Blocage du service des étrangers de la préfecture, réponse du Défenseur des droits, Jacques Toubon, et volonté des Mahorais de contrôler ce qui se passe sur leur territoire, le député Mansour Kamardine nous répond sur les questions d’immigration clandestine, quelques heures après sa nuit passée en compagnie des manifestants.
Mayotte Hebdo : Vous avez passé la nuit d’hier avec les manifestants qui bloquent le service des étrangers. Vous soutenez donc le blocage. Mais peut-on accepter que sur un département français, une partie de la population bloque ainsi un service public ?
Mansour Kamardine : Pour commencer, je ne soutiens pas les blocages, je crois qu’il faut que les choses soient claires. Je soutiens la revendication des Mahorais et leurs inquiétudes. Je ne leur ai jamais demandé d’aller bloquer un service public. Cela étant, je crois qu’il faut savoir lire et comprendre ce que font ces hommes et femmes devant le service des étrangers. Pourquoi ces gens sont-ils là ? Pour aider le préfet et le ministre de l’Intérieur face au ministre des Affaires étrangères. Ce dernier, je crois, se laisse mener en kwassa-kwassa depuis plusieurs semaines par les autorités comoriennes. Celles-ci ont un double discours : un pour le Quai d’Orsay, et un pour leur population, le tout ponctué de chantages comme celui de demander de l’aide aux Russes ou autre.
Notre République fonctionne malheureusement ainsi : c’est une République de pression. Pourquoi le Défenseur des droits a-t-il réagi, par exemple ? Parce qu’a été organisée une manifestation d’étudiants étrangers devant le vice-rectorat. Aujourd’hui, l’État français ne réagit qu’à la vue d’une manifestation.
MH : Il n’en demeure pas moins que la fermeture forcée d’un service public est différente d’une manifestation…
MK : Le gouvernement a annoncé qu’il serait ferme dans la délivrance des visas aussi longtemps que le gouvernement comorien n’aura pas accepté la réadmission de ses populations sur son territoire. Et bien les Mahorais l’ont entendu. Les Mahorais viennent aider le gouvernement à tenir ses engagements, voilà tout. De quel blocage parle-t-on ? Les Mahorais manifestent eux aussi.
Dimanche dernier, il y a eu une manifestation à Mayotte contre le président Azali. On ne le fait pas à Moroni, car c’est interdit, alors on le fait à Mayotte. Il y a eu également, nous l’avons dit, la manifestation des étudiants étrangers. Personne ne s’en est ému que je sache ? Alors pourquoi lorsque ce sont les Mahorais qui le font, on s’en émeut ? Laissez les Mahorais le faire ici car ils n’ont pas la possibilité d’aller le faire ailleurs. Ils ne vont pas manifester à Anjouan, ni à Moroni. Ils le font ici, eux. Si on autorise tout le monde à se mobiliser à Mayotte, et bien c’est valable a fortiori pour les Mahorais. Ceux qui ont manifesté au vice-rectorat ont été entendus puisque le Défenseur des droits est intervenu. L’a-t-on entendu réagir suite aux manifestations des Mahorais ? La seule façon de se faire entendre, c’est de manifester tous les jours. C’est ce qu’il se passe devant les grilles de la préfecture. Voilà deux mois et demi que les Mahorais le font, et deux mois et demi qu’ils attendent une réponse. (…)
Durant trois semaines, nous avons vu l’Aquarius, en Méditerranée, chercher un port pour débarquer ses passagers, 58 personnes. Durant ces trois semaines, et pour 58 personnes, dans toute l’Europe, on n’a pas trouvé un port d’accueil jusqu’à ce que l’Espagne accepte, et que la France en accueille 18 d’entre eux. Cette nuit, alors que je dormais devant les grilles de la préfecture, sont arrivés à Mayotte au moins deux Aquarius. La nuit d’avant également. La nuit prochaine, cela sera pareil. Depuis le refus des réadmissions des populations comoriennes par leurs autorités, il est arrivé au bas mot entre 14 000 et 20 000 personnes à Mayotte que l’on n’a pas pu reconduire. Ce n’est pas faire preuve de mauvaise volonté que d’exiger de l’État qu’il prenne ses responsabilités.
Est-ce que l’on se rend compte que l’État s’était engagé à faire venir deux bateaux pour le mois de septembre dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine? Or, nous sommes en octobre et est-ce que ces deux embarcations sont là ? Non. Elles arriveront un jour, mais ce n’est pas encore le cas.
J’ai le sentiment que nous regardons tous dans la même direction, mais que nous ne voyons pas la même chose. C’est inquiétant. Cela est peut-être dû au fait que dans ce débat, il y a ceux qui ont inscrit leur avenir, leur destin définitif, à Mayotte, et ceux qui se disent que le jour où cela n’ira pas, ils partiront. Et bien, il faut accepter que ceux qui inscrivent leur destin ici se préoccupent de ce que sera Mayotte dans 10, 20 ou 50 ans. Notre devoir est de pouvoir léguer ce territoire à nos enfants et nos petits-enfants. Moi j’ai hérité de mon père le combat pour Mayotte française, pour la départementalisation. Quand je partirai, je souhaite le léguer à mon petit fils, et lui laisser la possibilité de pouvoir continuer à être fier d’être Français originaire de Mayotte.
MH : La semaine dernière, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, s’est insurgé dans un communiqué contre le blocage du service des étrangers de la préfecture. Vous l’aviez alors invité à se préoccuper également du droit des Mahorais, et à venir à Mayotte constater par lui-même la situation. Avez-vous obtenu une réponse ?
MK : J’ai en effet réagi à ce communiqué du Défenseur des droits, mais par affection, compte tenu de ce que nous avons pu faire ensemble, puisque c’est un ancien militant du RPR. Nous sommes tous des enfants de Jacques Chirac. Je sais son engagement en faveur de Mayotte française. Je peux comprendre que, de par le rôle qui est le sien, mais aussi parce que c’est un homme de cœur et de culture, il puisse s’émouvoir de l’État de droit à Mayotte de manière générale. Mais le sentiment que nous avons eu au travers de plusieurs de ses communiqués est que, s’agissant de Mayotte, à tort ou à raison, il était beaucoup plus enclin à assurer la défense des droits des étrangers, alors que les Mahorais souffrent dans leurs droits eux aussi, lorsqu’ils sont dépossédés de leur droit de propriété – une des libertés les plus fondamentales de notre République –, et dans leur chair à cause de l’insécurité. Je dois avouer que nous n’avons pas entendu assez souvent le Défenseur des droits. Nous avons eu le sentiment qu’à travers ce communiqué, il servait de relais aux associations « droit-de-l’hommistes », qui sont dans leur rôle en imaginant un monde sans frontières ni nations, mais qui n’est pas notre conception.
Jacques Toubon m’a fait part de son incompréhension quant à cette prise de position. Nous avons convenu de nous rencontrer le 23 octobre à Paris. Cela sera l’occasion de refaire le monde, de nous rappeler les bons vieux souvenirs, et certainement d’envisager l’avenir avec sérénité en regardant comment lui, Défenseur des droits, peut nous aider auprès de l’État pour que soient pris en compte les droits de Mahorais. Je lui ferai part des inquiétudes et du ressenti local pour le sensibiliser sur cet aspect, et lui demanderai de ne pas se laisser instrumentaliser par les associations « droit-de-l’hommistes ».
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