Des tables rondes thématiques sur le shimaoré se déroulent depuis vendredi et jusqu’à ce lundi au conseil départemental. Leur ambition ? Préserver et transcrire la première langue – orale – maternelle du 101ème département français. Une gageure dans le contexte sociolinguistique de l’île.
« Le shimaoré est l’identité même de Mayotte », a assuré vendredi Lavie Maturafi, doctorante en sciences du langage à l’Université Paul Valéry – Montpellier 3. Lors de la première journée des tables rondes organisées sur la thématique du shimaoré et sa transcription en fin de semaine dernière, la doctorante présentait une « tentative de mise à l’écrit d’une langue orale ». Le shimaoré est une langue bantoue – ensemble de langues africaines regroupant environ 400 langues parlées dans une vingtaine de pays – provenant de l’héritage des populations africaines. « L’idée, aujourd’hui, est de transcrire cette langue puisque nous nous sommes rendus compte que Mayotte était le seul département dont la langue maternelle n’était pas enseignée à l’école. En 2013, j’ai donc fait le choix d’écrire une thèse sur le shimaoré et sa transcription. Je souhaiterais être porteuse d’un message, de valeurs et de culture », a expliqué Lavie Maturafi. Stephan Martens, le vice-recteur de Mayotte, estimait vendredi que l’usage de la langue maternelle permettait de « favoriser le vivre-ensemble ». Pourtant, il y a encore quelques années, parler le shimaoré à l’école était réprimé.
Au-delà du besoin naturel de pouvoir écrire sa langue maternelle, se projette une possible extinction progressive du shimaoré, « ce qui traduirait une perte identitaire du territoire ». Pourtant, « de manière paradoxale », la langue n’a jamais été aussi présente dans l’espace public du territoire : à travers les publicités, la signalétique, les médias radiophoniques et télévisuels… « C’est une langue importante, c’est mon identité et celle des Mahorais. Je travaille donc sur les influences entre le français et le shimaoré. Mon but n’est pas d’imposer une graphie, mais de proposer des alternatives », a affirmé la doctorante.
Vingt ans de désaccords
Pour Rastami Spelo, président de l’association Shimé – promotion, enseignement et sauvegarde des langues de Mayotte – l’officialisation d’un alphabet pour le shimaoré constituerait « une étape fondamentale pour sa sauvegarde ». Toutefois, il existe de nombreuses difficultés dans la transcription de la langue. En effet, à Mayotte, plusieurs styles de graphies se chevauchent. « Or, il faut dès à présent se rassembler pour déterminer un seul et même alphabet : une standardisation du shimaoré », a confirmé la chercheuse en sciences du langage. Depuis vingt ans, des désaccords persistent sur la forme exacte que devrait prendre le shimaoré écrit, ce qui « bloque toute avancée ». La pauvreté du développement de la langue dans les créations littéraires mahoraises semble également poser problème. Le conseil général a donc pris des décisions afin de développer une pensée unilatérale sur l’alphabétisation et la graphie. « Il faut faciliter l’apprentissage de l’écriture et de la lecture pour arriver à un shimaoré standardisé pour tous. Toutefois, il faut tenir compte du lien qui existe entre la graphie et la phonie », a soutenu le conseil.
La question de la codification a aussi été posée lors de ces tables rondes pour permettre, à l’issue des réflexions engagées, une « réelle marche en avant » sur la graphie de la langue. Un défi afin de poser les prémices d’un alphabet évolutif. « Je suis pour la graphie proposé par Haladi Madi (linguiste, ndlr). Il s’est basé sur le fait que les sons du shimaoré étaient géminés (se dit de deux consonnes identiques consécutives prononcées, ndlr) pour transcrire le shimaoré », a confié la chercheuse. Après sa thèse, elle a vocation à rentrer à Mayotte pour travailler sur la morphologie et la syntaxe de sa langue maternelle. « Cette langue, c’est ma vie. L’enseignement du shimaoré à l’école sera ma victoire », a-t-elle conclu. En février prochain, d’autres tables rondes seront organisées, cette fois sur le kibushi, pour l’enseigner, définir un cadre et l’officialiser afin de le préserver comme le shimaoré. « Une vraie priorité », a certifié le département.
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