Relaxés pour vice de procédure, les deux hommes qui avaient été interpellés sur la barge en avril alors qu’ils transportaient 65 kilos de viande de tortue ont été jugés en appel jeudi. Absents lors de l’audience, ils ont écopé d’une peine de deux ans d’emprisonnement et sont condamnés à verser 1.000 euros de dommages et intérêts à chaque partie civile, à savoir des associations environnementales et le conseil départemental. Une peine inédite.
Après plusieurs dizaines de minutes de délibération, les trois juges regagnent enfin la petite salle d’audience de la cour d’appel de Mamoudzou. Les yeux rivés sur les magistrats, les représentants des associations environnementales et du conseil départemental retiennent leur souffle, dans l’espoir que la peine prononcée contre les braconniers de la plage de Papani, jugés puis relaxés en comparution immédiate trois mois plus tôt, soit à la hauteur des faits qui leur sont reprochés. Enfin, le jugement tombe : les deux hommes sont condamnés à deux ans de prison ferme et doivent en sus verser 1.000 euros de dommages et intérêts à chacune des quatre parties civiles. Une victoire pour les Naturalistes, Oulanga Na Nyamba, Sea Shepherd France et la collectivité territoriale. À l’autre bout de la salle, Loïc Thouvignon, chef du service départemental de l’office français de la biodiversité (OFB), et témoin clé dans l’affaire, esquisse un sourire. Lui qui vit et exerce sur l’île depuis près de 20 ans ne se souvient pas avoir un jour entendu plus lourde condamnation dans ce genre de procès. Un procès auquel les prévenus ne se sont pas présentés, empêchant de facto leur avocat de plaider, et donc, de faire valoir l’exception de nullité qui, en premier instance, leur avait permis d’échapper à la justice. Ils font désormais l’objet d’un mandat d’arrêt.
Le 28 avril, plusieurs agents du STM remarquent, sur la barge, une odeur nauséabonde qui semblerait se dégager de lourds sacs, portés par plusieurs individus. Ils préviennent alors immédiatement les affaires maritimes, qui passent elles-mêmes le relais à la brigade de gendarmerie de Petite-Terre. L’amphidrome est rappelé à quai, à Dzaoudzi. Deux de ses passagers, identifiés comme les porteurs des cabas suspects sont interpellés. L’office français de la biodiversité intervient à son tour et examine le contenu des sacs. « Deux foies et deux appareils digestifs de tortues vertes », rappelle Loïc Thouvignon devant les magistrats. « Quel âge avaient ces tortues ? », interroge le juge. « Sûrement une vingtaine d’années. C’était deux adultes, de taille assez importante. » 65 kilos de viande seront ainsi saisis.
Libérés malgré leurs aveux
Les mis en cause sont conduits au commissariat le jour même. Dès le début de leur garde à vue, ils admettent avoir tué et dépecé les animaux la veille, sur la plage de Papani en Petite-Terre, avant de cacher leur chair encore fraîche dans un champ à proximité, en attendant, devine-t-on, de pouvoir livrer le commanditaire. Face aux enquêteurs, l’un des deux suspects reconnaîtra même qu’il s’agit de son troisième acte de braconnage depuis le début du confinement. À la vue de ces aveux, la culpabilité des hommes semble clairement établie. Pourtant, le lendemain, ils sortiront de leur comparution immédiate libres, relaxés pour vice de procédure, puisqu’ils n’avaient pas eu le droit d’être assisté par un avocat lors de leur garde à vue. Si cette disposition est en effet prévue par la loi, l’état d’urgence sanitaire avait permis, dès le début du confinement, d’y déroger.
« Les débats ont été, en première instance, un petit peu rapides », a ainsi estimé jeudi l’avocate générale, Maître Lacroix. « Si les prévenus sont absents aujourd’hui, c’est peut-être qu’ils ont peur. C’est un honneur pour Mayotte d’avoir autant d’espèces protégées, et c’est un devoir pour chacun des les respecter », a-t-elle plaidé avant de requérir un an de prison ferme contre chacun des accusés. C’est finalement le double qui sera prononcé. Pourtant, « d’aussi lourdes condamnations dans le cadre d’une affaire de braconnage étaient jusqu’alors très rares », se souvient le chef départemental de l’office français de la biodiversité. En effet, jusqu’en janvier dernier, les braconniers reconnus coupables ne pouvaient s’exposer à une condamnation plus lourde. Or, dans les tribunaux français, les peines maximales sont rarement appliquées. Mais, depuis maintenant six mois, cette durée a été revue à la hausse pour finalement être fixée à trois ans. De quoi réprimer un peu plus les auteurs de chasse illégale. « Le verdict est enfin à la hauteur des enjeux », sourit Michel Charpentier, président des Naturalistes.
À Mayotte, le réseau d’échouage des mammifères marins et tortues estime qu’au moins un braconnage a lieu chaque nuit, moment privilégié pour la ponte. Un phénomène qui impacte inévitablement la biodiversité de toute la région, les tortues nées à Mayotte nageant dans les eaux africaines et malgaches, avant de revenir pondre sur la plage où elles ont elles-mêmes vu le jour. « Cette nuit-là, ils (les braconniers, ndlr) ont guetté les tortues venues pondre, venues participer à la régénération de l’espèce. Et celles-ci se sont retrouvées face à des hommes venus les exterminer. Ils ont dépecé les animaux alors qu’ils étaient encore vivants, et c’est parfaitement assumé ! », a défendu jeudi l’avocate de Sea Shepherd, Maître Mattoir. Désormais, c’est aussi parfaitement condamné.
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