Ils sont bien peu nombreux à s’être expatriés en Scandinavie. C’est pourtant le cas de Fanindat Vita, native de Mamoudzou, qui vit aujourd’hui à Stockholm avec son compagnon, après un retour à Mayotte de deux ans. Un pays dont elle vente les mérites, et auquel elle trouve quelques points communs avec son île natale.
« Cela peut paraître étrange, mais j’adore la neige » : d’un ton enjoué et d’un rire communicatif, Fanindat Vita – « mais je préfère qu’on m’appelle Fani Mwéndrézi, qui veut dire « vagabonde » en shimaoré », précise-t-elle comme un clin d’oeil à ses voyages – sait faire passer toute l’affection qu’elle a pour son pays d’accueil. À 33 ans, la Mahoraise a en effet choisi, avec son compagnon, de s’installer à Stockholm, la capitale suédoise. Un pays dans lequel elle avait déjà vécu et qui trouve grâce à ses yeux.
C’est à 18 ans que Fani quitte Mayotte, comme beaucoup de jeunes qui, pour poursuivre leurs études, doivent s’envoler vers la métropole. À Nîmes, dans le sud du pays elle débutera un cursus en gestion et administration des entreprises, avant de finalement rejoindre… Edimbourg, en Écosse, où elle officie comme assistante de langue dans un établissement scolaire. De retour en France pour achever son cursus de management en alternance, en se spécialisant cette fois dans les ressources humaines, elle sait qu’elle repartira à terme à la découverte de nouveaux endroits. Ce qui se produit, malgré une proposition alléchante : « On me proposait un contrat de travail en CDD avec une perspective de CDI à la clé, un projet très confortable et intéressant. Mais j’ai préféré le refuser car cela me paraissait être une cage dorée. Je me suis dit que si j’acceptais, je ne partirai plus. » Dans ses rêves, trois destinations possibles : la Nouvelle-Zélande, San Francisco et la Suède. Souvent cité comme un modèle en matière de ressources humaines et de management, c’est ce dernier pays qui obtient les faveurs de la jeune femme. Elle en rigole : « J’avais 25 ans, je me suis dit aussi que j’étais encore assez forte pour supporter le froid, mais que ça ne serait peut-être plus le cas quelques années après ! » Bilingue en anglais, déterminée, elle part avec seulement son sac à dos mais avec confiance. « Mais j’ai été un peu présomptueuse, se rappelle-t-elle. Si tout le monde ici parle anglais, la langue d’usage est bel et bien le suédois. J’ai bien galéré les premiers temps surtout pour trouver du travail. » Cela finit toutefois par arriver au bout de huit mois. Assistante administrative, elle reste un an en Suède avant de prendre la mer avec son compagnon, rencontré en métropole. « Il avait ce projet de voyager en voilier et voulait que nous le fassions ensemble. Je savais désormais que j’étais capable de repartir de zéro toute seule, alors nous l’avons fait », se réjouit-elle. Ils parcourent d’abord le nord de la Norvège, puis reviennent un temps vivre à Mayotte, avant de repartir pour traverser l’Atlantique et arriver en Guyane où ils s’installent deux ans, le temps de « refaire la caisse de bord. » C’est là qu’une bonne nouvelle intervient : « Je suis tombée enceinte, et j’avais toujours dit que je retournerai en Suède pour élever un enfant. Tout y est fait pour, c’est très confortable. »
Un pays moderne, mais fier de ses traditions
Un confort de vie, certes, mais aussi un beau pays. « Le sud de la France était joli, c’est vrai, mais les paysages ne m’avaient pas ému. Arrivant de Mayotte à cette époque-là, je comparais à ce que j’avais connu. Ici, en Suède, rien n’est comparable », s’amuse Fani qui détaille : « J’aime avoir quatre saisons, être dépaysée, j’aime aussi la langue et le système du pays qui est très différent. » Une contrée différente oui, mais à entendre la Mahoraise, pas forcément toujours très éloignée de Mayotte. « Beaucoup de choses me font penser à mon île », explique-t-elle. Hormis le fait que Stockholm soit un archipel et que « comme à Mayotte, on peut voir l’eau quasiment tout le temps », « La famille compte beaucoup en Suède, et on retrouve une forme de vie en communauté. De même, le pays plonge dans la modernité, un peu comme Mayotte, mais en restant fier d’être ce qu’il est, avec ses traditions. Un peu comme nous ! » Même la cuisine lui rappelle les goûts locaux : « Du poisson, mais aussi des préparations à base de cannelle et de cardamome, des épices que l’on utilise beaucoup sur l’île. »
Sans oublier… un certain turn-over. « Les Français de Suède pensent que les Suédois sont peu accessibles, défend-elle. Mais ils voient ici beaucoup de gens venir et repartir. C’est difficile de s’attacher dans ce contexte, de s’investir dans des relations de passage. J’ai connu ça à Mayotte, alors je les comprends et me suis fait pour ma part de nombreux amis ainsi. » En somme : bien qu’à quelque 8 500 kilomètres du 101ème département, « Je ne me sens pas perdue ici. Paradoxalement, je me sens même assez proche, d’autant que les Suédois voyagent beaucoup et ont une vraie culture de l’accueil. Ils sont peu nombreux (10 millions pour 445 000 m2), et ont donc conscience d’avoir besoin d’autres personnes. »
Des Suédois curieux
Ce n’est pas pour autant que les Suédois connaissent l’île aux parfums. « Certains oui, remarque l’expatriée, mais ce n’est généralement pas le cas. En revanche, ils sont très curieux et vont souvent regarder où se trouve l’île. Et d’une manière générale, ils ne sont pas surpris de voir débarquer une Mahoraise en Suède. La seule chose qu’ils se demandent, c’est pourquoi nous avons voulu rester français, car ils s’imaginent que c’est un système colonial. »
D’ailleurs, la même interrogation se présentait déjà lorsque Fani exerçait en Écosse. « Mes élèves avaient du mal à comprendre comment je pouvais être à la fois Française et de Mayotte », s’amuse-t-elle. Pour y remédier et faire connaître le territoire, elle avait alors récupéré quelques-uns des livres grâce auxquels elle avait appris à lire, enfant, dont Bao, l’enfant heureux, « un manuel avec lequel presque tous les enfants de ma génération ont appris à lire. » Elle le confie : « Je me suis rendue compte que j’avais besoin de ce genre de choses avec moi. J’ai également des ouvrages de Nassur Attoumani et de nombreuses photos de Mayotte ! » Le début d’une nostalgie ? Pas vraiment, mais le besoin de garder un lien : « Je n’ai pas quitté Mayotte pour marquer une rupture avec le territoire, l’île est une part de moi. Elle représente la moitié de ma vie. »
Pour autant, si la petite famille vient régulièrement en vacances, il n’est pour l’heure pas envisagé de revenir s’y installer. Même si son compagnon est « tombé amoureux du 101ème département », Fani ne retrouve plus vraiment l’île qu’elle a laissée. « Ce avec quoi j’ai grandi change, constate-t-elle. Je ne retrouve plus la bienveillance qu’il pouvait y avoir autrefois entre les gens. Le respect de l’autre disparait aussi. Mayotte perd ses valeurs, préférant rouler avec de gros 4×4 et manger des produits importés que cultiver sa façon d’être. »
De toute façon, « En l’état actuel des choses, je ne vois pas comment je pourrais revenir. Structurellement, l’île est comme en crise d’adolescence, plongeant dans la modernité rapidement. Tout va trop vite, rien que d’y penser c’est fatiguant. » Et de conclure : « Certains Mahorais essayent de faire bouger les lignes, mais très honnêtement, ceux qui prennent les décisions aujourd’hui sont pour la plupart très obtus dans leur façon de voir les choses. Moi, je n’ai pas la force de me battre tous les jours avec des gens comme ça pour que les choses avancent. »
Ses conseils aux jeunes de l’île
» Le système français le permet, alors voyagez si vous le pouvez. C’est très important de ne pas vivre seulement dans la communauté mahoraise et d’aller voir ailleurs comment sont les gens et les choses. Cela permet de s’ouvrir, de se créer une réelle fenêtre sur le monde. Pouvoir voir autre chose est la plus grande des richesses à mes yeux. »
Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.