La découverte du volcan sous-marin au large de Mayotte célèbre sa première année. À cette occasion, Flash Infos donne, tout au long de cette semaine, la parole à ceux qui, de près ou de loin, œuvrent pour une meilleure connaissance de ce phénomène naturel inédit qui évolue, chaque jour, sous le regard des Mahorais. Aujourd’hui, Emmanuel Rinnert, géochimiste à l’Ifremer et l’un des chefs de mission Mayobs, fait le point sur les deux dernières campagnes scientifiques qui se sont déroulées dans les eaux mahoraises entre avril et mai, en plein confinement.
Flash Infos : Quel était l’objectif des deux missions scientifiques organisées à Mayotte ces dernières semaines ?
Emmanuel Rinnert : Elles avaient toutes les deux un objectif différent. Mayobs 13-1 visait à récupérer, faire de la maintenance et remettre à l’eau les OBS, des sismomètres de fond de mer, afin de pouvoir continuer à recueillir de nouvelles données relatives aux séismes. Pour Mayobs 13-2, l’enjeu était l’acquisition de données bathymétriques (des mesures du fond de mer permettant de cartographier les sols et d’étudier d’éventuelles déformations, ndlr). La bathymétrie est d’ailleurs la technique qui avait permis de découvrir le volcan en mai 2019 ! L’objectif était aussi de recueillir des données relatives à la colonne d’eau du volcan, et de savoir s’il y a des sorties de fluides et de particules.
FI : Ces missions avaient été programmées avant que la crise sanitaire n’éclate. Pourquoi les avoir maintenues malgré le confinement et la quatorzaine à l’arrivée dans les Outre-mer, qui a contraint les scientifiques à rester à Mayotte bien plus longtemps que prévu ?
E. R. : En effet, les quatre personnes qui ont embarqué sont parties presque un mois et demi pour une opération qui n’a duré que six à sept jours en mer… Mais une partie des données des OBS aurait été totalement perdue si nous n’avions pas relevé les instruments mi-mai, parce que leur autonomie est limitée. Nous n’avions aucune idée de la durée de la crise sanitaire, aucune visibilité pour pouvoir décaler les missions, donc tous les organismes scientifiques et même les ministères concernés ont préféré qu’elles soient maintenues. Pour la partie bathymétrie, les activités sur le fond de mer et dans la colonne d’eau, il faut savoir que les derniers relevés de ce type remontent à août 2019. Ce type d’opérations demande des sondeurs très spécifiques et très puissants, capables d’aller à plus de 3.000 mètres de fond, là où est posé le volcan. Tout ça fait qu’il n’y a pas énormément de navires qui sont capables de faire ce genre de mission, et aucun n’était disponible depuis août 2019. Nous avons eu une possibilité pour mai 2020, et malgré la crise sanitaire, il était capital de continuer de suivre le volcan pour acquérir de nouvelles données, parce que même si les séismes et l’enfoncement de l’île ont ralenti, la crise n’est pas finie, donc ça sous-entend qu’il y a une activité magmatique qui continue.
FI : Quels signes de cette activité avez-vous pu observer lors des dernières missions ?
E. R. : Dans la zone nord-ouest du volcan, on sait qu’il y a eu de nouvelles coulées de lave qui couvrent 5 km² environ, en plus de celles que nous avions déjà observées entre mai et août. Ce qu’on entend par coulée, c’est un étalement de lave de l’ordre de quelques dizaines de mètres de hauteur, et comme le fond de mer à cet endroit-là est relativement plat, la coulée avance. Mais il y a aussi de nouvelles structures, trois édifices qui mesurent une centaine de mètres de hauteur, voire un peu plus, et qui se sont beaucoup moins étalés. Ces structures peuvent être de la lave solidifiée : à cette profondeur, l’eau n’est qu’à quelques degré, et selon la texture de la lave, si elle est visqueuse ou fluide, elle aura tendance à monter en se solidifiant. Mais ces structures peuvent aussi être le point de sortie du volcan, que nous ne connaissons pas actuellement mais qui se situe normalement au centre du cratère. Or quand le volcan commence à monter, comme l’a très vite fait celui-ci, il faut plus de pression à la lave pour qu’elle puisse en sortir en atteignant le sommet, ou alors, il arrive qu’elle sorte par sa base, où il y a besoin de beaucoup moins de pression, et c’est pour ça qu’on observe parfois quelques structures à ce niveau-là. À Mayotte, elles se situent à deux bons kilomètres du volcan, donc ça n’est pas son point de sortie… Attention, je ne suis pas en train de dire qu’il y a un nouveau volcan ! Concernant celui découvert en mai 2019, nous devrions être capables d’identifier son point de sortie quand on retournera sur la zone et qu’on aura pu voir les évolutions, c’est une plomberie très complexe. En attendant, il est important de connaître la hauteur réelle de ces structures et le volume de lave correspondant, pour connaître le flux émis depuis le mois d’août, date de nos dernières observations. Nous devrions confronter nos différents calculs au mois de juin, mais rien qu’en regardant les cartes, on voit que le flux est plus faible que ce qu’il y a eu par le passé.
FI : Lors de la précédente mission, en août 2019, un important panache avait été observé, témoin d’une éruption volcanique en cours. Qu’en est-il aujourd’hui ?
E. R. : L’année dernière, nous avions effectivement observé une éruption avec un panache énorme, la plupart d’entre nous n’avait jamais vu ça. Là, nous ne l’avons pas revu, mais nous avons utilisé un sondeur un peu moins sensible… Nous n’avons certes pas observé d’éruption, mais ça ne veut pas dire que l’activité s’est arrêtée. Nous avons détecté deux nouveaux panaches au niveau de la zone de l’essaim sismique principal, sur le site que nous appelons le fer à cheval et qui se situent un peu plus à l’Est que les trois panaches observés en 2019 et qui sont d’ailleurs toujours actifs. Par rapport à notre expérience sur la forme de ces panaches, c’est tout à fait compatible avec des émissions de gaz, on n’est pas sur des signaux d’éruption. Ce gaz, dont nous avons analysé la composition l’année dernière en mai et en juillet, c’est du CO2, de l’hydrogène et du méthane, donc ce sont typiquement des gaz volcaniques. Maintenant, ils sont connus depuis plus de vingt ans à terre à Mayotte, à travers les éruptions de bulles de gaz à Moya ou près de l’aéroport. C’est une zone où il y a du magma très en profondeur, donc ces fuites de gaz peuvent être fréquentes mais ça ne veut pas dire que ce sont les prémices d’une éruption. Les premiers panaches que nous avions observés l’année dernière étaient peut-être là depuis dix ou vingt ans, mais il n’y avait jamais eu de mesures de ce genre auparavant. En revanche, les deux nouveaux phénomènes que nous venons de découvrir n’étaient pas là l’année dernière. C’est pour ça qu’il est très important de continuer à recueillir des données.
FI : Si les données fraîchement recueillies sont encore en cours de traitement, les chercheurs savent déjà que la structure du volcan n’a pas connu d’évolution majeure depuis le mois d’août, mais l’ensemble de la zone, dite « zone volcan », semble, elle, avoir bougé…
E. R. : Effectivement, nous avons observé des modifications de signaux lors des relevés bathymétriques, dans la zone volcan et comme partout ailleurs, y compris à des endroits de référence que sont les plaines abyssales. En réalité, notre matériel a induit pas mal de bruit sur les signaux, particulièrement lorsqu’il se trouvait sur des structures pentues comme le flanc du volcan, donc ce bruit induit de fausses détections sur les mesures acoustiques. Nos collègues sont en train de travailler là-dessus : chaque point enregistré est retraité manuellement, et si l’on remarque une modification structurelle mise en jeu sur un seul passage de l’appareil, nous l’éliminons d’office. Mais lors des premières phases de traitement des données, nous n’avons pas vu de modifications significatives.
FI : Quelles sont les prochaines missions scientifiques prévues à Mayotte ?
E. R. : Il va y avoir de nouvelles opérations de relève et de mouillage des OBS, pour continuer de maintenir le réseau d’enregistrement en condition opérationnel. D’ailleurs, les données que nous venons de ramener concernant la sismicité sont de bonnes qualités, et tous les enregistreurs ont pu fonctionner convenablement, ce qui n’est pas toujours le cas. Le jeu de données est en cours de
traitement pour repositionner les séismes correctement, en latéral et en profondeur. Une mission échantillonnage est aussi prévue pour récupérer des laves, faire des mesures dans la colonne d’eau afin de détecter d’éventuelles traces de gaz dissous. Nous projetions aussi pour le mois de mai une opération à bord du Marion Dufresne pour déployer un sismomètre spécifique à proximité des câbles de fibre optique (afin de mesurer les perturbations dans la diffusion de la lumière lors d’un séisme et donc de les étudier plus précisément, ndlr). Or, avec le contexte sanitaire, ça n’était plus réalisable. Mais ce sont des opérations que nous souhaitons refaire car d’un point de vue technique, c’est une expérimentation très intéressante. Cette mission devrait être reprogrammée en octobre si la situation le permet.
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