{xtypo_dropcap}L{/xtypo_dropcap}e pluriel de ail est pourtant aussi simple que celui de travail, de vitrail ou de corail. Je dis "simple" par habitude, car les pluriels des mots en al et ail se rapportent à une grammaire très archaïque. En ancien français, bien avant Saint-Louis par exemple, on vocalisait le "l" de cheval ou de vitrail au pluriel, pour en faire une sorte de son a-o, devenu à la longue ô tout seul que l’ont transcrivait aus : cheval, chevaus.
Mais pour économiser le parchemin, les scribes avaient coutume d’employer des signes cabalistiques qui symbolisent plusieurs lettres à la fois à la fin des mots – ils opéraient des réductions, et pour le groupe us ils traçaient x, d’où un cheval, des chevaux (prononcé vô). Or, peu à peu, les copistes oublièrent que ce x représentait le groupe us et voulurent rétablir un u qu’ils pensaient absent – ils écrivirent alors chevaux. Cela réalité était une redondance au –us, mais nul n’y songea. C’est ainsi que l’ail devint les aus, puis les aux, puis les aulx, qui n’on plus bougé. Cette série d’incohérences a beau être regrettable, elle s’étale sur tellement de siècles qu’il n’y a pas de quoi édenter un peigne !
Cela participe au charme de la langue française… Du reste on doit constater qu’à part exceptions, les pluriels en aux sont attachés aux mots les plus anciens, et les pluriels, dit "réguliers", en s, comme les festivals ou les récitals, s’appliquent aux mots récents, du moins ceux qui n’ont pas connu la guerre de Cent ans. Les chandails sont jeunes, les coraux sont vieux comme la mer…
Mais revenons à notre ail, ce qui lui vole son pluriel à l’ancienne, c’est bien sur la concurrence que crée l’homophonie avec deux autres substantifs, pas moins : eau et os. L’affrontement est tel que le mot soit d’une fréquence honnête, surtout en français de cuisine… Alors, de guerre lasse, on résigne à parler des ails – ceux-ci plus gros que ceux-là dans un autre panier. C’est un manque de fidélité à nous-mêmes. Déjà Littré faisait cette remarque désabusée : "Le pluriel aulx devient de moins en moins usité", il y a presque cent cinquante ans. Quel dommage !
Nous avons le proverbe : "Le mortier sent toujours les aulx", pour dire qu’une personne se ressent toujours de ses origines. A propos d’odeur, les aulx constituaient jadis le condiment presque unique, avec l’oignon. Il donnait du goût aux plats populaires. De nos jours surtout ! Au Moyen-âge on parle beaucoup de manger "du buef aux aulx" qui passait pour un régal… Au point qu’au XIXè siècle, avec les raffinements de la cuisine bourgeoise et le développement du palais des classes privilégiées, l’ail devint en quelque sorte synonyme de bas peuple ouvrier. Encore, il n’y a rien des vampires – oui, soutenons les aulx !
Madi Abdou N'tro
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