Gestion de crise à Mayotte : les usagers veulent faire entendre leur voix

Les associations mahoraises qui représentent les usagers avec France Asso Santé soulignent des dysfonctionnements dans la gestion de la crise sanitaire par l’ARS. Et demandent à être davantage impliqués. 

Ils s’étaient faits discrets pendant toute la crise, mais les représentants des usagers du système de santé ont décidé de dire “stop”. Vendredi, les associations mahoraises agréées réunies au sein de France Asso Santé ont envoyé un courrier à l’agence régionale de santé, et plus précisément à sa directrice, Dominique Voynet, pour formuler publiquement leurs interrogations et leurs propositions quant à la gestion de la crise du Covid. “La goutte d’eau, cela a été quand Mayotte est passée en orange alors que tous les clignotants étaient dans le rouge”, assène Joëlle Rastami, ancienne cadre de santé à la retraite et représentante du Lien, l’une des signataires de ce courrier. 

Pourquoi une telle démarche, plus de deux mois après le début de la crise ? En raison du manque de communication de la part des institutions, nous explique-t-on. “Nous avons pu travailler en visioconférence avec le CHM quelques fois, mais avec l’ARS cela a été le grand vide”, poursuit l’ex-soignante. “Après un premier courrier resté sans suite, nous avons donc décidé d’écrire ce plaidoyer, et de mettre la presse dans la boucle.” À ce jour, les représentants des usagers n’ont toutefois pas encore obtenu de retour de l’autorité sanitaire, mais l’ARS assure préparer d’ores et déjà des réponses précises à leurs questions légitimes. “Nous travaillons en bonne intelligence avec eux et avec de nombreuses associations et ONG et nous sommes très attentifs aux propositions qu’ils ont à nous faire”, répond ainsi Christophe Leikine, le directeur de cabinet de Dominique Voynet. “Nous venons de recevoir leur courrier, et sommes en train d’y travailler. Tout cela s’inscrit dans une gestion normale de la crise”, développe-t-il. Une gestion de crise qui a parfois dû se faire dans l’urgence, pour trouver rapidement des solutions, ce qui explique le délai de réponse de l’autorité de santé. “Mais nous avions de toute façon prévu de les impliquer, surtout maintenant que nous pouvons sortir un peu la tête de l’eau.” Cela passera notamment par l’organisation de la conférence régionale de santé et d’autonomie, repoussée à cause du Covid et qui doit être reprogrammée. 

Une communication inefficace 

Et tant mieux, car les associations agréées souhaitent que leur démarche soit “constructive”. C’est pourquoi leur courrier vient avec un lot de propositions. En premier lieu, le courrier cible la campagne de sensibilisation, jugée inadaptée pour Mayotte. Celle-ci a produit “des effets très limités sur le comportement de la population”, notamment à cause de traductions inégales, sans prendre en compte l’analphabétisme et l’illettrisme d’une partie de la population. Sur les masques, le gel hydroalcoolique, les gestes barrières, France Asso Santé juge ainsi que les usagers ont manqué de consignes claires, adressées au grand public. “On a l’impression qu’ils ont juste voulu imiter les choses qui se faisaient en métropole ou ailleurs, sans prendre en compte les spécificités de Mayotte”, complète Antufati Hafidou, de l’union départementale de la confédération syndicale des familles de Mayotte (UDCSFM), elle aussi dans la boucle. Pour y remédier, cette ancienne membre de l’Éducation nationale à la retraite suggère par exemple de mettre en place des actions directement dans les quartiers, pour tous les gens qui “n’ont pas accès à la télévision ou à la radio”. 

L’action de l’ARS en question 

Sur les équipements de protection, ensuite, les associations s’interrogent sur le protocole, alors que les commerces ont rouvert depuis le 18 mai, et que l’activité économique est en train de redémarrer. “Nous avons des témoignages d’usagers dont les auxiliaires de vie ne viennent plus, faute d’équipement”, expose Joëlle Rastami. Pour elle, c’est à l’ARS d’équiper les professionnels pour garantir les meilleures conditions de travail, tout en les formant aux gestes barrières. “Visiblement, il y a des stocks inépuisables en métropole, et ici, dans la grande distribution et les pharmacies, on a vu des produits hors de prix, ce n’est pas possible !”, rappelle-t-elle en référence aux surstocks constatés depuis quelques semaines dans l’Hexagone, après une période de pénurie en masques ou en tests. Sur ce point, l’ARS argumente avoir fait au mieux, compte tenu des tensions sur les approvisionnements. “Nous avons équipé l’ensemble des personnels soignants en masques, en surblouse, en gel et nous sommes même allés plus loin, avec la PMI (la protection maternelle et infantile), les officines”, rectifie Christophe Leikine. Le directeur rappelle d’ailleurs que certaines critiques formulées par le courrier, comme celle sur les distributions alimentaires ayant donné lieu à des attroupements, ne sont parfois pas du ressort de l’ARS. 

Mayotte, “encore en pleine crise” 

Les associations s’interrogent enfin sur les tests, qu’elles jugent encore en nombre insuffisant. Jusqu’à brouiller les chiffres ? Les clusters à la prison de Majicavo ou au centre de dialyse ont en effet remis sur la table la question de la stratégie en matière de prélèvements. “Faute de dépistage à Mayotte, qui nous dit que les chiffres sont justes ?”, questionne Joëlle Rastami. Les représentants des usagers se demandent si les réactifs ont bien été commandés, et si une campagne de dépistage à grande échelle est prévue. “Surtout quand on voit, en Guyane, qu’après la pression d’autorités locales, un dépistage massif a considérablement fait gonfler les bilans”, souligne la responsable du Lien. Une nouvelle campagne, menée dans l’ouest du département-région d’Outre-mer, à Saint-Laurent-du-Maroni, a en effet révélé que les cas positifs étaient sous-évalués. Mais là encore, l’ARS rappelle qu’elle n’a jamais refusé de faire un test, et qu’elle n’avait pas lésiné sur les campagnes de communication, pour inciter les gens à se faire dépister si jamais ils ressentaient des symptômes. 

Plus que de simples revendications, les signataires de ce plaidoyer espèrent surtout insuffler une nouvelle dynamique, qui les inclura davantage dans les réflexions sur la gestion de crise. Notamment pour préparer la suite, alors que la saison des mariages approche. Une autre source d’inquiétude sur laquelle ils attendent encore des réponses. “Au sujet des manzarakas, nous avons établi un protocole détaillé que nous avons envoyé à la préfecture et qui doit circuler dans toutes les mairies”, avance Christophe Leikine. Pas sûr que cela suffise toutefois à apaiser les représentants des usagers… “Nous sommes issus de la société civile, et nous sommes dans le quotidien des gens, et aujourd’hui nous constatons une coupure franche entre le discours institutionnel et celui de la population”, assure Joëlle Rastami. À l’instar des campagnes de sensibilisation, auxquelles ils veulent être associés en raison de leur ancrage sur le terrain, ils souhaitent donc pouvoir participer aux groupes de travail, et solliciter davantage les expertises de chacun. Alors seulement, Mayotte pourra vaincre cette épidémie, espèrent-ils. Car, “on est encore en pleine crise”, conclut Joëlle Rastami.

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