Etudiants mahorais : comment stopper la détresse ?

Le 11 juin, des ouvriers intervenant dans le cadre de travaux d’une résidence étudiante à Saint-Étienne, découvraient le corps sans vie d’une étudiante mahoraise. Âgée de 26 ans, la jeune femme, décédée de mort naturelle, se trouvait en situation d’isolement.

 

Le 11 juin dernier, une étudiante mahoraise de 26 ans était retrouvée morte dans son appartement d’une résidence étudiante de Saint-Étienne. Découverte par des ouvriers intervenant dans le cadre de travaux,la jeune femme était décédée plusieurs jours plus tôt, de mort naturelle*. Un drame qui met une fois de plus en avant l’isolement et la précarité psychologique de certains étudiants mahorais dans l’Hexagone.

Face à la situation, inquiétante et bien connue, six psychologues** réunis en collectif ont envoyé une missive aux différents acteurs concernés par la problématique : Conseil départemental, rectorat, Commission d’octroi des bourses et aides, Ladom, délégué de Mayotte à Paris, ou encore associations d’étudiants mahorais en métropole.« Cette année universitaire a été particulièrement traumatisante pour la communauté étudiante mahoraise en métropole. Nous comptons à ce jour sept décès dont certains sont survenus dans des circonstances encore inconnues. (…) En tant que psychologues et originaires de Mayotte, ces drames nous interpellent au plus haut point », y expliquent-ils en soulignant que ce nouveau décès « vient questionner une problématique qui est peu abordée car encore méconnue : la santé mentale des étudiants mahorais en France hexagonale. » Une « santé mentale qui serait fragile par manque de préparation au départ. « Les jeunes de Mayotte sont-ils mieux préparés au voyage et aux changements qui les attendent hors de leur île natale ? Ont-ils les outils pour trouver les bonnes ressources en cas de nécessité ? », questionnent-ils. Et d’apporter une réponse : « Nous savons tous que tout le monde n’est pas armé pour un tel voyage, un tel changement social en environnemental. Quitter son cocon familial n’est pas chose facile pour la majorité de ces jeunes qui voyagent pour la première fois et quittent leurs familles pour se retrouver seuls dans un territoire et dans une ville qu’ils connaissent à peine. À cela s’ajoutent les nombreuses responsabilités auxquelles les jeunes doivent faire face, à savoir se gérer soi-même, gérer son budget au quotidien, faire ses démarches administratives et surtout mener à bien son projet d’études. » Le tout dans un contexte bien différent de celui de leur île natale, « une perte de repères face à la confrontation à une autre société française et occidentale. Ensuite une perte de ses racines dans le sens où l’on se retrouve loin de sa terre natale, de sa communauté, de ses traditions. Et enfin une perte de contenance en ce sens où les parents ne sont plus là pour maintenir ce lien si réconfortant et imposer ce cadre de vie protecteur. » Conséquence : « Du jour ou lendemain, le jeune étudiant mahorais se retrouve seul face à lui-même. Une solitude qui s’agrandit au fil du temps surtout si le jeune ne retrouve pas des éléments qui vont l’aider à se reconstruire et à reconstruire progressivement des repères qui vont l’aider à tenir face à l’adversité. À la contenance parentale, il lui faut désormais une contenance groupale nécessaire pour créer du lien social et tendre vers un équilibre. Ces nouveaux repères vont de pair, bien évidemment, avec le maintien du lien avec la famille qui, elle, est restée à Mayotte. Malgré la contenance groupale matérialisée par les associations étudiantes, certains jeunes craquent. Et cela nous pousse à soulever la question de la personnalité de chacun. On a tous une sensibilité, différente d’une personne à l’autre, et l’apparition d’un évènement dans notre vie peut nous fragiliser et nous rendre vulnérable. » Les étudiants sont vulnérables, et il faut le dire ouvertement. Ils sont vulnérables socialement financièrement et psychologiquement. »La tribune poursuit : « C’est pour ces raisons essentielles que certains jeunes, démunis, s’isolent et font semblant de vivre comme les autres. Dans notre culture, il est très malvenu de parler ouvertement de nos problèmes. Nous le savons, l’isolement amène tôt ou tard à des comportements à risque, entre autres, le suicide. »

L’impossibilité d’évacuer les problèmes

Alors, comment agir ? L’objectif de la lettre est clair : alerter et encourager les autorités compétentes à se réunir de manière collégiales et pluridisciplinaires pour,qu’ensemble, elles trouvent des solutions. Une démarche de sensibilisation. « Nous ne travaillons pas au sein des structures ou institutions qui prennent en charge ces jeunes », commente en aparté l’un des professionnels, qui continue :« Ils doivent faire le nécessaire pour réfléchir ensemble, avec différents professionnels dont des professionnels de la santé psychique qui pourront leur donner leur expertise. Mais c’est bien un travail incluant plusieurs professions [qui est nécessaire] pour accompagner au mieux ces jeunes aussi bien au niveau social, financier et psychologique. Il ne faut négliger aucun aspect. »

Leur courrier donne tout de même des pistes de réflexion. « Les associations étudiantes et les médiateurs académiques font partie des forces vives sur lesquelles nous pouvons nous appuyer pour repérer les jeunes afin de les soutenir et les accompagner et ainsi répondre au mieux à leur bien-être psychique. En effet, dans le cadre de leur accompagnement, il est nécessaire de rajouter des outils comme la sensibilisation à la détresse psychique pour compléter l’évaluation du bien-être de l’étudiant. En amont, nous proposons de rajouter dans les rencontres déjà réalisées par la DPSU, le service des bourses du rectorat de Mayotte, Ladom et le CUFR, l’aspect psychologique pour qu’ils aient dans leur préparation avant le départ au moins des débuts d’idées pour mettre en place et entretenir une certaine hygiène de vie psychique dans cette vie inédite. Par la suite, et tout au long de la scolarité, il serait nécessaire que la DPSU ait une prise en charge davantage proximale afin de détecter et orienter les étudiants fragiles psychiquement. »

 

*Contrairement à la piste du suicide, d’abord privilégiée, les résultats de l’autopsie ont révélé qu’elle était décédée de mort naturelle.

**Nazlli Joma, Hadidja Madi-Assani, Houssamie Mouslim, Rozette Yssouf, Amani Halidi, Fatima Abdallah.

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