Agathe Lante, journaliste à Canal+
{xtypo_quote}Si j'étais Mahoraise, je voterais "oui" au referendum{/xtypo_quote}
"Je ne connaissais pas du tout Mayotte. Je n'avais jamais entendu parler de l'île même en tant que journaliste. Lorsque je suis arrivée, ce qui m'a marquée c'est l'état de certains quartiers. On se croyait dans le tiers-monde. Je ne pensais vraiment pas qu'il puisse y avoir ce genre de choses sur un territoire français. Avec des chiffres aussi importants de clandestins et d'analphabètes. En France, les gens n'ont absolument pas conscience de ce qui se passe là-bas, même les médias. Certains ont une idée parce qu'ils ont fait des voyages officiels à Mayotte, mais rien de plus.
On est en train d'imposer aux Mahorais un état-civil dont on sait qu'il ne fonctionne pas à cause de critères qui ne correspondent pas à la société, comme par exemple pour le nom patronymique. En France on est en train de l'abandonner, mais il faut bien trouver un alignement pour pouvoir offrir les prestations sociales.
En tant que journaliste, on a envie de montrer ces problèmes. Même quand je suis en montage, je me rends compte que je choisis surtout les choses qui m'ont choquées. On n'a pas forcément envie de montrer les efforts qui sont faits par les associations, juste tout le chemin qu'il reste à parcourir avant de régler les problèmes. Comment trouver une solution à l'immigration, où trouver les logements pour ces personnes qui vivent dans des bidonvilles ? On sent bien qu'il ne suffira pas d'injecter des millions pour régler le problème. Mais je comprends aussi la frustration des Mahorais de voir qu'on ne parle que de ça.
Si j'étais Mahoraise, je voterais "oui" au referendum, les motifs des partisans du "non" sont soit égoïstes, lorsqu'ils évoquent la polygamie, soit pas du tout convaincants. Après, je ne suis pas fan de l'idée d'aligner tout le monde sur le modèle français. En tout cas, je pense que les Mahorais se trompent en disant que le département sera la solution à tous leurs problèmes.
J'ai surtout senti que les Mahorais étaient seuls face aux problèmes. Si on ne trouve pas de solutions, la situation va devenir explosive. Il suffit de regarder tous ces gamins qui traînent sans éducation, sans maison. Un membre de la Paf m'a dit que, si on ne fait rien, dans dix ans neuf Mahorais sur dix seront des Comoriens.
Mais comment on va s'en sortir ? On a l'impression de tirer sur une pelote de laine : tout est lié et on ne sait pas sur quel nœud on va tomber. Le plus drôle avec Mayotte, c'est qu'il y a des trucs qui m'ont vraiment choquée et d'autres qui me font plier de rire. Comme le Grand cadi. J'imagine le Français de base qui va voir ca, il va sûrement s'étouffer dans son fauteuil."
Alexandre Bouchet, journaliste à M6
{xtypo_quote}Les sujets sont vraiment formatés, on ne pense pas à creuser, à sortir des sentiers battus…{/xtypo_quote}
"Je connaissais Mayotte de nom et j’avais en tête tous les clichés sur la région océan Indien, mais je ne mesurais pas vraiment l’étendue des problèmes. L’influence de la France ici, c’est un peu comme le pot de miel entouré par la misère. Je ne suis pas persuadé que l’action du gouvernement soit une bonne chose, pour la simple raison qu’on voit bien qu’il n’y a aucune projection dans l’avenir. L’Etat privilégie la géostratégie sans prendre en compte l’avenir socio-économique de l’île.
On a l’impression d’être dans une banlieue à l’envers. Les gens qui vivent ici sont très ouverts et souriants et l’île est magnifique. Pourtant, les "Métros" qui débarquent vont se parquer dans des quartiers hideux au lieu de s’intégrer et de vivre avec le reste de la population. C’est un peu comme la politique que mène la France dans cette région, elle cloisonne les populations. On a l’impression de vivre dans une société de caste, hiérarchisée et on se dit qu’il faudrait que les gens se mélangent plus.
Hier, on a rencontré des professeurs qui nous ont expliqué que beaucoup de gens avaient peur de s’afficher en aidant les populations immigrées, par peur de se mettre la préfecture à dos. On cherche à asphyxier les clandestins. C’est quand même un tiers de la population et ils ne sont représentés nulle part. Ce genre de choses fait beaucoup de désespérés, notamment parmi les jeunes qui sont nés ici. Ils ont des parents clandestins, mais ils sont Français et ce sont les forces vives de demain. Ces gamins sont traumatisés par tout ce qu’ils ont vécu, les rafles, les expulsions, la peur de la Paf…
Dans le discours des politiciens, on ne sent pas vraiment une volonté d’aider ces personnes. Pourtant ici, il y a une très forte interdépendance entre les Comoriens et les Mahorais. On a l’impression qu’il y a aussi une forme d’hypocrisie de la part des Mahorais, mais je pense que pour le moment notre discours est unilatéral, on n’a vu qu’une partie du problème.
C’est vrai que les médias on a tendance à ne montrer que le coté négatif des choses, parce que ça fait de l’audience. C’est l’aspect qui paraît le plus choquant et le plus intéressant, alors qu’il y a des gens qui essayent de s’en sortir et de trouver des solutions. On a tendance à faire l’impasse sur le côté positif par manque de temps, de moyens ou de recul. Du coup, les sujets sont vraiment formatés, on ne pense pas à creuser, à sortir des sentiers battus… Ce genre de choses peut démolir l’image d’un pays, d’une région.
C’est ce que je reproche à beaucoup de médias. Imaginez : dix reportages d’un coup où tout le monde répète qu’il y a des enfants dans les décharges et que les droits de l’homme sont bafoués… Je ne pense pas que ça va arriver ici, parce que les journalistes sont surtout là pour le référendum. Ils se focalisent plus sur le changement de statut et autour, ils font des portraits de divers personnages. Après ça, il va y avoir un vide médiatique qui va durer un bout de temps, sauf si c’est le bordel après.
Dans notre film, on ne peut pas ne pas parler de la question de l’immigration et de la répression, mais on se doit aussi d'essayer d’aller voir autre chose. Prendre du recul et voir d’autres choses qui soient plus sympas, pour ne pas mettre que le coté dur en avant."
Michel Delberghe, journaliste au Monde
{xtypo_quote}Les élus doivent préparer la prochaine génération à ces changements{/xtypo_quote}
"Ma perception initiale de Mayotte était très floue, très lointaine. Toutes les questions liées à l'avenir des Dom ont pris plus d'acuité depuis la crise en Guadeloupe. Il a fallu une période de crise pour qu'on s'intéresse à une situation économique et sociale qui apparaît très éloignée de celle de l'Hexagone. Aujourd'hui, le débat récurrent sur l'Outremer réapparaît : quel est l'intérêt pour l'Etat, le gouvernement, la nation de maintenir ces liens avec ces territoires ? Quelle est la valeur de ces liens ? Il faut les moderniser, les rénover, revoir le statut, le coût et rétablir une nouvelle politique entre la Métropole et l'Outremer. Mayotte concentre une partie de ces questions qui se posent pour tous les territoires ultramarins.
Ce que le pays ignore totalement sur Mayotte, c'est la perception régionale, la situation de ce territoire dans son environnement proche, pour comprendre la réalité de la situation entre Mayotte et les Comores. C'est une "terra incognita", au-delà de l'indicible, une espèce de nébuleuse qui vaut aussi pour les Antilles dans leurs relations avec les Caraïbes. On imagine peu de Métropole que cette consultation signifie un "non" définitif aux Comores. Quand on regarde ce que sont devenus les Comores et Madagascar, il est évident que les Mahorais ne veulent pas de ça.
Ce qui saute aux yeux quand on arrive ici, c'est que c'est un territoire plus proche de la réalité africaine que française. C'est la France des années 1945-1950, dans sa réalité, son fonctionnement. C'est une autre perception du temps, il y a un vrai décalage. En venant ici, j'ai appris que l'application des lois et des institutions républicaines sont très récentes.
Trois choses m'ont interpellé : d'abord la croissance de la population, car aucun département français n'a connu une telle explosion démographique, à laquelle il faut faire face. Ensuite, c'est la mise en œuvre progressive du droit commun. Il y a un décalage temporel des institutions républicaines, avec par exemple la création des communes en 1977 ou les écoles maternelles qui n'existent que depuis 1993. Enfin, il y a l'existence d'un droit local qui va devoir s'effacer devant le droit commun, avec par exemple la mise en place de l'état-civil. C'est une affaire hautement symbolique car pour les partisans du rattachement définitif à la France, cela permet de dire que les Mahorais ne seront plus des "citoyens de seconde zone".
Pendant mes investigations, j'ai senti une forme d'exaspération des interlocuteurs qui m'ont tous dit que les médias nationaux se focalisent sur l'immigration clandestine. Mais c'est un tel poids sur l'avenir de Mayotte qu'on ne peut pas nier cette réalité. L'immigration clandestine, dans ses flux et dans la persistance des étrangers en situation irrégulière qui font tourner l'économie locale, a des conséquences sur les infrastructures, sur le niveau des équipements sanitaires et scolaires. C'est un tel risque de déstabilisation qu'on ne peut pas évacuer le problème. Cela représente un risque d'explosion, de tensions sociales majeures à cause du nombre de clandestins, qui est sans commune mesure avec le camp de Sangatte à Calais. Et pour les radios et les télés, c'est du pain béni.
Avec la départementalisation, Mayotte va faire un grand saut dans le vertige de la modernité, il va y avoir des transformations radicales dans une durée relativement courte. Les élus doivent préparer la prochaine génération à ces changements, surtout avec la moitié de la population qui a moins de 20 ans."
Patrick Fandio, journaliste à TF1
{xtypo_quote}Il y a un grand retentissement en France{/xtypo_quote}
"On va réaliser 4 reportages pour essayer d'embrasser les différentes facettes de la réalité mahoraise. Hélas on fait des raccourcis à la télévision, mais on essaye de donner une vision un peu large de ce qu'est aujourd'hui Mayotte. Ce jeudi soir il y aura un reportage sur la question de l'état-civil, l'immigration, les Anjouanais. Le lendemain les changements dans le quotidien : impôts, polygamie, attentes. Ensuite l'enseignement du français et enfin le dernier reportage sur l'élection. On repart lundi ou mardi. Nous sommes deux personnes, mais on voit les collègues de M6, France 24… Il y a un grand retentissement en France".
Propos recueillis par Halda Toihiridini et Julien Perrot
Articles et reportages qui seront diffusés prochainement
- TF1 : 4 sujets diffusés pour les JT de cette fin de semaine
- Antenne Réunion : plusieurs sujets pour les JT des jours à venir.
- France 24 : plusieurs sujets pour les JT et des directs dans les jours à venir.
- France 5 : 3 sujets sur Mayotte diffusés dans l’émission "C’est dans l’Air".
- M6 : Reportage de 52 minutes sur Mayotte pour l'émission "Enquête exclusive" diffusée entre le début de l’été et septembre.
- Canal+ : Un sujet sur la consultation diffusé ce dimanche dans l'émission "Dimanche+", un autre sur l'immigration sera diffusé plus tard.
- RFI : Une envoyée spéciale prépare plusieurs papiers sur la consultation et un sujet de 20 minutes sur Mayotte. Elle va aussi couvrir le référendum aux Comores.
- Le Monde : 2 articles devraient être publiés vendredi soir et mardi soir.
- Déjà parus ces derniers jours : des pleines pages ou des reportages sur L'Express, Le Figaro, le JDD, RFO Réunion, Complément d'enquête sur France 2…
Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.