Sergio Albarello, nouveau directeur de l’ARS, veut « reconstruire l’offre de soins hospitaliers »

0
Annonce vue 912 fois
Sergio Albarello
Sergio Albarello a été nommé directeur général de l’Agence régionale de Santé (ARS) de Mayotte en juin dernier.

Suite au départ d’Olivier Brahic, Sergio Albarello a pris le poste de directeur général de l’Agence régionale de Santé (ARS) de Mayotte en juin dernier. Urgentiste militaire, il a été médecin-chef de l’Elysée pendant sept ans et est spécialisé dans la gestion de crise. Ce dernier revient sur les différents chantiers de l’ARS à Mayotte, sur lesquels il avait déjà eu l’occasion de travailler auparavant. 

Flash Infos : Vous êtes directeur général de l’Agence régionale de Santé de Mayotte depuis juin, mais vous aviez déjà eu l’occasion de travailler sur le territoire. Pouvez-vous décrire vos précédentes missions sur le sol mahorais ?

Sergio Albarello : Effectivement, je suis venu plusieurs fois sur le territoire de Mayotte. L’année passée, en juin 2023, je suis venu renforcer le SMUR, le SAMU et les urgences, suite à l’appel de renforts nationaux face à la difficulté à honorer les postes aux urgences. Donc je suis venu pendant un mois. Je suis revenu cette année à la demande du directeur général de l’ARS Olivier Brahic de fin janvier à début mars pour mettre en place ce qu’on appelait le plan de riposte choléra. J’ai été nommé directeur de crise de l’ARS dans ce cadre-là. Et en même temps, j’ai eu une activité de renfort au sein de la régulation du centre 15 de Mayotte. 

F. I. : Pourquoi avez-vous accepté ce poste ?

S. A. : D’abord, c’est une décision qui a été prise très rapidement. Je connais le territoire et ses enjeux. Le gouvernement m’a proposé ce poste. Je tiens à rappeler que c’est une nomination au conseil des ministres, sur les postes à discrétion du président de la République, donc le président a considéré que je pouvais répondre aux attentes pour pouvoir mettre en place la politique régionale de santé sur le territoire de Mayotte. Bien entendu, avec mon parcours et ce que j’ai vu sur le territoire, j’ai répondu immédiatement « oui », car il y a beaucoup de choses à faire. Il y a des choses qui ont été faites, il y a des choses qu’on doit continuer à faire et à amplifier, et mon rôle est d’apporter toute ma compétence pour pouvoir poursuivre le plan régional de santé (PRS) sur le territoire.

F. I. : Mayotte a connu 220 cas de choléra depuis le 18 mars 2024. On constate néanmoins que le nombre de nouveaux cas a diminué ces dernières semaines. Est-on bientôt sorti de cette crise et quelle est la suite pour l’ARS ?

S. A. : Je veux être très, très, prudent. Ce n’est pas une fin d’épidémie. Il ne faut surtout pas penser qu’on est en fin d’épidémie. D’ailleurs, nos experts nationaux du Haut Conseil de la santé publique nous rappellent qu’il y a des phases dans les épidémies. Moi-même, dans mon parcours professionnel, dans mes missions, j’ai déjà constaté qu’on pouvait avoir des pics de haute intensité et des creux. Aujourd’hui, nous sommes dans une phase de creux qui, d’abord, prouve que la stratégie mise en place du plan de riposte de niveau 1 et de niveau 2 a fonctionné. Aujourd’hui, on est sur un plan de riposte de niveau 3 et on va même renforcer cette stratégie en accélérant la vaccination des quartiers défavorisés. Être en période de creux nous permet de nous concentrer sur cette action. Pour tout vous dire, on a un objectif assez haut de 1.000 vaccinations par jour, c’est un objectif maximal, on est en dessous pour le moment, mais depuis dix jours, on accélère la vaccination. En même temps, le deuxième pilier de la lutte contre le choléra, c’est le vecteur hydrique, et donc la mise à disposition de l’eau potable. Cela conjugué à la vaccination permet de pouvoir gagner sur le terrain et éviter un pic de hausse sur le territoire. 

F. I. : Que fait exactement l’ARS pour permettre cet accès à l’eau potable dans les quartiers défavorisés justement ?

S. A. : L’ARS, en partenariat avec les communautés de communes, les maires, a mis en place des rampes d’accès à l’eau pour cette population. Je rappelle que le risque est auprès de cette population fragilisée. Le fait d’apporter de l’eau potable et des rampes à ces quartiers permet de lutter contre le choléra et nous avons encore dernièrement ciblé 70 sites de rampes, on a 20 rampes de plus qu’avant, et on va tendre vers 50 à 60 rampes complémentaires. 

F. I. : L’île est également dans une situation tendue concernant les effectifs du corps médical, on pense notamment à la situation actuelle des urgences. Comment attirer les professionnels de santé à Mayotte ?

S. A. : Cette problématique il faut la voir sur deux niveaux. On a une urgence aujourd’hui de répondre au besoin en offre de soin sur le territoire pour les Mahoraises et les Mahorais. Et dans l’avenir nous devons voir comment fidéliser ces praticiens. Aujourd’hui on a une urgence. Le déficit de médecins sur l’île, ce n’est pas une spécificité de Mayotte. Aujourd’hui, dans le monde, il manque 2,6 millions de médecins. La France est frappée au même titre que les autres pays, l’ensemble du territoire national est frappé par les déserts médicaux. Mais à Mayotte, cette problématique est amplifiée par le fait de la crise de l’eau, du choléra et la crise sociétale que nous avons connue. Tout cela contribue à avoir des praticiens, qui avaient l’habitude de venir en renfort chaque année sur des périodes de 6 mois, hésitant à l’idée de venir. On peut le comprendre. Cependant, une fois qu’on a fait ce constat, il faut quand-même qu’on puisse apporter une réponse. C’est ce qu’on appelle les praticiens étrangers hors communauté européenne, les PADHUE (Praticien à diplôme hors Union européenne). L’ensemble du territoire national fait appel aux PADHUE. Le décret du 3 juillet autorise Mayotte à en avoir sur le territoire, c’est donc une extension d’une mesure qui a été mise en place il y a plusieurs années dans les autres territoires ultramarins. Cette extension permet de prendre des PADHUE a titre dérogatoire. C’est le directeur général de l’ARS qui signe la dérogation d’exercice. Bien entendu, tout ceci est encadré avec un contrôle de l’ordre sur le parcours du médecin et leur diplôme. L’ARS prendra sa part de responsabilité sur les contrôles, mais en même temps il y aura un contrôle et un avis du chef de service qui souhaite avoir des PADHUE. Cela va contribuer à une stabilisation à moyen long terme, et probablement, du fait d’avoir ces praticiens, une stabilité, cela fera revenir des praticiens de la communauté européenne, car la charge de travail ne sera plus la même. Cependant j’entends les inquiétudes et c’est pour cela que nous avons renforcé ces moyens de contrôle. 

F. I. : L’offre de télémédecine va-t-elle continuer de se développer ? 

S. A. : Je tiens à rappeler que nous avons le E-Medicobus qui est exactement un mode d’exercice ambulatoire sur le territoire, qui se déplace avec la possibilité de faire de la télémédecine. Et la télémédecine s’inscrit aussi dans le développement des filières. Dans le PRS, on commence à faire des partenariats et à développer les filières sur le territoire, certaines spécialités, et en attendant d’avoir cette filière créée il faut bien que les patients puissent avoir des avis de spécialistes. Donc la télémédecine a tout son rôle avec nos partenaires de La Réunion ou de la métropole. On est conscient qu’il n’y aura pas toutes les filières spécialisées sur Mayotte, la démographie médicale étant très contrainte, c’est pourquoi la télémédecine a toute sa part dans la prise en charge. 

F. I. : Mayotte est confrontée à d’autres problématiques sanitaires : le diabète, le VIH, l’insalubrité de manière générale, avec par exemple comme conséquence des cas de leptospirose. Avec les différentes crises traversées cette année, ces dossiers sont-ils toujours autant suivis ?

S. A. : On ne va pas se mentir. Vous avez bien vu que le territoire était quand même frappé de manière successive par des crises. Le PRS, a été un travail exceptionnel mené par tous les acteurs et dont l’ARS, les collectivités territoriales et les services de l’Etat ont inscrit des axes majeurs et transversaux. Certains actes, qui auraient dû être mis en place avec un résultat plus optimal sur l’année, ont été frappés par ces crises. Cependant ces dossiers n’ont pas été oubliés. On a, par exemple, fait toute une campagne de rattrapage de vaccination pour les enfants, ce qui, aujourd’hui, donne des résultats, car on voit moins de consultations concernant le rattrapage vaccinal. On a aussi fait une grande campagne de dépistage du diabète et de l’hypertension qui a permis de faire prendre conscience à la population de ces risques et de leur demander d’adapter leur alimentation pour éviter la progression de la maladie. Nous avons une campagne de détection du cancer. Les actions de prévention sont présentes. On aurait aimé avoir une densification plus forte dès le départ, mais on avait des urgences à régler sur le territoire. Mais les autres actions n’ont pas été oubliées et aujourd’hui, le fait que nous soyons dans un creux par rapport au choléra va nous permettre d’amplifier ces actions.

F. I. : Pour finir, parmi tous ces points évoqués, quel dossier retient particulièrement votre attention ?

S. A. : Il y a beaucoup de choses qui sont urgentes. Moi, j’ai une priorité : c’est de reconstruire l’offre de soins hospitaliers sur le territoire et recréer cette confiance des praticiens, médecins, infirmiers, personnels administratifs de l’hôpital pour pouvoir, demain, améliorer l’offre et l’attractivité et donner un cadre de travail plus serein au personnel. Je sais combien ce personnel s’est engagé et s’engage encore aujourd’hui sans compter, et je tiens à les remercier de cet engagement et cette résilience. Ils ont toujours répondu présent pour pouvoir soigner l’ensemble des gens qui ont besoin de soins. Mon rôle c’est de les accompagner, améliorer leurs modes d’exercices et amener une meilleure offre.