoniers étrangers opérant dans la ZEE de Mayotte allaient directement abonder le budget de l'Etat, sans aucune répercussion locale pour les pêcheurs mahorais (voir MH n°427).

D'un montant initialement prévu aux alentours de 150.000 €, c'est finalement 258.000 € qui vont alimenter le budget de la Corepam (Commission régionale des pêches nautiques et de l'aquaculture marine) pour moderniser la pêche mahoraise et installer l'antenne de l'Ifremer (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer) à Mayotte.

"Cette année, 60% des prises ont été effectuées dans la ZEE de Mayotte et 40% dans celle des Iles Eparses, alors que d'habitude c'est l'inverse", a remarqué M. Mouchel-Blaisot, qui a expliqué cette différence par les migrations des thons et la piraterie au large de la Somalie. Sur les 8.700 tonnes de poissons pêchés par les thoniers espagnols, 60% l'ont donc été sur les 60.000 km² appartenant à Mayotte. Les redevances perçues ont permis de lever 700.000 € de recettes, auxquelles ont été soustraits 280.000 € pour payer les observateurs à bord des thoniers et les patrouilles du navire de surveillance Osiris, propriété des Taaf.

 

"Il y a encore beaucoup de progrès à faire pour que la pêche aux thonidés dans l'océan Indien soit exemplaire"

Le préfet des Taaf s'est félicité que 40% des bateaux étrangers aient embarqué cette année des observateurs pour "mieux comprendre la situation et voir comment on peut améliorer les pratiques de pêche, car il y a encore beaucoup de progrès à faire pour que la pêche aux thonidés dans l'océan Indien soit exemplaire. On veut que cette pêche devienne exemplaire et soit un modèle de pêcherie durable, comme pour la pêche à la légine dans les Iles Australes". M. Mouchel-Blaisot a réitéré son souhait qu'il y ait un corps de contrôleurs à Mayotte, formé sur place, pour qu'il y ait une meilleure connaissance halieutique de la biomasse, reconnaissant que "certaines espèces pourraient être menacées".

En plus de renforcer les contrôles à bord, le préfet veut réduire les captures accidentelles ou accessoires, car "encore trop" de requins et de tortues sont pris dans les filets. Les DCP dérivants (Dispositifs de concentration de poissons, des objets flottants qui les attirent) des thoniers ont été interdits dans la zone des 30 miles dans les Taaf. A Mayotte, c'est dans les 24 miles que les thoniers ne peuvent pas pêcher. Au niveau de la Commission thonière de l'océan Indien, le préfet estime que la coopération entre les Taaf et Mayotte permettra de "faire des propositions qui vont dans le sens de l'équilibre des écosystèmes marins".

Pour que les bâtiments français ne soient pas entièrement exemptés de redevance, le préfet des Taaf s'est prononcé pour l'établissement d'une taxe spéciale à partir de 2010, qui sera payée par tous les thoniers, pour participer à la surveillance des Iles Eparses et au financement du fonctionnement d'Osiris. Ces recettes supplémentaires, estimées à 100.000 €, permettront de faire baisser le coût de surveillance des navires, et donc d'augmenter les recettes reversées à Mayotte.

 

"Ca fait 15 ans qu'on se bat pour les licences, aujourd'hui on nous donne les miettes"

Pour Pierre Baubet, le directeur de la Copemay, le compte n'y est pas : "si on ajoute aux prises espagnoles les 5.000 tonnes environ pêchées par les Français, on arrive à 12.000 tonnes de poissons pêchés. Ces 250.000 € représentent en fait à peine 50 tonnes de poissons pêchés… Le contrat est déséquilibré entre ce qui est pris et ce qui est reversé". Même s'il a noté des avancées positives avec le fait qu'il y ait "un minimum de concertation" entre les pêcheurs mahorais et les Taaf, pour lui, "si on veut développer une vraie filière à Mayotte, il faut que ces poissons soient laissés aux pêcheurs locaux et leur flottille artisanale".

Pour ce faire, il n'exclue pas l'éventualité d'utiliser le futur parc marin de Mayotte pour interdire aux thoniers senneurs de se rendre dans notre zone : "Le parc marin prévoit l'interdiction de la pêche industrielle dans toute la ZEE si la ressource est menacée. Les pêcheurs seront obligés de faire interdire la pêche par les bateaux usine si la ressource décline, avec un moratoire de 5 ans par exemple, pour reconstituer les stocks".

Dominique Marot, président d'Aquamay et de l'Union des aquaculteurs de l'Outremer français, est du même avis : "Les Taaf ne nous ont rien apporté. C'est eux qui ont besoin de nous, pas l'inverse. Rien ne prouve qu'Osiris a patrouillé dans notre ZEE. Je préférerais ne rien avoir et que le parc marin soit sur toute la ZEE, pour que mes enfants aient de quoi se nourrir. Ca fait 15 ans qu'on se bat pour les licences, aujourd'hui on nous donne les miettes. Les retombées économiques sont quasi inexistantes. Nous, les pêcheurs, sommes majoritaires dans la commission du parc marin et on va frapper fort !", menace-t-il. Rappelant que Mayotte est souveraine sur sa ZEE, M. Marot souligne que "la richesse de Mayotte, c'est son lagon et son espace maritime : il faut les préserver ou ce sera comme pour la disparition de la morue à Terre-Neuve".

 

"Mayotte est un pavillon de complaisance"

Régis Masséaux, le président du Syndicat maritime des pêcheurs mahorais professionnels (SMPPM), s'inquiète lui aussi de la disparition des thonidés dans notre zone : "Le germon a quasiment disparu, le thon "obèse" est très menacé et le maximum a été atteint pour le thon jaune. La bonite est l'espèce la plus prolifique, mais la pression des thoniers sur ces poissons risque de déséquilibrer la pêche artisanale ici. S'il y a un déséquilibre de ces bancs de thons, ils vont disparaître de notre zone et nos barques vont devoir s'éloigner encore plus des côtes, avec tous les risques que cela comporte".

Qualifiant M. Mouchel-Blaisot de "VRP de l'Etat", il affirme que les Taaf préfèrent prendre en considération la pêche industrielle basée à la Réunion, plutôt que les pêcheurs mahorais : "Quand on fait rentrer un thonier senneur de plusieurs millions d'euros dans notre zone, les petites barques de M'tsapéré passent après…". Pour lui, il ne faut surtout pas valoriser les prises accidentelles, car sinon elles feront partie de la cargaison et risquent d'être encore plus nombreuses. "Le marlin noir, bleu et rayé, le requin mako, à pointe noire, du large, renard, soyeux, l'espadon voilier, le thon banane, le thazard, les coryphènes… Toutes ces espèces réservées à la pêche sportive et artisanale n'existeront plus", prophétise-t-il.

Pour moderniser la pêche mahoraise, M. Masséaux attire l'attention sur le fait que le projet d'établir 20 DCP fixes autour de l'île "rentre dans la logique de donner des moyens à la pêche vivrière en sédentarisant les poissons pélagiques dans des sites de pêche définis". Mais ce projet est estimé à 800.000 €… Il faudrait donc plusieurs années de redevances pour qu'il voie le jour, tout comme l'investissement dans un petit palangrier, qui coûte 500.000 €.

Au sujet de la formation des contrôleurs locaux qui seraient embarqués sur les thoniers, M. Masséaux a rappelé que "sur les 5 observateurs déjà formés – trois Mahorais et deux mzungus – un seul a été embarqué une fois en deux ans. Il faut redéfinir leur statut car ils ont un contrat précaire et sont beaucoup moins bien rémunérés qu'à la Réunion".

Les pêcheurs mahorais expriment également une vive inquiétude quand ils voient des bâtiments immatriculés à Dzaoudzi et qui pêchent dans la ZEE de Mayotte avec un équipage philippin. Selon Pierre Baubet, "Mayotte est un pavillon de complaisance, qui permet la défiscalisation du bateau et d'embaucher des équipages étrangers. On ne peut pas les laisser piller la ressource. Même aux Bahamas ou à Jersey, ils payent des taxes. Ici, Mayotte ne perçoit rien du tout".

 

Julien Perrot

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