La tension monte dans le nord de l’île : des étrangers en situation irrégulière se présentent spontanément à la gendarmerie « par peur des violences » et un « collectif des habitants du Nord » s’est créé afin « de démanteler les groupes d’étrangers, Comoriens et Africains » présumés en situation irrégulière sur le territoire.
La gendarmerie a démenti vendredi matin les rumeurs d’opérations de « décasage » du côté de Mtsamboro, dans le nord de l’île, même si « la limite est ténue » entre décasage et incitations menaçantes à quitter le territoire. Plusieurs villageois auraient « invité » des étrangers en situation irrégulière, vivant dans des cases en tôle, à quitter le département. Côté gendarmerie, on note des « présentations spontanées d’étrangers en situation irrégulière qui veulent rentrer à Anjouan (…) par peur des violences ». Une vingtaine le jeudi, une cinquantaine déjà à la mi-journée du vendredi, selon une source proche du dossier, auraient été dans ce cas de figure. Le maire de la commune, Harouna Colo, a déclaré avoir eu écho d’un « groupe de jeunes de la commune qui ont tenté de sécuriser leur village ou essayer de faire sortir des étrangers. Je suis encore en train d’essayer de comprendre ce qu’il se passe », livre-t-il vendredi. « J’ai peur qu’une partie de la population puisse se lever et aller faire des décasages ». Seule certitude, pour le premier magistrat de la commune : jeudi soir, « une personne qui travaille à La Poste » a pris la fuite, à la vue de coupeurs de route. « Ils ont essayé de l’attraper », munis semble-t-il d’un chombo. Une centaine d’habitants a, une partie de la nuit, mené des opérations de recherche pour retrouver la victime, localisée à 2h du matin sur une plage. « On craignait le pire », reconnaît le maire de Mtsamboro, qui était en lien avec le procureur de la République durant les recherches, appuyées par la gendarmerie.
Un membre du collectif s’exprime
Un « collectif des habitants du Nord » a été créé de manière informelle lundi suite à l’agression d’un villageois par des coupeurs de route dans la nuit de dimanche à lundi entre Mtsahara et Handréma, et regroupe six villages du Nord de l’île : Acoua, Mtsangadoua, Mtsamboro, Hamjago, Mtsahara et Handréma, nous indique un membre de ce groupe, qui se serait effectivement renforcé suite à l’agression du postier relaté par le maire de Mtsamboro. « Nous effectuons des rondes depuis mardi soir afin de démanteler les groupes d’étrangers, Comoriens et Africains » présumés en situation irrégulière sur le territoire, déclare un habitant du Nord ayant participé à ces actions. Le collectif a diffusé un tract en fin de semaine, montrant des individus cagoulés, et énumérant ses objectifs en de tels termes : « ratisser les zones suspectes à toutes activités illégales, monter les gardes afin d’appréhender les coupeurs de nos routes, anéantir les constructions de bangas sauvages, et surveiller les entrées des kwassa-kwassa ». Une centaine de personnes auraient déjà été livrées aux forces de l’ordre, selon le collectif. « On ne veut pas d’affrontements, pas de tabassages, pas de coups », précise-t-il, affirmant qu’il n’y a pas de résistance de la part des clandestins présumés lors de ces exactions. Le modus operandi serait bien moins violent qu’en 2016 lors de « la crise des décasages », selon les dires d’un membre de ce groupe : « Nous avertissons les gens et leur donnons un délai pour faire leurs bagages et partir (…) Sinon, nous les emmenons en fourgonnette à la brigade ». Cet habitant assure qu’aucune habitation n’a été brûlée. Seule une embarcation – qui aurait été interceptée mercredi avec à son bord 5 personnes menées manu militari à la gendarmerie – aurait été détruite par les habitants.
Contrôles routiers sauvages
« Nous faisons partir ceux que nous ne connaissons pas, qui n’ont pas d’attache au village », livre encore ce villageois. Ainsi, les étrangers mariés avec des gens de la commune sont-ils épargnés, de même que leurs enfants. Le collectif prétend également « fouiller les voitures inconnues qui rentrent » dans les villages du Nord et travailler à l’identification de passeurs.
« La gendarmerie collabore avec nous », a encore avancé le membre de ce nouveau collectif, alléguant que les forces de l’ordre de la zone se seraient déjà rendues sur les lieux où vivent les clandestins présumés, afin d’encadrer les actions, « pour qu’il n’y ait pas de débordement ». Déclaration formellement démentie par la gendarmerie : « C’est absolument faux, on ne va pas assister les pseudo-milices qui expulsent des personnes en situation irrégulière. On agit dans un État de droit ». Le collectif prévoyait samedi de continuer à « faire de la prévention » dans les prochains jours, c’est-à-dire à se rendre au domicile des personnes suspectées d’être clandestinement sur le territoire et « à décaser » admet-il. « On attend le feu vert de la gendarmerie pour décaser car il n’y a plus de place pour accueillir tout le monde à la brigade », énonce ce membre qui croit savoir que la capacité d’accueil de la brigade est de 30 personnes. « On continue jusqu’à ce que tout se mette en ordre », conclut-il.
Responsable mais pas coupable
En parallèle, un tract circulait en fin de semaine sur les réseaux sociaux dressant « une liste non exhaustive des habitants de Sada (…) qui hébergent des personnes en situation irrégulière ». De plus, précise le document, « une autre liste de personnes qui emploient des clandestins fera aussi l’objet de dénonciation ». Sous ces déclarations, les noms et prénoms et éventuellement localisation d’habitants de cette commune de l’Ouest de l’île.
Foumo Silahi, l’un des porte-parole des organisateurs de la grève générale, n’est pas surpris par les soupçons de « décasage ». « Nous savions à un moment donné que ça risquait d’arriver », regrette-t-il. « Ça n’est pas dans notre logique de demander à des gens d’aller faire du « décasage » […] Il ne faut pas confondre le collectif avec ces choses-là […] Le collectif parle de sécurité, de tout ce qui aurait dû être fait par l’État. Cela fait des mois que nous alertons l’État. Il n’y avait pas eu d’écoute jusqu’à maintenant », selon lui.
Samedi, près de deux cent Anjouanais ont marché de Doujani au rond-point du Baobab (Mamoudzou) afin de protester contre les stigmatisations dont ils sont la cible.
Contactée par l’Agence France-Presse, la ministre des Outre-mer a rappelé « ses engagements en termes de sécurité » et a « invité les habitants à laisser les forces de l’ordre faire leur travail. Ce genre de pratique, ça n’existe pas dans un département », a-t-elle encore fermement dénoncé.
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