Nawale Yssoufa est directrice générale de Messo, une des associations partenaires du dispositif de médiation citoyenne qui doit déployer ses premiers bénévoles à partir du 15 juin. Alors que beaucoup de voix se lèvent pour dénoncer un supposé laxisme des autorités, la directrice défend ici un projet, une main tendue envers la jeunesse, qui se veut nouveau, alternatif et dans lequel elle place de grands espoirs. Même si “ce ne sera pas la solution miracle”.
Flash Infos : Comment allez-vous, en tant qu’association partenaire, participer aux groupes de médiation qui doivent mailler le territoire à partir de la mi-juin ?
Nawale Yssoufa : En ce qui concerne Messo, nous allons tout simplement travailler avec les acteurs de terrain, des associations et faire appel à des bénévoles qui se sentent concernés par les problématiques de violences. Et ils sont nombreux ! Il faut savoir que beaucoup de personnes travaillent déjà dans la médiation dans leur propre commune, ils se sentent concernés par ce qu’il se passe, participe activement à travailler avec les jeunes, leur parler. L’objectif de ce dispositif est donc aussi d’offrir un cadre à toutes ces personnes qui s’investissent déjà au quotidien pour qu’ils puissent travailler plus en profondeur avec les jeunes tout en étant suivis par une structure. Je pense que c’est la stratégie que nous allons adopter et que nos partenaires dans ce dispositif adopteront également.
Au niveau des bénévoles, c’est vrai qu’il y avait des réticences, car on peut avoir peur dès lors que l’on utilise ce terme d’avoir du mal à mobiliser, mais force est de constater que l’on a déjà des personnes qui veulent aider ces brigades de médiation sans même que nous soyons encore allés vers elles. Cela montre bien qu’il y a un véritable engouement qui existe autour de ce projet.
FI : Malgré toutes les bonnes volontés, faire appel à des bénévoles n’est-il pas un frein à une démarche pérenne et efficace ? On pourrait estimer qu’au vu de l’ampleur du travail, faire appel à des professionnels serait plus efficient. Qu’en pensez-vous ?
N. Y. : Oui, c’est vrai, c’est un métier. Mais il faut savoir que, par exemple, les emplois aidés que nous accueillons chez Messo se spécialisent dans la médiation. Ils ont des formations obligatoires dont nous avons convenu avec le Département et la préfecture. Il y a des personnes que nous allons accompagner et il y a aussi des cadres, des coordinateurs qui vont assurer l’encadrement et qui sont diplômés. De notre côté, nous faisons ainsi appel à des éducateurs spécialisés pour encadrer les bénévoles de terrain. Le tout dans un cadre qui n’est pas nouveau ; nous sommes une association qui œuvre déjà dans l’accompagnement des mineurs suivis à l’ASE [aide sociale à l’enfance, ndlr] donc il y a tout de même un réel savoir-faire, nous n’avons pas été choisis au hasard, nous sommes en plein dans la problématique. Nous avons des psychologues en interne, etc. Le social fait vraiment partie de notre ADN, ce n’est pas un monde que nous découvrons. Nous connaissons ses problématiques et avons développé des outils donc non, je ne pense pas que la partie bénévolat soit un frein. Je pense aussi que ceux qui critiquent le font, car ils ne connaissent pas les rouages de ce dispositif et tout le travail qui a été mené en concertation pour le mettre sur pied. Ce n’est pas un projet hors-sol, il a été pensé pleinement avec les acteurs du terrain à travers de longs échanges constructifs avant d’être mûr.
FI : Concernant les critiques justement, beaucoup considèrent ce dispositif comme une réponse trop douce face aux défis posés et inscrivent cette démarche dans un supposé laxisme au détriment de la répression. Que répondez-vous à cela ?
N. Y. : C’est vrai, il y a un véritable ras-le-bol face à la violence et à l’insécurité en général. Ce ras-le-bol est partagé et nous en avons tous marre d’avoir peur de nous faire taper dessus ou de nous faire cambrioler. Mais à un moment donné, nous sommes dans un État de droit où la seule réponse n’est pas la prison. Ce n’est le cas que pour ceux dont les infractions ont été avérées et pour lesquelles on considère que c’est la réponse adaptée. Mais pour le reste, il faut trouver des solutions alternatives. De notre côté, nous sommes dans la prévention, cela veut donc dire que nous dirigeons notre action vers tous les jeunes pour qui il y a encore de l’espoir. Le préfet l’a d’ailleurs rappelé ; pour ceux qui ne voudraient pas de la main tendue et qui n’aurait pour objectif que de perturber la vie sociale, la réponse sera la répression. Nous ne sommes pas là pour prendre la place des forces de l’ordre, mais bien pour tendre la main à ceux qui n’ont pas de réponses et qui se retrouvent aujourd’hui échoués sans avenir avant qu’ils ne tombent dans le cercle vicieux de la violence. Il y a bel et bien deux choses, ceux qui nous accuseraient d’entretenir la délinquance ont tout faux, nous sommes simplement là pour dire : tous ceux qui veulent aller de l’avant, nous vous tendons la main. Les autres feront l’objet d’une autre réponse.
FI : Quels sont les objectifs que vous vous fixez à travers ce dispositif ?
N. Y. : Je pense que tout le comité de pilotage et les différents partenaires se fixent comme objectif principal de réduire les faits de violence sur le territoire. C’est la gangrène actuelle et force est de constater qu’il fallait, pour tenter de l’arrêter trouver autre chose. Et c’est donc peut-être en allant sur le terrain, en étant à l’écoute de ses attentes que nous serons les mieux armés pour être force de proposition pour affiner la réponse. Beaucoup de structures manquent sur le territoire et nous pouvons réclamer leur intervention à partir du moment où nous prouvons leur pertinence. Si on est sur le terrain et que l’on porte à partir de lui un discours cohérent, je porte l’espoir que des outils supplémentaires verront le jour. En nous réunissant toutes les semaines avec la préfecture, le Département, les forces de l’ordre et les autres associations, nous nous donnons les moyens de partager nos expériences, nos visions et porter des propositions pour développer de nouvelles solutions.
Bien sûr que l’actuel dispositif ne réglera pas tout et qu’il faudra faire beaucoup plus, mais en attendant c’est la solution que nous avons et celle qui nous permet de travailler tous ensemble pour améliorer la réponse. On est dans une logique d’action, on se dit qu’il faut tenter, faire quelque chose et corriger au fur et à mesure. Cela va nous enrichir. C’est en tout cas le point de vue que nous portons chez Messo.
FI : Concrètement 600 bénévoles, est-ce suffisant ? Trop ambitieux ?
N. Y. : Oui, c’est ambitieux, mais il faut l’être sur ce territoire. Mais je ne pense pas que cela soit trop ambitieux et en tout état de cause, c’est un besoin. Comme je l’ai déjà dit, beaucoup de personnes œuvrent déjà au quotidien et ont besoin d’un cadre. À partir de là, ça ne me semble pas impossible – sinon nous ne participerions pas (rires) -, mais il va falloir beaucoup de communication. Notamment pour apporter une parole claire et cohérente envers les bénévoles, savoir comment les approcher avec beaucoup de transparence pour que chacun s’engage en toute connaissance de cause et que personne ne soit frustré, c’est très important.
FI : Dans le même temps, de plus en plus de personnes investissent le terrain ou souhaitent l’investir à travers des groupes qui n’ont pas le dialogue avec les jeunes comme maître mot. Cela ne risque-t-il pas de télescoper votre action ?
N. Y. : Il y aura toujours de la confrontation au niveau des idées. Nous avons tous des visions différentes sur les réponses à apporter aux problèmes de notre territoire, même au niveau des institutions. Après, rien n’est incompatible. Mais une chose est sûre, seul le droit doit l’emporte, il y a des lois qui régissent les dispositifs donc on ne peut pas faire n’importe quoi de son côté. Il y a les forces de l’ordre avec leurs responsabilités. Dans ce cadre, il y a des discours prônant le fait de prendre les armes que l’on ne peut pas entendre. Quand on se dit être Français, on se doit de rester dans le cadre de la loi, il faut être raisonnable et répondre par la violence, au-delà du problème légal, ne fait qu’attiser la haine. Ce n’est donc pas une réponse que nous pouvons cautionner. En ce qui nous concerne, nous sommes là pour apporter une solution alternative même si rien n’est absolument figé dans le temps. Nous pourrons très bien changer notre fusil d’épaule dans quelques mois et je sais que les institutions motrices de ce dispositif sont à l’écoute pour cela.
FI : Comprenez-vous qu’une partie de la population ne veuille plus entendre parler de méthode douce, de dialogue ?
N. Y. : Il ne faut pas se leurrer, il y a de vrais problèmes qui trouvent sans doute leur origine dans une croissance démographique extrêmement forte. Cela pose des enjeux énormes. De mon côté, je suis partisane de dire que la jeunesse doit être une force et non une faiblesse. Cela ne m’empêche pas de comprendre le ras-le-bol général par rapport à tout ce qu’il se passe et les violences quotidiennes, on ne peut que déplorer cela. Cette peur permanente dans laquelle vit la population est très pesante. Mais rappelons que nous avons des atouts énormes et cette jeunesse doit en être. Nous avons d’énormes besoins pour nous développer et la réponse est là : formons notre jeunesse. Je pense que la formation et l’emploi sont les deux clés du salut de notre territoire. Quelqu’un qui a une occupation journalière, qui a une rentrée d’argent voit sa vie changer. Nous avons beaucoup de jeunes que nous avons accueillis dans notre structure qui auparavant ne faisaient rien d’autre qu’errer et maintenant quand ils sont de 8h à 16h au travail, je peux vous assurer que lorsqu’ils rentrent, ils ont d’autres choses à faire que d’aller commettre des violences dans la rue. Je suis persuadée que la formation et l’insertion par l’emploi sont les seules chances pour notre territoire de trouver un nouvel équilibre. Les besoins de recrutement sont là, la jeunesse est là, maintenant il faut faire en sorte que les deux correspondent. C’est cela qui permettra de sortir du cercle vicieux de la violence.
Au niveau de la population, je pense que beaucoup de peur s’est installée au fil des années et que les gens en ont marre de vivre comme cela. Ne pas pouvoir vivre sans craindre pour sa sécurité est insupportable et il est vrai que beaucoup de structures, notamment d’encadrement pour occuper la jeunesse, manquent. Quand ont été mis en place des centres d’accueil et de loisirs à Koungou pendant les vacances, force est de constater que cela marche.
FI : Pensez-vous rapidement voir les effets concrets de ce dispositif ?
N. Y. : Nous allons tout faire pour. Nous allons travailler main dans la main avec les associations. Si nous pouvons apporter un peu d’espoir à la population, à la jeunesse, c’est tout ce que l’on souhaite. Mais nous avons besoin de tout le monde, chacun doit se sentir libre de venir nous solliciter. Nous avons ici quelque chose de formidable qui est cet instinct de protection, nous sommes très protecteurs les uns des autres. Gardons cela. Je compte beaucoup là-dessus, sur la solidarité et l’envie de porter ce territoire vers une paix sociale. Rendez-vous dans un mois pour voir les premiers résultats, mais je suis convaincue que nous aurons de très bonnes surprises.
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