Alors que les avocats font leur retour dans les salles d’audience depuis ce lundi, la bâtonnière du barreau de Mayotte, Fatima Ousseni, revient sur l’impact qu’a eu la crise sanitaire sur l’activité des conseils. L’occasion aussi pour l’avocate de livrer son opinion sur la remise en cause du système judiciaire qui s’est faite jour ces dernières semaines. Et appeler à la hauteur comme à l’apaisement.
Flash Infos : Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur l’activité des avocats et celle de la justice en général ?
Fatima Ousseni : Comme tous les autres secteurs du pays, nous avons été fortement impactés puisque la crise sanitaire et le confinement associé ont interrompu immédiatement l’activité de nos cabinets avec un effet de sidération assez important. Nous n’avons pas pu, pendant toute la durée du confinement, recevoir de clients par exemple. Je rappelle à ce titre que si les choses évoluent ces derniers jours, le confinement n’est toutefois pas officiellement levé. Au début de la crise, nous avons reçu les plans de continuité d’activité élaborés par le ministère de la Justice et adaptés à chaque territoire. Mais à Mayotte, nous nous sommes retrouvés dans une situation qui nous a laissés tout à fait perplexes. Il nous a été demandé de venir aux audiences, pour lesquelles quelques masques étaient fournis à destination des personnels du ministère – et encore – alors que de notre côté, rien n’était mis à notre disposition. Le tout dans un contexte de pénurie nationale de masques. Face à cela, en accord avec le Conseil de l’Ordre des Avocats, nous avons adopté un mouvement de protection pour dire qu’il n’était pas envisageable que les avocats se présentent aux audiences pour y assurer le service public de la défense sans un respect strict de protocole sanitaire. Et puisque celui-ci ne parvenait pas à se mettre en place, notamment du fait de l’absence de mise à disposition de masques, mais pas uniquement, nous avons décidé de suspendre toute participation des avocats à la justice. On ne se sentait pas du tout en sécurité. De mon côté, mes prérogatives de bâtonnière m’ont également imposé d’opérer des choix. Je ne me voyais absolument pas désigner ou commettre des avocats dans le cadre de permanences pénales sans être certaine que je n’envoyais pas ces personnes à la mort. Parce que c’était bien cela dont il était question au début de la crise. Ne connaissant pas l’état de santé de mes confrères, de nombreux risques étaient présents puisque rien n’était mis à notre disposition pour les protéger. Notre activité a alors cessé, ce qui a eu un effet catastrophique pour notre profession d’un point de vue économique, mais ce qui a également soulevé des problématiques juridiques. Sur certaines procédures, il était en effet compliqué de laisser le parquet seul à la manœuvre – puisque son activité n’a pas cessé – sans que nous puissions assurer de défense. À titre personnel j’ai par exemple eu à déplorer le maintien d’une audience en mon absence. J’ai d’ailleurs déposé un pourvoi en cassation contre la décision qui en a résulté puisque à mon sens, fortement attentatoire aux droits de la défense. Et ce, alors même que toutes les juridictions étaient prévenues que nous ne pouvions pas accéder alors aux sites du Palais de Justice, en sécurité. A quelques reprises, on ne s’est pas inquiété de l’absence d’avocats pour rendre une décision, c’est une réalité. Cela reste, heureusement des cas marginaux car bon nombre d’audiences ont été reportées. De manière générale, il n’y a pas eu de mauvaise volonté mais les moyens très limités nous ont imposé de faire des choix pour nous protéger. Cela restait difficile même si certains avocats sont même intervenus avant la levée officielle de la suspension par nos soins. Par exemple cela ne fait que deux ou trois jours date de la reprise progressive que nous avons accès au protocole sanitaire strict est mis en œuvre à la Chambre d’Appel. Lorsque les choses ont un peu évolué et dès que nous avons pu, nous sommes revenus assurer notre mission.; Il n’était pas envisageable de laisser le parquet requérir sans que la défense n’ait la parole. Le débat est essentiel dans la justice.
F. I : Cette période a donc créé un véritable frein dans l’accès au droit pour les justiciables…
F. O : Bien sûr, mais ce n’est pas tellement lié au fait que les avocats étaient présents ou pas. Cette perte d’accès résulte de la crise sanitaire en elle-même, le tribunal n’était pas ouvert, tout
était fermé. Donc évidement dans ce domaine là comme ailleurs il y a eu un temps d’arrêt. Pour le justiciable lambda qui aurait voulu contester une facture quelconque par exemple, il était impossible d’être entendu. C’est déplorable mais c’est à l’image de la crise que nous avons traversée. En revanche, sur le volet pénal, les problématiques étaient plus inquiétantes. Quid d’une personne en détention et qui doit avoir un débat sur sa remise en liberté par exemple ? Cela pose aussi problème pour les personnes déférées en comparution immédiate qui n’ont pas eu droit à une défense optimale. Oui, il y a eu une véritable dégradation de l’activité judiciaire pendant cette période. Mais cela doit nous amener à avoir une réflexion plus large en tirant les conséquences d’un tel événement. Nous devons désormais être conscients que du jour au lendemain, tout peut être perturbé. Aujourd’hui c’était le coronavirus, demain ça peut être autre chose. Ne serait-il donc pas intéressant de mettre en place des soupapes de sécurité dans des domaines aussi importants que celui de la Justice ? Mais pour l’heur, nous n’en sommes pas encore là. Le tribunal reprend seulement depuis lundi son activité alors que nous sommes toujours officiellement en confinement. Ce qui donne d’ailleurs à voir des audiences un peu chaotiques avec des avocats et des magistrats qui ne portent pas toujours les masques, où la distanciation sociale n’est pas toujours respectée etc. Dans ce cadre il faudrait d’abord que nous nous mettions d’accord sur un véritable protocole sanitaire qui nous permette à tous d’exercer en sécurité alors que sur le territoire, l’épidémie n’est pas encore derrière nous.
F. I : Au-delà de cette crise sanitaire, les derniers mois ont donné lieu à une remise en cause de la justice qui s’est à de nombreuses reprises focalisée sur la personne du procureur de la République. Qu’est-ce que le barreau de Mayotte que vous représentez peut dire à ce sujet ?
F. O : Nous sommes tous des avocats. Pas un seul d’entre nous ne peut se lever et dire qu’il est normal qu’un procureur soit invectivé de la sorte et mis en cause de cette manière. C’est proprement inadmissible et nous condamnons évidement tous les propos qui ont pu se tenir en ce sens. De mon côté je n’ai même pas voulu voir le détail de ce qui a pu se dire tellement tout cela a pu me scandaliser et m’indigner. D’autant que la critique de laxisme peut être adressée à tout le monde sauf au procureur. Pour nous avocats, c’est lui notre contradicteur privilégié : c’est parce que le procureur poursuit que nous avons toute cette activité pénale de défense. Qui nous fournit tout ce travail à travers des déferrements massifs ? C’est bien le procureur ! Et au pénal, le tribunal de Mayotte tourne à plein régime. La preuve, même pendant le confinement le procureur a demandé à tenir ses audiences.
Après, il faut bien rappeler que la loi existe, que l’on ne peut pas mettre tout le monde en prison. Il y a des conditions pour cela et ce n’est pas le procureur qui en est maître. Mais pour avoir exercé à Paris et à Mayotte, je peux vous dire qu’ici, nous sommes autrement plus excessivement poursuivis et condamnés qu’à Paris. Nous sommes à l’évidence plus sévèrement réprimés ici. Ce n’est pas le propre fait de ce procureur puisque c’était déjà le cas lorsque ses prédécesseurs étaient présents mais c’est une réalité. Concernant le procureur Miansoni, il est sur le front, notamment du tout venant de la délinquance et je peux vous dire que nous avons parfois du mal à suivre ! Moi qui suis la bâtonnière, je peux vous dire que personne ne veut faire plus que sa part minimale pour les commissions d’office. Tout simplement parce qu’il y a déjà beaucoup trop de dossiers à traiter. Et ces procédures, ce sont les services du parquet qui les présentent. Lequel n’est pas composé que du procureur de la République par ailleurs. Il est d’autres magistrats qui agissent et décident également.
Quant aux attaques, cette stigmatisation contre l’homme, elles sont tout simplement inadmissibles. Car au-delà de la critique du laxisme, c’est bien aux origines congolaises du procureur que l’on s’en est manifestement pris. Et ce alors même que nous sommes sur un territoire où la population a exactement les mêmes origines bantoues. Heureusement que le procureur a lu Frantz Fanon et qu’il comprend quels mécanismes poussent certaines personnes à s’exprimer de cette façon. Je pense que c’est en partie cela qui l’a aidé à rester serein, droit. C’est ça qui lui a permis de comprendre les mécanismes psychologiques qui s’articulaient dans ces attaques. Il sait ce qui est en jeu et ce n’est pas nécessairement ou seulement du racisme.
F. I : Comment expliquez-vous alors que de nombreuses voix se lèvent contre un supposé laxisme, allant jusqu’à prôner une justice populaire ?
F. O : Les gens qui se plaignent aujourd’hui d’un supposé laxisme n’ont pas conscience de ce qui se passe dans les prétoires. On ne cesse de demander aux gens de venir aux audiences pour voir
d’eux-mêmes, tant le nombre d’affaires traitées, que la sévérité avec laquelle elles le sont. Ce n’est seulement là que les personnes comprendront toute l’étendue du travail effectué. Je ne suis pas allée lire ces appels à une justice primitive, car je trouve le procédé qui consiste à publier des messages manifestement incendiaires, caché derrière son écran et un pseudonyme, peu courageux. En plus d’être bien loin des réalités.
D’un autre côté, je ne peux pas dire que je ne comprends pas la colère, voire le désespoir. Moi-même j’ai été victime, mon entourage l’a été encore tout récemment. Oui, l’insécurité existe, il y a de la violence sur ce territoire. Je ne le nie pas. Il ne faut pas une lecture manichéenne de ces expressions. En revanche, je suis intimement convaincue que dans une société qui est évoluée, on ne répond pas à la violence de malfrats, par une violence de malfrats. Justement, ceux qui n’ont pas su faire preuve de respect, on va leur rendre du respect. C’est comme cela que l’on montre comment vivre ensemble, comment on peut faire société. La réponse c’est d’abord d’examiner les faits, essayer de comprendre ce qui s’est passé. C’est le rôle de l’enquête. Leur donner la parole, puis juger et en fonction de tous ces éléments décider de sanctionner ou non, constitue le dispositif qui a pour vocation de permettre à celui qui est puni de réintégrer par la suite le giron social. Le but, ce n’est pas d’écarter et de mettre des personnes en marge toute leur vie. L’objectif c’est de faire en sorte que tous ceux qui se sont trouvés à l’écart du pacte social puissent y revenir. C’est cela la justice que je défends.
Je ne dis pas que c’est parfait, rien ne l’est. Mais d’immenses efforts sont faits. Et l’autre réalité, à Mayotte, c’est que nous sommes dans un microcosme. Toutes les choses subissent l’effet d’un miroir grossissant puisque nous vivons nombreux sur un tout petit territoire. Tout prend rapidement une ampleur considérable. Relativisons, ayons un rapport plus apaisé aux différents événements et nous verrons que pendant ce temps, le travail des acteurs de terrain se poursuit dans la quête de l’intérêt général.
Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.