L’annonce d’une prolongation de l’état d’urgence sanitaire à Mayotte n’aura décidément pas convaincu le député Mansour Kamardine. Au contraire, le parlementaire voit plutôt là un écran de fumée aux effets délétères sur le plan économique et des libertés individuelles. Quand l’urgence serait, selon lui, de doter Mayotte de moyens sanitaires et d’un plan de rattrapage social. Entretien.
Flash Infos : Que vous inspire la prolongation de l’état d’urgence sanitaire sur le territoire ?
Mansour Kamardine : Je dois vous avouer que je suis profondément déçu. Ce n’est évidemment pas la première fois puisque s’agissant de Mayotte le gouvernement me semble toujours à côté du sujet mais ces derniers temps encore plus que par le passé. Je pense que cette mesure, à l’image d’autres montre bien que le gouvernement fait preuve d’une méconnaissance totale de la réalité du terrain puisque l’épidémie est en recul sérieux. Fort heureusement le virus ne circule plus comme il a pu le faire durant ces dernières semaines. Cette mesure me paraît donc en total décalage. Par ailleurs cette prolongation risque plutôt d’avoir un effet négatif sur le territoire. Je pense aux gens qui ont le regard tourné vers nous parce qu’ils auraient aimé participer au développement de l’île et qui se verront découragés par ce signal très négatif. Or il faut savoir que si l’épidémie a continué à circuler à Mayotte, cela est simplement dû à l’inanité des moyens, pour ne pas dire leur absence, qui ont été déployés ici. Nous avons déjà eu des moyens extrêmement limités et en décalage avec les besoins. Et les choses ne s’améliorent pas avec cette prolongation. Dans ce sens, prolonger pour prolonger, cela m’apparaît plus comme de la gesticulation, de l’affichage qui permet de dire que des mesures sont prises alors que les moyens ne suivent toujours pas. C’est tout simplement de la communication et ce n’est pas acceptable. La directrice de l’ARS le dit aujourd’hui ouvertement : les moyens ne sont pas là. Nous n’avons pas les automates, cantonnés à une capacité de 300 tests par jour etc. On pourra prolonger l’état d’urgence sanitaire aussi longtemps que l’on voudra, cela ne réglera pas le problème tant que les moyens ne seront pas là.
FI : Au-delà de l’effet de communication que vous dénoncez et d’un éventuel mauvais signal pour l’attractivité, quelles conséquences concrètes craignez-vous à travers cette prolongation ?
M. K. : La perception que l’on donne à l’extérieur n’est pas à minimiser, elle peut réellement impliquer un véritable découragement. De manière générale on pointe du doigt Mayotte sans concrètement l’aider. On cherche toujours à traiter Mayotte différemment des autres territoires alors qu’elle mérite d’être traitée sur un pied d’égalité. Par ailleurs le discours du gouvernement n’est pas audible, il souffre d’incohérences majeures lorsque, dans le même temps, il demande la réouverture des écoles, que les gens retournent au travail, que les élections se tiennent et prolonger l’état d’urgence sanitaire.
Par ailleurs, je vois dans cette prolongation une atteinte extrêmement grave à notre liberté de mouvement alors que rien ne le justifie plus. On tente de contraindre les gens à respecter une quarantaine alors même que le Conseil constitutionnel est venu rappeler que cela ne peut se faire sans leur accord. Cela pousse les gens à s’engager pour quelque chose qu’ils ne respecteront pas par la suite, parce qu’ils ne le peuvent pas forcément. Je trouve cela très peu moral.
Tout cela est donc grave de conséquence, d’un point de vue économique mais aussi sur nos libertés individuelles. Et pourtant rien ne justifie cela puisque l’épidémie recule et que les gens ont sur place repris une vie normale.
FI : Est-ce que l’on n’aurait pas tout de même là une sorte de soupape de sécurité si l’épidémie venait à reprendre ?
M. K. : Absolument pas. Les seules raisons pour lesquelles le virus a tant circulé est l’absence de moyens sanitaires comme le sous-développement chronique de Mayotte. L’état d’urgence
sanitaire n’a pas la capacité d’agir en tant que soupape de sécurité dès lors qu’il n’est pas accompagné de moyens d’action. Cela ne sert à rien. Le gouvernement arrive toujours après la bataille : quand je demande à ce que des contrôles stricts soient opérés à l’aéroport on me rit au nez pour finalement, une semaine plus tard, les mettre en oeuvre. Même chose avec les masques. Ce qui importe ce n’est donc pas l’état d’urgence sanitaire mais une prise de conscience de la réalité du terrain. Si l’on disait : prolongeons et testons massivement dans le même temps pour connaître avec certitude la circulation du virus, il y aurait de la cohérence mais force est de constater que cette dernière est aux abonnés absents.
Et cette incohérence est partout : comment faire pour se rendre à Paris ? Il faudrait un test au départ de Mayotte. Mais l’ARS ne cesse de le répéter, elle n’a pas les capacités pour tester tous les passagers. Ensuite, on nous dit qu’une fois à Paris, il faudra respecter une quarantaine. Mais qui peut se permettre de faire cela s’il a besoin d’effectuer un court voyage d’affaire par exemple ?
FI : Est-ce à dire que l’épidémie n’est plus la priorité dont devrait se préoccuper le gouvernement pour Mayotte ?
M. K. : La vraie priorité aujourd’hui, c’est de nous donner les moyens de notre développement économique et social. Le gouvernement ne veut pas l’entendre mais il faut que cela soit un sujet de premier plan. On ne peut pas accepter que 84% de notre population vive sous le seuil de pauvreté et que le gouvernement, lorsqu’il annonce un plan de rattrapage des droits sociaux qui devait voir le jour en décembre dernier, ne respecte pas son engagement. Nous avons pourtant bien vu les immenses difficultés causées et mises en exergue par ce coronavirus. Ce sont les conséquences du sous-développement chronique dans lequel nous stagnons. S’attaquer convenablement et durablement à cette épidémie se fait donc sur deux fronts : sanitaire mais aussi économique et social, c’est cela l’urgence ! Comment espérer lutter contre le virus quand une grande partie de la population ne peut pas s’acheter de savon ? Il nous faut en réalité un véritable plan de sortie de crise sanitaire d’urgence pour espérer s’échapper de la crise de manière durable et enclencher un développement.
FI : Vous évoquez un nouveau plan, c’est considérer que les efforts promis par le gouvernement, notamment à travers le contrat de convergence, ne suffiront selon vous pas ?
M. K. : Ils n’ont jamais suffi ! ce contrat de convergence, que je considère plus sous l’appellation de contrat de divergence n’a jamais répondu aux attentes des mahorais. Il ne répond pas à l’urgence sociale : on parle de construire des salles de classe, un deuxième hôpital et des logements sociaux mais tout cela à très long terme. Le seul aspect positif c’est qu’il peut fournir du travail à travers les chantiers, mais c’est tout. Au-delà d’une mesure que je conteste, les 500 millions d’euros prévus pour les salles de classe ne seront même pas consommés ! Partis comme nous le sommes, avec une telle centralisation des dossiers, c’est impossible. L’État a une défiance à l’égard des élus et se refuse ainsi à leur confier la responsabilité de ces constructions. Cela revient donc à la Deal, qui, de son côté, ne se donne pas les moyens de remplir les objectifs. Les 500 millions d’euros seront renvoyés à la fin de la convention et l’on tapera sur les élus alors même qu’on les aura empêchés de prendre en main le dossier. Je considère que ces créations de classe sont un appel d’air pour l’immigration clandestine et aurait donc préféré que l’on aide nos voisins à construire des écoles chez eux. Mais c’est l’option qui a été choisie alors pourquoi ne pas donner aux maires le pouvoir de la mettre en oeuvre ? J’ai l’impression que tout est fait pour que les choses ne se fassent pas.
Ce contrat n’est donc par l’urgence mais plutôt la mise sur pied d’un rééquilibrage social rapide. Il s’agit de permettre aux gens qui ont le droit de vivre ici de le faire dignement, tout simplement. Dans des conditions sociales acceptables. C’est plus que jamais le moment de le faire dans le sens où c’est un élément essentiel de la lutte contre l’épidémie. On ne lutte pas de manière durable contre le Covid dans la pauvreté généralisée. Un premier pas serait donc que le gouvernement respecte son engagement pris avec l’annonce d’un plan de rattrapage social. Il y a déjà six mois de retard dans le respect de cette parole. Seul un plan de développement durable permettra d’éviter une résurgence épidémique. En aucun cas le contrat de divergence qui ne comprend aucune mesure sociale pour les populations en grande difficulté ne le permettra.
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